Carmen mise en scène l'été dernier à Orange par Louis Désiré telle une partie de coinche avait fait chou blanc, malgré la présence de Jonas Kaufmann. Belote. La reprise de cette même production à Avignon en confirme les irrémédiables faiblesses. L'usage ad nauseam de la symbolique des cartes à jouer et l'inconfort du décor stylisé qu'elle suscite ; la gestion maladroite de la masse chorale – même divisée par trois – ; les inadmissibles incohérences entre gestes et livret ; l'indigence du mouvement : tout agace dans cette représentation laborieuse du chef d'œuvre de Bizet avec, pour résultat à Avignon comme à Orange, le metteur en scène et son équipe chahutés par le public au moment des saluts. Rebelote.
Une telle approche n'aide évidemment pas Karine Deshayes à imposer sa conception d'un personnage trop mythique pour ne pas être difficile à interpréter. Oserait-on reprocher à Carmen d'être trop belle ? Cette voix dont on a pu apprécier dernièrement dans Rossini la rondeur épanouie trouve dans les raucités sauvages de la bohémienne un terrain d'expression moins favorable. La prononciation du français est irréprochable mais le registre supérieur voudrait être plus sollicité pour faire valoir son éclat, les mélismes accentués pour flatter une agilité ici sous-employée. N’étaient la justesse de l’intonation et des aigus souvent en épaulé-jeté, Florian Laconi offre à Don José un chant fougueux et clair, dont la clarté nous semble relever de la meilleure école française, où le mot se détache avec netteté, où les sons sont habilement mixés lorsqu'il s'agit d'exprimer des notes tendres, tel le Si bémol de « la fleur » longuement tenu dans ce qui s'avère à juste titre l’air le plus applaudi de la matinée.
En marge du couple vedette, Thomas Dear est un Zuniga pâteux et l'Escamillo pâlichon de Christian Helmer s'avère encore jeune pour un rôle demandant superbe et ampleur à chacun des extrêmes de la tessiture. Avec son soprano tranchant, égal sur la longueur et exempt de mièvrerie, Ludivine Gombert extirpe Micaëla de la convention. Seul le vibrato peut paraître trop prononcé quand la silhouette, au contraire, se détache, volontaire. La qualité du chœur et des seconds rôles achève de tirer la représentation vers le haut : Philippe-Nicolas Martin (Moralès), Philippe Ermelier (Le Dancaïre), Clémence Tilquin (Frasquita), Albane Carrère (Mercédès), Raphaël Brémard (Le Remendado), tous intelligibles et vrais le temps de leurs courtes interventions.
A Orange, une distribution internationale pouvait excuser l'usage de la version Guiraud (où les passages parlés sont remplacés par des récitatifs chantés apocryphes). Puisque tous les chanteurs à Avignon sont capables de dire le texte, pourquoi s'être dispensé de la partition originale, autrement nerveuse ? Empesée par ce choix malheureux, la direction de Laurent Campellone peine à arracher de l'Orchestre Régional Avignon-Provence les innombrables couleurs imaginées par Bizet. Subsistent l'équilibre des volumes, le dosage mesuré des contrastes sonores, tout ce qui caractérise la maîtrise d'un style dont on aurait parfois aimé que la lecture s'affranchisse pour laisser déferler, derrière l'assurance du geste, la houle des passions.
Opéra-comique en quatre actes (1875)
Livret de Henri Meilhac et Ludovic Halévy
(Editions musicales Leduc)
Nouvelle production des Chorégies d’Orange
Mise en scène / Décors / Costumes
Louis Désiré
Lumières
Patrick Méeüs
Carmen
Karine Deshayes
Micaëla
Ludivine Gombert
Frasquita
Clémence Tilquin
Mercédès
Albane Carrère
Don José
Florian Laconi
Escamillo
Christian Helmer
Zuniga
Thomas Dear
Moralès
Philippe-Nicolas Martin
Le Dancaïre
Philippe Ermelier
Le Remendado
Raphaël Brémard
Chœur et Maîtrise de l’Opéra Grand Avignon
Direction des Chœurs
Aurore Marchand
Orchestre Régional Avignon-Provence
Direction musicale
Laurent Campellone
Opéra Grand Avignon, Dimanche 5 juin 2016 à 14h30
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