Un paysan naïf est amoureux d’une jolie fermière. Surviennent un galant militaire et un charlatan rusé. Autour de ces quatre personnages Donizetti et son librettiste ont créé une œuvre légère et touchante dont le succès fut immédiat.
Sous-titrée “opera comica“, L’Elisir d’amore — inspiré d’un livret de Scribe écrit pour Auber d’après une pièce italienne Il filtro — est à mi-chemin entre opera buffa italien et opéra comique à la française.
Le charmant prélude suivi d’un joyeux chœur de moissonneurs, installe d’emblée le climat bucolique et affectif voulu. Très vite la voix du ténor s’impose. L’air « Quanto è bella ! Quanto è cara ! » assure à Nemorino une entrée des plus brillantes. Pavarotti y déploie, avec une ardeur romantique, une voix large au timbre solaire, vraiment irrésistible. En contemplation devant son Adina, inaccessible aimée, il l’écoute lire à ses compagnes la légende de Tristan et Yseult. Si les philtres d’amour existent, tout espoir n’est pas perdu…
Hélas, un roulement de tambour annonce un vent contraire. Au son d’une marche très martiale arrive un peloton de soldats conduit par Belcore, officier aussi bellâtre qu’entreprenant. La jolie Adina résiste, mais se montre flattée. Après le départ de l’intrus, suit un ravissant duo entre les jeunes gens « Una parola, o Adina », se désespère l’amoureux transi.
Peu après, le camelot Dulcamara fait, par les cintres, une arrivée spectaculaire dans la nacelle d’une magnifique montgolfière d’où il laisse tomber une pluie de prospectus sur les paysans accourus à l’appel de la trompette. Son boniment, un bijou du répertoire bouffe, vante à grand renfort de promesses tous ses remèdes miracles.
Naturellement, Nemorino pense au philtre magique ; il interroge le charlatan. Flairant tout de suite la bonne affaire, le rusé lui vend en guise d’élixir — une fiole de vin de Bordeaux ! Après deux jours, le breuvage est censé rendre toutes les femmes folles de celui qui en a absorbé… À partir de là, les péripéties d’un deuxième acte rondement mené acheminent l’intrigue vers un dénouement heureux.
La captation de la représentation du 2 mars 1981 au Metropolitan Opera de New York nous donne la possibilité de revoir ou de découvrir Luciano Pavorotti au zénith de ses moyens vocaux dans l’un de ses meilleurs rôles.
Non content d’éblouir par son chant, il émeut par une interprétation sensible et fine. Les nombreux gros plans permettent de saisir toutes les nuances de son jeu. Il sait alors être drôle sans aucun cabotinage. En buvant ses premières gorgées d’élixir avec une gourmandise enfantine pleine d’espoir, Luciano fait franchement rire ; l’instant d’après, son envolée lyrique le « De’miei sospiri non si stanchi per or » est d’anthologie !
D’une espièglerie charmante, très à l’aise dans l’aigu et dotée d’un joli rire perlé, l’Adina de Judith Blegen ne parvient cependant pas à la hauteur de ce partenaire d’exception. Le timbre, légèrement nasal, manque de séduction ; les vocalises sont imprécises ; la diction laisse à désirer. Sauf dans quelques rares moments où Pavarotti lui communique son trop plein d’émotion, le jeu demeure assez extérieur.
Le baryton Brent Ellis, qui interprète Belcore, se démène comme il peut pour jouer les conquérants, mais ses efforts tombent souvent à plat. Et la voix affectée d’un vibrato perceptible et d’un timbre ingrat n’est guère attrayante.
Heureusement — car ce rôle essentiel est fort difficile —, la basse italienne Sesto Bruscatini (qui fut professeur de Rockwell Blake) est excellentissime dans Dulcamara ! Le crescendo construit par Donizetti allie avec science la musique à la prosodie. Exécuté ici avec une folie parfaitement contrôlée, il ne peut que laisser les villageois et, du même coup les spectateurs, éberlués. Bruscatini sait doser ses effets, il en fait ni trop ni trop peu, amuse tout en restant imperturbable. Le duo qui suit entre ces grands interprètes de Dulcamara et Nemorino est des plus savoureux
Nicola Rescigno — chef italien né à New-York, à la carrière essentiellement américaine— conduit avec précision dans un tempo rapide cette partition très rythmique. L’influence rossinienne est évidente— surprises mélodiques en moins. Les chœurs, incompréhensibles, semblent assez brouillons ; les danses, conventionnelles, manquent de naturel, de légèreté.
Très classique et efficace, la mise en scène comporte quelques jolies idées de gags discrets. Les décors en toiles peintes, costumes et accessoires, jouant sur des harmonies de bruns, de camaïeux beige rosé rehaussés de touches de couleurs adoucies, sont conçus dans une esthétique romantique inspirée des peintures de la vie rurale du début XIXe. À noter, le premier rideau et les beaux flacons en forme d’ogive qui contiennent l’élixir !
Pour conclure, évoquons la célèbre romance « Una furtiva lagrima » avec son doux accompagnement de harpe. On ne peut rêver meilleure interprétation ; à ce degré d’émotion et de perfection, mieux vaut renoncer à tout commentaire pour ne mentionner que les frissons ressentis. Avis aux amateurs.
Brigitte CORMIER