De la traditionnelle représentation allégorique de l’Allemagne, Dorothee Mields a la blondeur, tout comme elle a les longs cheveux (blonds) de l’art gothique symbolisé par Delaroche dans sa fresque de l’Ecole des Beaux-Arts. Et ce que nous dit son apparence physique était jusqu’ici confirmé par son répertoire vocal. La soprano allemande s’était jusqu’ici consacrée à un répertoire germanique : avant tout vestale de Bach, elle chantait aussi Schütz et Telemann. Lorsqu’elle sortait des frontières de son pays natal, c’était au mieux pour se tourner vers les Anglo-Saxons, avec plusieurs disques de musique anglaise du temps de Purcell. Mais voilà que tout change, et ce sont les rivages de la Méditerranée qu’elle aborde à présent, avec une double offensive. En octobre dernier paraissait un disque où, certes elle interprétait son compatriote Haendel, mais des cantates italiennes de ce dernier. Sa prestation avait déjà pu dissiper tout doute quant à son adéquation stylistique : en l’écoutant dans Tra le fiamme, on était rassuré, et l’on se rendait bien compte que ce virage n’avait pas été pris sans une solide préparation. Et voici que sort maintenant un disque non seulement en italien, mais dédié à un compositeur de la péninsule.
Comment Dorothee Mields s’empare-t-elle de Monteverdi ? L’incontestable beauté de son timbre – jusque dans d’impressionnantes descentes dans le grave – suffirait à rendre acceptables bien des choses, mais ce n’est pas tout. Aucun problème sur le plan linguistique, le travail a été accompli et porte ses fruits, puisque la soprano maîtrise la vélocité indispensable à certaines mélodies où il faut pouvoir babiller allègrement. Et sur le plan interprétatif, cette italianità nouvelle évite par bonheur tout expressionnisme hors de propos : italienne mais pudique, méditerranéenne sans cris, telle est la vision que propose ce disque. Malgré le titre, Dorothee Mields n’est pas Anita Eckberg et ne s’en va pas patauger dans la fontaine de Trevi : même si elle reste plus mesurée que ce qu’on pu entendre ailleurs, l’expression de la douleur a toute sa place ici (voir le superbe « La piaga ch’ho nel core »). Les pièces retenues sont en partie sacrées : Après un premier bouquet de madrigaux, on passe de l’italien au latin lorsque l’on en arrive à quatre pages religieuses, pour lesquelles le ton change inévitablement, mais où l’émotion affleure néanmoins (il faut d’autant plus le souligner que la langue de l’Eglise sert parfois de prétexte à certains interprètes pour basculer dans l’inexpressivité). On touche même à l’opéra avec le célèbre lamento d’Ariane, et avec l’air de Valletto dans Le Couronnement de Poppée.
Plusieurs respirations orchestrales sont également incluses, qui permettent de mieux entendre l’ensemble Lautten Compagney qui accompagne la chanteuse dans le reste du programme. Une douzaine d’instrumentistes composent cette formation allemande qui offre un soutien nourri à la voix et contribue indéniablement au charme de ce récital.