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Ausrine Stundyte: « Je me donne à fond mais dans ma tête tout est sous contrôle »

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Interview
4 avril 2019
Ausrine Stundyte: « Je me donne à fond mais dans ma tête tout est sous contrôle »

Infos sur l’œuvre

Détails

C’est avec l’un de ses rôles fétiches  – Katerina Ismailova de Lady Macbeth de Mzensk – que la fascinante cantatrice lituanienne Aušrinė Stundytė, capable de toutes les audaces sur scène, fait ses débuts à Paris. Nous l’avons rencontrée dans sa loge à l’Opéra Bastille une semaine avant la fin des répétitions de la nouvelle production très attendue de Krzysztof Warlikowski.

Petite fille à Vilnius, où vous êtes née, aviez-vous déjà montré des dons artistiques?

Mes parents n’étaient pas-du-tout artistes. C’était des gens très simples qui venaient de la campagne où leurs parents étaient fermiers. Les vacances que je passais dans le village que mes grands-parents habitaient sont d’ailleurs mes souvenirs d’enfance les plus heureux. Ma mère m’a raconté que, petite, j’aimais monter sur la table pour chanter, danser et faire le clown… C’est tout. À l’adolescence, j’avais beaucoup grossi, ça me donnait des complexes et je suis devenue très timide. Parce qu’on y  recevait une bonne éducation et qu’on avait parfois des occasions de se faire entendre à l’Ouest, mes parents désiraient m’inscrire dans le meilleur chœur de jeunes-filles de Vilnius. Mais c’était extrêmement difficile d’y entrer. Avant de m’y présenter, mon père et ma mère ont passé des heures à m’entraîner à chanter. Ils se demandaient si j’y arriverais, si j’avais vraiment une voix. Moi, j’avais très peur de les décevoir. Heureusement, j’ai été admise et j’ai découvert tout un monde de musiques qui m’a tout de suite subjuguée. Bien que chez nous à l’époque c’était encore l’Union soviétique, on chantait de la musique italienne, des chansons modernes, même des cantiques religieux. On participait à des compétitions. Au début, j’étais parmi les altos, mais je voulais devenir soprano pour chanter des solos. Pendant mes vacances, j’allais dans les bois avec ma grand-mère – là où j’étais sûre que personne ne pouvait m’entendre – et je m’exerçais à chanter le plus haut et le plus fort possible : «  Maria, Maria, Maria… ». Au bout de deux étés, quand les professeurs ont réévalué les  voix, ils m’ont dit : « Mais tu es devenue soprano ! ». Alors j’ai commencé à chanter des solos ; j’adorais vraiment (grand rire).


© DR

Et après cela ?

Ensuite, je suis entrée au conservatoire de Vilnius pour étudier sérieusement. Mon professeur, Irena Milkeviciute, une soprano à la carrière internationale, était une femme très ouverte. Elle nous disait : « Qu’est-ce que vous avez envie de chanter ? ». Tout en douceur, elle m’a énormément appris. On travaillait en particulier le rôle de Butterfly qu’elle avait elle-même beaucoup pratiqué avec un immense succès. Après Vilnius, je suis  allée me perfectionner à la fameuse Hochschule für Musik und Theater, Felix Mendelssohn Bartholdy de Leipzig avec Helga Forner. Ensuite j’ai obtenu des bourses et gagné plusieurs prix, notamment à Paris, à Moscou, à Vienne et à Cologne.

Au début de votre carrière, que chantiez-vous ?

Je n’ai jamais été douée pour les coloratures. Pendant mes études, Mozart me restait dans la gorge. Comme je l’ai dit, j’ai tout de suite été à l’aise avec Puccini. Alors, j’ai fait mes débuts professionnels avec Madama Butterfly. Pour moi, Cio-Cio-San n’est absolument pas naïve ou superficielle. Son rêve est de devenir américaine. Elle est déjà très mûre et veut quitter la société japonaise où on la traite comme un jouet. Et, elle est profondément touchée que cet homme américain la regarde « autrement ». J’ai chanté cinq fois ce personnage. C‘est suffisant. Mon problème avec Puccini, c’est qu’on a très peu de marge d’interprétation. Il faut seulement bien chanter tout ce qui est écrit. On finit par s’ennuyer et je n’aime pas ça.

Votre voix, qu’en diriez-vous ?

Qu’elle est spéciale. Je pense que c’est surtout une bonne voix pour le répertoire que j’aime chanter actuellement. Dans l’opéra italien classique, si on ne chante pas de manière traditionnelle, c’est très difficile de plaire. Je me donne à fond, mais tout est sous contrôle dans ma tête. Je suis très prudente. Je ne suis pas un vrai soprano dramatique. Ma voix n’est pas évidente à définir. Peut-être mezzo soprano aigu. Je ne suis pas vraiment sûre. Pour être capable de chanter ces rôles extrêmes, il faut que je sache m’économiser pour être certaine d’arriver au bout. Alors, je dois chauffer ma voix pendant trois ou quatre heures avant chaque représentation. La veille, je parle le moins possible. Heureusement, mon compagnon sait se taire. Lui, est informaticien ; on a tous les deux besoin de silence.

Que faites-vous pour être physiquement au top ?

Je ne suis pas sportive. J’ai essayé le jogging sans résister plus de 20 minutes. Je me contente de 10 minutes de yoga chaque matin. Cela me permet de pouvoir chanter dans n’importe quelle position. J’ai mes priorités. Chanter ne me suffit pas. Sur scène, quand je ne joue pas, je suis comme amputée. Je n’aime pas beaucoup les récitals. Mais je ne me verrais pas jouer au théâtre sans musique. Dans une autre vie peut-être !

Comment conciliez-vous carrière et vie privée ?

Je n’ai pas d’enfants. Mon compagnon travaille à distance sur Internet ; il peut venir avec moi partout où je vais. Alors je ne me sens jamais seule. Quand j’ai du temps libre chez moi, je me livre à ma nouvelle passion : la peinture et la sculpture. J’ai appris moi-même grâce à Internet et aux vidéos sur YouTube. J’adore découvrir ce que j’arrive à faire avec mes mains. J’adore les couleurs ! J’expérimente dans mon atelier… J’y pense la nuit. C’est devenu une obsession. J’ai même repeins tout  l’intérieur de ma voiture en turquoise.

Bieito, Tcherniakov, Treliński, Warlikowski sont des metteurs-en-scène qui vous aiment…

Je les aime aussi ! (grand rire). Je suis une interprète de rêve… Toujours de bonne humeur, je m’entends avec tout le monde. Je fais tout ce que le metteur-en-scène veut. Je suis le tempo demandé par le chef ; sauf quand ça m’est impossible. Entre musique et théâtre, je choisis toujours de privilégier le drame.

Pour finir, parlons de vos trois grands rôles actuels…

Le plus noir, c’est L’Ange de feu de Prokofiev, qu’après Lyon dans la production de Benedict Andrews, j’ai chanté à Varsovie, puis à Aix dans la mise en scène de Mariusz Treliński. Le rôle est très intéressant, mais je souffre trop. Je mets toujours très longtemps à m’en remettre.  La première fois que j’ai fait cette Renata, je ne pouvais plus dormir. Ça a commencé dès les répétitions et duré  cinq semaines. C’est un opéra horrible, démoniaque, cauchemardesque. On me le demande sans arrêt, mais je ne veux pas le chanter trop souvent. La prochaine fois ce sera à Vienne.

Le plus extraordinaire, c’est Salomé. Je suis tombé amoureuse du personnage en regardant un DVD avec Maria Ewing. Pour l’instant, je ne l’ai chanté qu’une fois à Berlin dans une mis en scène de Hans Neunfels. À la première répétition avec moi, il est arrivé très préparé. Au bout d’une demi-heure, il a demandé une pause et il est sorti avec son équipe. En revenant, il m’a dit « Bon, maintenant que je vous connais, on va faire tout à fait autrement.» J’étais heureuse de cette attitude et j’ai pu donner mon maximum. J’admire la liberté de Salomé. Elle est entièrement possédée par son désir et oublie tout le reste. C’est étrange, comment moi, si gentille, puis-je devenir aussi méchante sur scène ? L’Ange de feu est dangereux pour l’esprit, mais Salomé est redoutable pour la voix. Bien que le personnage me fascine, je dois être aussi très prudente et ne pas le chanter trop souvent.


© Lady Macbeth de Mzensk – Bernd Uhlig – Opéra national de Paris

Quant à Lady Macbeth de Mzensk, c’est aussi très bien écrit. Le personnage est immuable. À Anvers Calixto, lui, voulait que Katerina mène une vie vraiment horrible et qu’elle n’ait pas d’autre issue que de tuer son beau-père et son mari. Ce devait être pour elle la seule manière de survivre. Ainsi, elle devenait plus humaine. Quant à Tcherniakov à Lyon, il savait exactement ce qu’il voulait. Je n’avais qu’à suivre ses indications. Il avait introduit un personnage pour qui tuer était presque un acte banal.  

Pour cette production de Paris, une semaine avant les premières représentations, avec Krzysztof Warlikowski, on cherchait encore. Il a une façon très intéressante de travailler que je n’avais jamais rencontrée avant. Ce qu’il veut, c’est qu’on se mette vraiment dans la peau du personnage tel qu’il le voit à chaque moment précis de l’action. Afin que ses interprètes incarnent vraiment les personnages selon sa vision à lui, il vient sur scène et se met à jouer lui même. Il change de rôle à toute allure, il fait Katerina, puis, il fait Serguei. Ce sentiment qui ne vient pas de nous, il faut arriver à le connecter avec le sien à lui. Il suffit de réaliser ce qu’il demande au fur et à mesure. Krzysztof ne cherche pas à changer l’histoire, mais il veut la raconter de la façon la plus frappante, la plus belle possible à son point de vue.

Vous êtes au sommet de vos moyens. À quels nouveaux rôles rêvez-vous ?

Ah ça, je ne sais pas ! J’ai chanté tous les rôles que je voulais le plus*… Bien sûr, je suis prête pour de nouveaux challenges.

* Notamment : Tannhäuser  (Venus) ; La Gioconda et Tosca (rôle-titre) ; Château de Barbe-Bleue (Judith)
 
 Propos traduits de l’anglais, recueillis le 23 mars 2019

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