On ne présente plus Fritz Wunderlich, ténor légendaire disparu à 35 ans, qui illustra tous les genres avec le même bonheur, du Lied à l’opérette en passant par l’opéra, l’oratorio, la cantate, la chanson de variété et la musique contemporaine (Encyclopédie subjective du ténor: Fritz Wunderlich ou l'absence du soleil). Ce dernier coffret s’inscrit dans une riche série que lui consacre le label SWR>>music. La SWR a remasterisé ses bandes originales de 1953 à 1960, les dates et lieux précis des enregistrements figurent en dernière page du livret. A ce propos, il faut rappeler que l’appellation d’origine de l’orchestre était RSO Stuttgart [Radio-Sinfonie Orchester], qui devint Südwestrundfunk Orchester. L’ensemble comporta deux formations symphoniques complémentaires (Stuttgart et Baden-Baden/Freiburg) qui fusionnèrent en 2016.
Les enregistrements valent, déjà, par les solistes, Fritz Wunderlich au premier rang, bien sûr, et par le choix des pièces, toutes des chefs-d’œuvre de la musique sacrée. Jugez-en : la Passion selon Saint-Jean, des extraits de l’Oratorio de Noël, pour Bach ; Le Messie de Haendel (en allemand, évidemment) ; le Requiem et la Messe en ut mineur de Mozart ; enfin, des extraits du Requiem de Verdi et le trop rare « In terra pax » de Frank Martin.
Ce sont avant tout des documents, qui rappelleront des souvenirs aux plus âgés, et permettront aux autres de mesurer l'ampleur de la métamorphose de la musique baroque depuis ces années. Ainsi faut-il oublier parfois un orchestre et des chœurs, qui reflètent la pratique d’alors. Orchestre d’instruments « modernes », trop souvent pâteux, lourd, indigeste, chœurs massifs, sinon poussifs, dont la prise de son ne favorise ni la clarté ni l’intelligibilité, des chefs consciencieux, mais dépourvus d’imagination (sauf Hans Müller-Kray). Si, parfois, le miracle opère et que la plénitude recueillie, accablée, ou la force dramatique sont perceptibles, on le doit surtout aux solistes, tous remarquables. Fritz Wunderlich est admirable : son Evangéliste, dans la Passion selon Saint Jean, est superlatif. « Barrabas aber war ein Mörder... », l’arioso et l’aria qui suivent méritent à eux seuls que l’on acquierre l’enregistrement. Les récitatifs sont animés, dramatiques à souhait, avec une ligne admirable, une souplesse et une articulation exemplaires. Quant aux arias, confiées à Hans Joachim Rotsch, ce sont des leçons magistrales dont nos chanteurs contemporains pourraient s’inspirer, comme l’a fait Jonas Kaufmann de Wunderlich. L’équipe qu’il forme avec Agnès Giebel, Marga Höffgen, Gottlob Frick, pour ne citer que les plus célèbres, est habitée, complice.
Les extraits de l’Oratorio de Noël (1955) confirment le rayonnement et la conduite admirables de Wunderlich, mais l’orchestre, son continuo horrible, comme ses solistes sont détestables (en 1952, Grossmann, à Vienne, faisait bien autre chose). Le Messie (1959) est empâté, on souffre à l’écoute de l’orchestre, jusqu’à ce que la voix de Wunderlich nous retienne (« Tröste dich »), lumineuse…
Après cette médiocrité orchestrale, le Requiem de Mozart est une heureuse découverte, le chef, Hans Müller-Kray, prédécesseur de Celibidache à Stuttgart, impose à ses interprètes une expression juste, animée. Si les chœurs et la prise de son trahissent l’âge (1958), les modelés, les tempi sont singulièrement modernes, on pense à Currentzis. Les solistes sont superbes, évidemment. A signaler que ce chef dirige également la Messe en ut mineur, complétée et retravaillée par Georg Alois Schmitt (avec adjonction de pièces d’Eberlin et d’autres œuvres de Mozart). L’ensemble est d’égale qualité, cohérent et bienvenu.
C’est toujours Hans Müller-Kray, trop tôt disparu, qui galvanise ses interprètes pour le Requiem de Verdi, en 1960, dont seuls trois extraits – auxquels participe Wunderlich – nous sont offerts.
Choix le plus opportun pour clore cette somme : l’intégralité de « In terra pax », de Frank Martin, donné huit ans après sa création par Ansermet à Genève (1945), sans orgue, le Grand studio n’en possédant pas. L’œuvre est monumentale par les moyens mobilisés (5 solistes, 2 chœurs mixtes, un chœur d’enfants, orchestre symphonique, deux pianos, orgue), à la mesure du projet : célébrer les épreuves traversées par la guerre et la joie sereine de la paix retrouvée. En dehors des ensembles, le rôle du ténor, relativement modeste (II/5 «Wächter, sage, was Dir kündet die Nacht» [Sentinelle, que dis-tu de la nuit ?] ; III/9 «Selig sint, die da Leid tragen» [Heureux les affligés]) paraît essentiel : l’œuvre vaut par la fusion de tous dans un même message délivré au monde.
Une somme avec des solistes tous plus remarquables les uns que les autres, un orchestre décevant, ou exemplaire, selon les chefs, des chœurs comme on les appréciait dans les années cinquante-soixante. Le témoignage, centré sur Fritz Wunderlich, mérite attention pour l’ensemble, et suscite une réelle admiration pour les Mozart et l’oratorio de Franck Martin.
un coffret de 7 CD
label SWV>>music (Naxos)
Fritz Wunderlich
Geistliche Music [Musique sacrée]
CD1-2
Johann Sebastian Bach
Johannes Passion
Agnes Giebel, soprano / Marga Höffgen, alto / Fritz Wunderlich, L’Evangéliste / Hans Joachim Rotsch, ténor / Horst Günther, Jésus / Heinz Rehfuss, basse, Pilate et Pierre
Freiburger Bachchor
Südwestfunk-Orchester
Direction musicale
Theodor Egel
Oratorio de Noël (cantates I à III, BWV 248)
Fritz Wunderlich, ténor
RSO Stuttgart
Direction musicale
August Langenbeck
CD 3-4
Georg Friedrich Haendel
Der Messias, HWV 56
Tilla Briem, soprano / Margarethe Bence, alto / Fritz Wunderlich, ténor / Otto von Rohr, basse
Philharmonischer Chor Stuttgart
RSO Stuttgart
Direction musicale
Heinz Mende
CD 5-6
Wolfgang Amadeus Mozart
Requiem en ré mineur, K. 626
Agnes Giebel / Iva Malaniuk, alto / Fritz Wunderlich, ténor / Otto von Rohr, basse
Bach Chor Stuttgart
RSO Stuttgart
Direction musicale
Hans Müller-Kray
Messe en ut mineur, K.427 (avec additions de Georg Alois Schmitt)
Agnes Giebel et Valerie Bak, sopranos / Fritz Wunderlich, ténor / Friedheim Hessenbruch, basse
Südfunk-Chor & Bach-Chor Stuttgart
RSO Stuttgart
Direction musicale
Hans Müller-Kray
CD 7
Giuseppe Verdi
Messa da Requiem (extraits)
Maria Stader, soprano / Marga Höffgen, alto / Fritz Wunderlich, ténor / Gottlob Frick, basse
RSO Stuttgart
Direction musicale
Hans Müller-Kray
Frank Martin
In terra pax, oratorio pour soprano, alto, ténor et basse, deux chœurs mixtes et orchestre (1944)
Agnes Giebel, soprano / Marga Höffgen, alto / Fritz Wunderlich, ténor / Herbert Bauer, baryton / Paul Sandoz, basse
Freiburger Bachchor
Orchestre Philharmonique de Fribourg
Direction musicale
Theodor Egel
Un coffret de 7 CD, Naxos-SWR>>music SWR19095CD, de 408' 26 (6 h 48' 26), enregistrements de 1953 à 1960, remastérisés en 2020 pour cette édition
VOUS AIMEZ NOUS LIRE…
… vous pouvez nous épauler. Depuis sa création en 1999, forumopera.com est un magazine en ligne gratuit et tient à le rester. L’information que nous délivrons quotidiennement a pour objectif premier de promouvoir l’opéra auprès du plus grand nombre. La rendre payante en limiterait l'accès, a contrario de cet objectif. Nous nous y refusons. Aujourd’hui, nous tenons à réserver nos rares espaces publicitaires à des opérateurs culturels qualitatifs. Notre taux d’audience, lui, est en hausse régulière avoisinant les 160.000 lecteurs par mois. Pour nous permettre de nouveaux développements, de nouvelles audaces – bref, un site encore plus axé vers les désirs de ses lecteurs – votre soutien est nécessaire. Si vous aimez Forumopera.com, n’hésitez pas à faire un don, même modeste.
Sous cet intitulé un peu provocateur nous avons souhaité initier une conversation avec le sociologue Didier Eribon : ce genre, financé par la communauté, s'adresse-t-il équitablement à tous les membres de la société ?
© 2018 - Mentions légales - Tous droits réservés - Publicité - Site réalisé par Damien Ravé