L’équipe réunie par Karajan à Londres en 1956 l’a bien compris, et signe ici l’une des plus grandes réalisations de l’histoire du disque. Imposant la stéréo – quand Legge se contentera de la mono pour Capriccio deux ans plus tard, ouvrage il est vrai moins facilement vendable –, Karajan se fait ici alchimiste. Son art combine l’opulence orchestrale à une précision dramatique irrésistible, offrant aux chanteurs un écrin d’une souplesse et d’une évidence rares. Schwarzkopf, impériale, propose ici l’une de ses incarnations les plus incontestables, conjuguant comme personne raffinement vocal et intelligence du texte. La toute jeune Christa Ludwig campe un Octavian ardent et juvénile, face à l’Ochs d’Otto Edelmann, plus nuancé qu’on ne l’a parfois dit ; face à eux, Teresa Stich-Randall, remplaçant Rita Streich empêchée, apporte à Sophie une fraîcheur radieuse. Notons également la présence de la grande Ljuba Welitsch en Marianne, et du jeune Gedda en Chanteur italien – de quoi compléter un plateau déjà prestigieux ! Bien plus qu’un classique, cette intégrale, parfois approchée (Crespin et Solti chez DECCA dix ans plus tard, Ludwig, Jones et Popp sous la baguette passionnée de Bernstein en 1971 pour SONY, ou encore Te Kanawa, Von Otter et Hendricks dans le somptueux écrin de la Staatskapelle de Dresde avec Haitink, EMI 1990…) mais jamais vraiment égalée, reste la pierre angulaire de toute discothèque idéale.
Elisabeth Schwarzkopf (La Maréchale), Christa Ludwig (Octavian), Teresa Stich-Randall (Sophie), Otto Edelmann (Baron Ochs), Eberhard Waechter (Faninal), Ljuba Welitsch (Marianne), Paul Kuen (Valzacchi), Nicolai Gedda (Un chanteur italien)
Philharmonia Orchestra and Chorus, Chœurs d’enfants de la Loughton High School for Girls et de la Bancroft’s School
Herbert von Karajan (direction) EMI 1957 (parution)