Un jeune interprète n’ose pas forcément se mesurer d’emblée à ses aînés, et préfère souvent attendre avant d’affronter les œuvres les plus connues du répertoire. Cette contrainte peut se révéler un atout, lorsqu’elle stimule la curiosité des artistes et les pousse à explorer des chemins peu fréquentés. La jeune soprano italienne Rosa Feola a ainsi eu l’idée judicieuse d’enregistrer quelques pages moins connues parmi celles que la poésie nationale a inspirées à ses compatriotes. De Respighi mélodiste, on connaît surtout Il Tramonto, tandis que de Martucci, on entend à peu près exclusivement La Canzone dei ricordi, ces deux pièces étant d’ailleurs parfois couplées dans les concerts et les enregistrements. Excellente surprise, donc, que de pouvoir découvrir de tout autres compositions de ces deux grands du début du XXe siècle. Le programme du disque Musica e Poesia est conçu comme une remontée dans le temps, vers des musiciens de plus en plus anciens : partant de Respighi et Martucci (nés respectivement en 1879 et 1856), on recule ainsi peu à peu, avec Ponchielli (né en 1834) et le très inconnu Ciro Pinsuti (né en 1829), pour conclure avec le doyen qui, pour n’être pas natif de la Péninsule, n’en fut pas moins inspiré par l’œuvre de Pétrarque : Franz Liszt, né en 1811. Les textes suivent à peu près la même trajectoire : les premiers sont dus à des auteurs du XIXe siècle (Arturo Birga, Giosuè Carducci), voire plus récents (Antonio Rubino), puis l’on remonte d’un demi-millénaire avec Dante et Pétrarque.
Les Sonnets de Pétrarque de Liszt sont plus souvent confiés à des voix masculines, mais Rosa Feola nous montre ce qu’une soprano peut en faire. Il est toujours amusant de comparer deux mises en musique d’un même poème : c’est ce que permet ce disque, avec les deux versions du célébrissime sonnet « Tanto gentile » de Dante. De Martucci, on apprécie d’entendre une musique moins chargée de mélancolie que sa Canzone dei ricordi.
En 2013, Theodora Gheorghiu gravait déjà le cycle Deità silvane de Respighi (1917), auquel est ici adjoint un autre œuvre de Respighi, ses Rispetti toscani de 1915, dont le ton est tout autre : au symbolisme décadent des unes répond la fausse simplicité populaire des autres. Rosa Feola leur prête une voix charnue et se montre attentive au texte, soutenue par le piano d’Iain Burnside, accompagnateur régulier des « Rosenblatt Recitals », série de concerts fondée en 2000 qui débouchent en général sur un enregistrement par le label Opus Arte. Ces disques n’ont pas toujours convaincu par le passé, peut-être faute d’une adéquation réelle entre l’interprète et les œuvres mises au programme. Rien de tel, cette fois, puisque la soprano italienne comprend tout ce qu’elle chante et sait nous le faire partager. La voix est charmante, agile mais solide, elle sait se parer d’intentions bienvenues, et l’on guette donc l’évolution de cette artiste dans les décennies à venir. Applaudie notamment en Ilia à Lille au début de l’année dernière, Rosa Feola mène sa barque avec sagesse, et l’on prêtera une oreille attentive à la Suzanne qu’elle interprètera cet été à Glyndebourne après l’avoir rodée dans plusieurs villes d’Italie ou d’Allemagne.