A Milan aussi, la version Strehler a longtemps dominé au point qu’on ne pouvait envisager d’autre production des Noces de Figaro. A Paris, on attend encore celle qui pourra succéder à la mythique mise en scène de 1973, après d’innombrables reprises jusqu’en 2012 (et avec la version Marthaler pour un bref interlude en 2006-2008). A La Scala, un choix a courageusement été fait en octobre 2016, en prenant pour prétexte le 225e anniversaire de la mort de Mozart (et le 260e de sa naissance, peut-être). Pour remplacer Strehler, on a fait appelà un Britannique, Frederic Wake-Walker, très remarqué à Glyndebourne en 2014 pour sa Finta giardiniera – il doit d’ailleurs revenir à Milan au printemps prochain avec cette même Finta, et l’on guette avec intérêt ce qu’il fera d’Onéguine à Strasbourg en juin. Ce choix s’avère hélas une fausse bonne idée, car la méthode qui avait fait merveille avec un Mozart de jeunesse, au livret stéréotypé, achoppe sur le livret de Da Ponte. Souligner l’artificialité en montrant l’envers du décor, mettre en relief la théâtralité en ajoutant un souffleur visible sur le plateau, en mélangeant l’époque de l’œuvre et la nôtre, en introduisant une armée de figurantes relookées par un émule de Thierry Mugler, en transformant le chant des deux paysannes en numéro de music-hall… tout ça fonctionnerait sans doute mieux avec une pièce moins parfaite que le chef-d’œuvre de Beaumarchais.
Et pour que ces trucs aient une chance de marcher, encore faudrait-il aussi une direction d’orchestre un peu plus vivante que celle de Franz Welser-Möst, qui semble se soucier de théâtre comme d’une guigne. Certes, cela permet quelques raffinements de phrasé en fosse, mais il ne s’agit pas ici d’une symphonie, et rarement Noces auront été aussi lentes depuis Karl Böhm. A plus d’un moment, la somnolence guette franchement ; le spectacle semble enfin trouver son rythme au dernier acte, mais il est trop tard.
Pour convaincre, peut-être cette production aurait-elle aussi besoin d’une distribution un peu différente. En 2006, sur cette même scène, Diana Damrau participait à la production Strehler des Noces de Figaro. Nuit et jour, à tout venant, je chantais Suzanne, ne vous déplaise. – Eh bien, Comtesse, maintenant ! Mais une comtesse impétueuse, voire pétulante, et sans la noblesse qu’on aimerait associer au personnage. Une Zerbinette à vibrato qui essaye d’autres rôles, alors que l’ascenseur social lyrique n’a rien d’automatique. A l’inverse, Golda Schultz semblait s’être un peu prématurément risquée en comtesse à Glyndebourne : Suzanne lui convient beaucoup mieux, même si la direction d’acteur ne la laisse guère s’épanouir.
Markus Werba, apprécié en Don Giovanni à Paris, est un Figaro baryton, auquel fait défaut le grave de la tessiture : dans le sextuor, il est d’ailleurs obligé de transposer à l’octave la note grave qui devrait conclure sa série des « Che a te lo dirà ». Quant à Carlos Alvarez, quand il cherche à se reposer d’un répertoire plus tardif et plus lourd, il oscille entre Figaro (à Vienne, par exemple) et le Comte, Don Giovanni restant son emploi de prédilection, comme il sied à un baryton.
Pour le reste, Marianne Crebassa est le superbe Chérubin que l’on connaissait déjà. Andrea Concetti est la vraie basse qu’exigent Bartolo et Antonio (l’artiste se partage les deux rôles, comme à la création, et à la fin la mise en scène ne cherche même plus à les distinguer clairement par la tenue et le maquillage). Avec un Basilio-Curzio de luxe comme Krešimir Špicer, on comprend que son air du dernier acte ait été conservé, même si le pauvre est affublé d’une tenue latex évoquant un courtisan de la Renaissance. Et tant qu’à faire, aurait-il vraiment été impossible de laisser Anna Maria Chiuri, Marceline à la voix saine, chanter « Il capro et la capretta » ?
En résumé, un DVD qui n’apporte vraiment pas grand-chose à la vidéographie des Noces de Figaro, déjà riche en réussites absolues, comme la production de Claus Guth à Salzbourg, pour n’en citer qu’une.