Quelle belle idée que celle de la firme Cypres de s’engager dans la valorisation du patrimoine du théâtre de La Monnaie de Bruxelles, en coopération avec les équipes de Peter de Caluwe ! Après un disque en hommage à la regrettée Susan Chilcott , très salué par la critique, et un CD Mozart live de Sophie Karthäuser, un double CD est consacré à l’immense carrière de José van Dam dans la capitale belge, entre 1981 et 2002. Les liens du baryton-basse avec La Monnaie sont bien connus… alors même qu’il n’y a débuté qu’une fois sa carrière lancée sur le plan international, après Paris, Genève et Berlin.
On imagine que le choix, parmi les centaines d’heures d’enregistrement, a été difficile et, même si l’on regrette quelques absents, en particulier Figaro ou Leporello, le panorama est fascinant, bien plus que celui présenté par n’importe quel best of, du type de celui proposé par EMI en 2005. Le caractère live des enregistrements donne une dimension inestimable à ces captations, témoignages du timbre de José van Dam et de sa présence sur scène, sans retouches de studio.
Saluons d’abord la qualité de l’objet discographique, par delà le titre (ni flamand, ni français mais … curieusement anglais). Le livret comporte le texte des extraits (en cyrillique pour Boris) et un hommage signé Sylvain Fort complète de la meilleure des manières un coffret qui sort à tous égards du lot, à l’heure des disques discount…
Commençons par le second disque, consacré à l’opéra français et italien, qui nous permet de retrouver avec plaisir son Filippo II (en italien, donc, malheureusement), son immense Falstaff, son Simon Boccanegra d’une autorité convaincante et un rare Selim du Turco in Italia. On pourra toujours relever ici quelques notes « limites » ou encore interroger le choix de Selim, s’agissant d‘une production de 1995. sur ce dernier point, la première écoute en fait douter tant ce répertoire, qui pose certaines difficultés techniques à van Dam, n’était pas vraiment le sien ; la deuxième rassure et donne une excellente illustration de la vis comica du baryton-basse ! Dans Falstaff, sa verve éclate, et on ne peut que regretter qu’aucune intégrale ne figure à la discographie de l’ouvrage. Don Giovanni est là aussi même si on peut préférer Van Dam en Leporello. Les trois extraits chantés en français permettent de souligner l’incroyable densité et la clarté de sa prononciation, en particulier dans Golaud ou le Méphisto berliozien qu’il a marqués à jamais. Et quand le texte est aussi présent, n’est-ce pas signe que tout le reste est à l’avenant, surtout quand la nature dote un chanteur d’un timbre de ce grain-là ?
Pour ceux qui connaissent mal le chanteur belge, la surprise viendra sans doute du premier CD consacré à l’opéra allemand et russe. A vrai dire, la voix de José van Dam, ni française, ni italienne, ni wagnérienne, est avant tout une voix saine, bien chantante qui s’adapte à tous les répertoires. Ce CD en est l’illustration, avec un Jochanaan particulièrement sûr de son fait, voire arrogant, et un Sachs particulièrement bienvenu pour illustrer la sauvegarde de l’art « noble et allemand » du chant. Die Frist ist um en ouverture rappelle aussi quel Hollandais van Dam a été sur toutes les scènes du monde mystérieux et touchant. Quant à Boris, il est incarné, au diapason de la magnifique photo de couverture, souvenir de la production de 2006.
Comme le portrait que nous lui consacrons essaye de le montrer, le rayonnement de José van Dam a dépassé, et de loin, les frontières de la Belgique. Cela doit aussi être le cas de ce disque. Ainsi que l’écrit Sylvain Fort, ce que José van Dam « nous a offert, et continuera de nous offrir, ne prend pas place parmi les émotions dont on regrette la fuite, mais parmi les biens acquis pour toujours, et que nous devons absolument faire connaître autour de nous en signe, nous aussi, de fidélité, et de gratitude ».
Jean-Philippe THIELLAY