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C’est « ma(ria)gnifique » !

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Dossier
23 octobre 2005

Infos sur l’œuvre

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Roberto Alagna, à la recherche du temps perdu, celui des cabarets de sa jeunesse, distend les frontières lyriques et braque les projecteurs de l’actualité sur une figure souvent méconnue, sinon méprisée, des amateurs d’opéra : Luis Mariano. A l’heure de « C’est magnifique ! », l’album en forme d’hommage que le ténor français consacre à son homologue espagnol, un pèlerinage en terre marianiste s’impose .Cinquante années après, est-il convenable d’aimer le chanteur de Mexico ?

« Il est un coin de France où le bonheur fleurit » (1).

Le voyageur égaré au fond de l’Aquitaine, une fois passé le désert des Landes, l’Adour franchi, ne cédera pas aux sirènes de La Grande Plage à Biarritz.

Plus au sud, à Bidart, il conjurera l’ombre de Wagner qui hante toujours le Château d’Ilbaritz, édifié spécialement pour abriter un orgue fantastique sur lequel, éperdu, les soirs de tempête, Albert de l’Espée reproduisait les accords funestes du maître de Bayreuth. L’instrument, signé Cavaillé-Coll, expie aujourd’hui dans la basilique du Sacré-Coeur de Montmartre son passé sulfureux.

Il n’invoquera pas plus les mannes de Ravel à Ciboure mais tournant le dos à l’océan sauvage, s’enfoncera dans les terres vertes, pas trop loin, sur les contreforts des montagnes, jusqu’à trouver l’un de ces villages dont le décor est encore d’opérette et qu’un fronton couronne. Le plus charmant d’entre eux s’appelle Arcangues.

Dans le cimetière, au pied de l’église, Luis Mariano repose désormais. Trente cinq ans après sa mort, sa tombe, sempiternellement fleurie, reste un lieu de pèlerinage. Sa demeure, construite un peu plus bas sur un terrain acquis dans les années 60, abrite les gardiens du temple, son chauffeur et complice Patchi Lacan et le fils de celui-ci, son filleul et son héritier, Mariano. L’endroit est désormais sacré, cette terre bénie.

Car tout au long de sa carrière, Luis Mariano, suivant l’exemple des vedettes hollywoodiennes de l’époque, s’est fabriqué une image absolue qu’aujourd’hui encore les fidèles vénèrent. Le culte repose sur des fondements simples, quelques figures classiques qui adroitement combinées composent un portrait idyllique, trop parfait pour être simplement celui d’un homme : le prince charmant vêtu d’or et de blanc, le séducteur couvert de femmes mais au coeur irrémédiablement brisé par un premier amour malheureux, le fils dévoué à sa Maman, « la plus belle du Monde », le bon copain, gai, jovial, le croyant sincère au coeur généreux, bref un saint tel que le consacre la biographie de Christophe Mirambeau (2).

Mais attention, toute béatification se justifie par un miracle et si ces archétypes parviennent à rester crédibles, c’est parce qu’il s’expriment au travers d’une voix naturelle qui, pour le coup, relève véritablement du divin, voix qu’il faut écouter (3) aujourd’hui d’une oreille neuve, débarrassée des espagnolades qui trop souvent la masquent.

« Soudain, la vie est là qui vous prend par le bras » (4).

Mariano Eusebio Gonzalez y Garcia est né à Irun le 13 Août 1914. Au coeur d’un pays définitivement basque où le chant coule de source, il cherche sa voie, artistique sans hésitation. Un coup de crayon assuré le conduit jusqu’à l’Ecole des Beaux-arts de Bordeaux mais, là, plusieurs rencontres décident de sa véritable vocation. A l’heure des vendanges, un vigneron mélomane, d’abord, lui révèle que sa voix est celle d’un ténor lyrique. Passons sur l’adjectif, léger serait mieux convenu, mais l’idée fait son chemin. André Varon ensuite, un ami passionné d’opéra, le loge, l’habille et le pousse vers le Conservatoire. Janine Micheau, de passage dans la ville en 1940, le remarque. Enfin et surtout, Jeanne Lagiscarde, gérante d’une maison de disques bordelaise, lui vend des microsillons de Beniamino Gigli, tombe sous le charme, devient son mentor et, en 1942, l’amène à Paris.

Sa formation vocale est alors prise en main par Miguel Fontecha. Professeur réputé, il lui forge une technique italienne. Il le prive de notes élevées durant une année, consolide pendant ce temps les registres inférieurs, adoucit les passages. Au final surgit telle Athéna triomphante de la tête de Jupiter cette voix souple, onctueuse, égale, au son délié, à l’aigu facile et fier mais à l’assise rendue suffisamment solide pour affronter le répertoire lyrique.

Donizetti lui offre l’occasion de fourbir ces jeunes armes. Ernesto de Don Pasquale, présenté au Palais de Chaillot en 1943 aux cotés de Charles Cotta (Malatesta), Vina Bovy (Norina) et Gilbert Maurin (Don Pasquale), sera sa première (et malheureusement dernière) incursion dans le domaine de l’opéra. La critique se montre plutôt favorable. Luis Mariano frappe dans la foulée aux portes de l’Opéra de Paris et auditionne à l’Opéra Comique. Il brandit alors comme fers de lance les airs de Werther, La Bohème, Madame Butterfly, Tosca, dont les titres délicieusement traduits, « adieu, séjour fleuri », « Le ciel luisait d’étoiles », donnent de l’époque une image trompeuse. Car les temps sont rudes, le pays en guerre et dans ce contexte hostile, les décisions difficiles à prendre et les réponses longues à venir.
A presque trente ans, Luis Mariano ne peut pas attendre, il déborde d’énergie, d’ambition et surtout il n’a pas le choix. Il multiplie les spectacles de variété, les émissions de radio, recherche des chansons, des compositeurs jusqu’à rencontrer Francis Lopez et Raymond Vinci.
Ensemble, ils créent, le 19 septembre 1945 au théâtre du Casino Montparnasse, La belle de Cadix qui décidera de sa carrière. Prévue pour quelques dizaines de représentations, la dame aux yeux de velours tiendra l’affiche pendant deux ans. Mais l’homme est définitivement perdu à la cause lyrique.

 » D’où vient le pouvoir que tu possèdes » (5).

A ce moment de l’histoire, le mélomane ne peut empêcher les regrets d’affluer. Les témoignages confirment ce que le disque laisse pressentir. Au-delà de sa beauté et de sa technique, la voix possédait une puissance qui l’autorisait à chanter sans micro dans de grandes salles. Les opérettes du Châtelet n’étaient pas sonorisées.

A l’âge d’or, Luis Mariano se produisait 30 à 40 fois par mois dans des spectacles d’une durée de deux à trois heures où il lui fallait aussi danser, jouer, parler. Et une fois, la pièce terminée, il prolongeait souvent la soirée en poussant la chansonnette avec ses amis. Il ne s’astreignait pas pour autant à une discipline sévère. Certes, il ne fumait pas, ou rarement, et ne consommait pas d’alcools. Il ne vocalisait quasiment pas avant de rentrer en scène. Une telle vaillance provoque l’admiration.

La diction, entachée au début d’un fort accent espagnol, s’éclaircit avec le temps pour devenir irréprochable.

L’intégrité faisait aussi partie du personnage. Lors des séances matinales d’enregistrement, il refusait de céder à la facilité et préférait reprendre intégralement un air plutôt que d’accepter la moindre manipulation sonore.

La musicalité, remarquable aussi, s’exerce au-delà de l’interprétation. Plusieurs fois, elle secondera l’inspiration défaillante de Francis Lopez. Ainsi, Luis Mariano est l’inventeur du célèbre « Tchicatchicatchic ! Ay ay ay » qui contribua à immortaliser La belle de Cadix ; tout simplement parce qu’il voulait éviter de rester trop longtemps la bouche fermée. Il remédie à la banalité de la chanson « Mexico » en ajoutant les fameux cris tyroliens auxquels elle doit son succès. Il veille aussi soigneusement aux textes, demande des rimes qui flattent le velours de son timbre, des mots en a ou o pour lancer les notes aiguës.

Toutes ces qualités auraient sans doute gagné à s’exercer dans un répertoire plus imposant. Maria Callas qu’il admirait et rencontra en Italie, l’engagea à retrouver le chemin de l’opéra. Il s’ensuivit un album dirigé par Georges Prêtre qui ne fut jamais commercialisé. Le rôle du Duc de Mantoue fut plusieurs fois évoqué, Alfredo aurait pu lui succéder, et aussi Nadir qu’il affectionnait tout particulièrement, Nemorino bien sûr pour ne pas laisser Ernesto orphelin. Don José, souvent suggéré en raison de sa nationalité espagnole, Cavaradossi qu’il aurait dû chanter à Bayonne en 1970 si sa maladie ne l’en avait empêché, et plus largement les grands héros pucciniens, semblent moins conformes à son tempérament car trop dramatiques.

Sans parler de la zarzuela, le monde de Jacques Offenbach serait également convenu de manière idéale à la combinaison de son charme, de sa gaîté et de sa fantaisie. Piquillo de La Perichole s’inscrit exactement, par ses origines latines et sa vocalité, dans les cordes du ténor ; le brésilien de La vie parisienne avec son accent sud-américain et ses « hourrah, hourrah » aussi et puis, le comte de Gloria Cassis des Brigands, fièrement drapé dans le désopilant « Y’a des gens qui se disent espagnols ». Quittant la péninsule ibérique, comment ne pas songer à Fritz de La grande Duchesse de Gerolstein ou Paris de La belle Hélène et à la manière dont il aurait couronné les couplets du Mont Ida, exhalé le doux rêve d’amour. Malheureusement à l’époque, ce répertoire ne faisait pas recette. Là encore, le rendez-vous est irrémédiablement manqué.

« Quand ton chant s’élèvera, mon chagrin s’envolera » (6).

Après La belle de Cadix, la popularité de Luis-Mariano atteint rapidement des sommets. Sa vie se transforme un tourbillon. De 1946 à 1958, de L’escalier sans fin à Sérénade au Texas en passant par le célèbre Violettes impériales, il tourne une vingtaine de films, musicaux pour la grande majorité. Il enchaîne les tournées, se produit un peu partout, de l’autre côté de l’Atlantique, en Amérique du Nord, du Sud, accompagne même en 1957 et 1959 la caravane du cirque Pinder le long des routes de France.

Sur scène, il poursuit sa collaboration avec Francis Lopez et triomphe dans Andalousie (1947), Le chanteur de Mexico (1951), Chevalier du ciel (1955), La cancion del amor mio (1958), Le secret de Marco-Polo (1959), Visa pour l’amour (1961). Puis surviennent les yéyés. Les roucoulades hispanisantes sur fond de brocart doré passent de mode. L’année 1967 le consacre pourtant prince de Madrid et roi de l’opérette à grand spectacle, cette forme héritière des grandes féeries du XIXe siècle qui utilise avant tout l’intrigue et la musique comme prétextes à déploiement de décors et de costumes magnifiques. La maladie l’oblige en 1970 à quitter La Caravelle d’or, dernier avatar d’un genre qui ne lui survivra pas. Il meurt le 14 juillet.

Mais la passion subsiste. Les marianistes organisent le rite et continuent aujourd’hui encore de veiller religieusement sur sa mémoire. Le développement de la toile Internet favorise la dévotion. Le site officiel, www.luismariano.com, assez sommaire par ailleurs, comprend une discographie détaillée. Plus convivial, celui de Christophe Mirambeau, présente l’avantage de proposer un forum structuré où communient et communiquent régulièrement les aficionados. Sans se soucier des querelles de chapelle, le voyageur nostalgique, de retour à la ville, y viendra soigner son mal d’Euskadi. A défaut se convertir, le lyricomane frileux, quant à lui, abandonnera ses dernières réserves pour se réchauffer, les jours de grand froid, au soleil de cette voix.

Christophe RIZOUD

(1) « Il est un coin de France », Le Chanteur de Mexico, Paroles de Raymond Vincy et Henri Wernert, Musique de Francis Lopez. (1957)
(2) Saint-Luis par Christophe Mirambeau, Editions Flammarion (http://www.saint-luis.com)
(3) « Le ciel luisait d’étoiles », extrait de Tosca, opéra de G. Puccini. Cet enregistrement est le seul air qui subsiste d’un disque de 12 titres que réalisa Luis Mariano à la fin des années 1950 sous la direction d’André Cluytens et Pierre Dervaux. Les autres morceaux furent malheureusement égarés lors du déménagement des usines Pathé-Marconi.
(4) « C’est magnifique », Paroles de François Lienas, musique Cole Porter (1953)
(5) « Amapola », Paroles: A.Gamse. Musique: Joseph M Lacalle. Cette chanson a été créée par Tino Rossi (1935)
(6) « Rossignol », Paroles de Raymond Vincy, Musique de Francis Lopez. (1951)

 

 

 

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