Des opéras de Rameau dont on possède trois versions discographiques, ce n’est pas si courant. Les Indes galantes, Hippolyte et Aricie, à la rigueur Castor et Pollux, mais pour un titre aussi rare que Naïs, qui l’aurait cru ? C’est pourtant le cas, et la version aujourd’hui publiée par Glossa est bien la troisième intégrale de cette œuvre, après celles qu’ont dirigées Nicholas McGegan en 1980 et Hugo Reyne en 2011. Et c’est de Hongrie qu’elle nous vient, grâce à la très fructueuse collaboration établie entre le Centre de musique baroque de Versailles et le Palais des Arts (Müpa) de Budapest, où se produisent régulièrement le chef György Vashegyi, son Orfeo Orchestra et le Purcell Choir. Selon une formule désormais éprouvée, la France fournit les principaux chanteurs et la Hongrie offre tout le reste, pour un résultat généralement brillant dans la musique baroque française, en particulier chez Mondonville récemment. L’enregistrement de Naïs se range dans la catégorie des réussites totales.
Malgré la présence de Jennifer Smith et de quelques solistes tenant assez bien leur rang, la version McGegan pâtissait de la mollesse de ses chœurs et du manque de nerf de sa direction. Quant à l’intégrale dirigée par Hugo Reyne, on avait pu déplorer qu’elle intervînt un peu trop tard dans la carrière des trois principaux chanteurs. Chez Glossa, tout change, grâce à une équipe vocale jeune mais rompue aux difficultés, réelles et nombreuses, de la musique de Rameau. Le rôle-titre exige une voix qui puisse à la fois sonner comme celle d’une jeune fille et maîtriser le dramatisme de certains passages : se jouant des embûches semées par le compositeur, Chantal Santon Jeffery sait conférer au personnage fraîcheur et autorité à la fois, et l’on s’intéresse enfin aux trois actes de marivaudage dont on pensait jusque-là qu’ils étaient loin d’égaler le prologue dans lequel Rameau s’est surpassé. Même savant mélange de jeunesse et de virtuosité chez ses prétendants : Reinoud van Mechelen prête à Neptune une délicatesse raffinée qui n’exclut pas la vaillance, et Thomas Dolié excelle une fois de plus, dans le rôle torturé de Télénus, soupirant malheureux dont la souffrance s’exhale dans des dialogues admirablement ciselés. Second rôle de luxe avec Florian Sempey, magistral Jupiter du prologue, et non moins admirable Tirésie. Manuel Nuñez Camelino donne à Astérion un timbre de ténor de caractère, et Philippe-Nicolas Martin tire le meilleur du rôle bref de Palémon. A Daniel Skorka échoient quelques très beaux airs, dont l’exquis « Je ne sais quel ennui me presse », exécutés avec panache.
Pour que le bonheur soit complet, il fallait que ces qualités se retrouvent partout. C’est le cas ! Le Purcell Choir n’en est plus à sa première incursion dans la musique française, et sa maîtrise de notre langue est digne des plus grands éloges, tout comme la vigueur et la richesse de chacune de ses interventions. Et l’Orfeo Orchestra se montre lui aussi prodigue en splendeurs instrumentales, non seulement dans le renversant Prologue, mais aussi dans les divertissements des trois actes, avec notamment de succulentes musettes dans la bergerie du deuxième acte. Allez, encore une bonne nouvelle : le CMBV annonce pour les années à venir plusieurs autres projets Rameau avec György Vashegyi…