De toutes les comédies en un acte que Rossini troussa au début de sa carrière, Il signor Bruschino n’est sans doute pas la plus mémorable, à part pour son ouverture dans laquelle les instrumentistes frappent avec leur archet sur leur pupitre. Le festival de Pesaro a évidemment l’obligation de remettre régulièrement sur le métier même les partitions les moins glorieuses, et il suffit parfois qu’une rencontre ait lieu entre un interprète et un metteur en scène pour que la révélation tant attendue se produise. Hélas, rien de tel pour Bruschino en 2012. Le R.O.F. avait pourtant misé sur une production innovante, enfin, on pouvait l’espérer : dans le domaine du théâtre parlé, le groupe Teatro Sotterraneo a été primé en Italie pour quelques spectacles frappants. Mais l’opéra a de tout autres exigences et laisse moins de liberté. La mise en scène repose ici sur une idée directrice : l’action se déroule dans un « Rossiniland », et les protagonistes sont autant d’employés en costume « rossinien » qui accueillent les touristes. L’allure et l’attitude des visiteurs offre parfois un contrepoint à ce qui se chante, mais pas assez pour justifier un concept qui n’a finalement aucune pertinence particulière : tous les opéras du compositeur pourraient être ainsi transposés dans un Rossiniland sans y gagner grand-chose (seul peut-être Le Turc en Italie y serait légitime, compte tenu de la mise à distance de l’action par le personnage du poète) et l’intrigue de Bruschino s’y déroule exactement de la même manière qu’elle se déroulerait dans une représentation ordinaire. Cela nous vaut juste un décor délibérément « toc » – ce n’est qu’une façade pour touristes – et des costumes évoquant la fin du XVIIIe siècle par leurs formes mais taillés dans des matériaux modernes et flashy. A part ça, quelques petits gags ici et là, qui ne suffisent pas à éveiller un intérêt durable pour des personnages sans épaisseur.
Le DVD a déjà immortalisé la très classique et très plate production de Michael Hampe, conçue dans le cadre d’un série regroupant quatre de ces « farces » de jeunesse, vue en 1992 Salle Favart. Le ténor David Kuebler n’avait rien de bien italien dans la voix, mais Alessandro Corbelli et Alberto Rinaldi connaissaient le style rossinien, et Amelia Felle y était une solide Sofia. Sur le plan vocal, les deux « vieillards » ont peu à envier à leurs prédécesseurs. On se réjouit d’entendre à Pesaro l’excellente basse Carlo Lepore, remarqué à Jesi dans plusieurs œuvres comiques de Pergolèse, et Bartolo du Barbier à Bastille en septembre 2014. Avec un timbre plus clair, Roberto de Candia lui donne une réplique tout à fait adéquate, et l’on enrage que la mise en scène ne permette pas au personnage d’exister comme il le devrait. Le ténor espagnol David Alegret est habitué aux rôles rossiniens les plus exigeants, mais Bruschino ne lui donne guère l’occasion de faire valoir ses qualités belcantistes. En Sofia, dont le grand air a tenté des interprètes comme Mariella Devia ou Olga Peretyatko, Maria Aleida multiplie les envols acides vers le suraigu, avec un style « opéra-comique » qui paraît un peu déplacé dans ce répertoire. Quant à la direction de Daniele Rustioni, tout le talent du chef ne lui permet pas de faire de miracles. On pourra donc se dispenser de visiter ce Rossiniland superflu.