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GOUNOD, Roméo et Juliette — Genève

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Spectacle
13 janvier 2023
Bernheim attendait Roméo et Roméo attendait Bernheim

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Opéra en 5 actes

Musique de Charles Gounod

Livret de Jules Barbier et Michel Carré, d’après Shakespeare

Création le 27 avril 1867 au Théâtre-Lyrique (Paris)

Détails

Version de concert

Mise en espace

Loïc Richard

Roméo
Benjamin Bernheim
Juliette
Sandra Hamaoui
Frère Laurent
Jean Teitgen
Tybalt
Thomas Atkins
Mercutio
Philippe-Nicolas Martin
Stéphano
Adèle Charvet
Le comte Capulet
Jean-Sébastien Bou
Gertrude
Marie-Thérèse Keller
Duc de Vérone
Joé Bertili
Gregorio
Alban Legos
Benvolio
Etienne Anker
Pâris
Clemente Hernand

Ensemble Vocal de Genève
Orchestre de chambre de Genève

Direction musicale
Marc Leroy-Calatayud

Montreux
Auditorium Stravinski
7 janvier 2023

Genève
Bâtiment des Forces motrices
10 janvier 2023

Bien sûr que si la salle était pleine, c’était pour Benjamin Bernheim, mais si ce fut à la fin un si joli succès, ce fut aussi grâce à un étonnant jeune chef, Marc Leroy-Calatayud, et à un plateau d’une belle homogénéité. Et grâce au plaisir d’une mise en espace très simple. L’orchestre et le chœur sur la scène, les chanteurs tout proches, l’émotion suscitée par la seule musique.


© OCG-Raphaëlle Mueller

Mais donc Benjamin Bernheim… Roméo, il en rêve depuis toujours (cf. les propos qu’il confiait à Forum Opera en 2017) et s’il a ménagé sa voix jusqu’ici, et sa fraîcheur presqu’irréelle, c’est dans l’espoir de chanter enfin ce rôle radieux, auquel elle est prédestinée.

Ce sera bientôt chose faite à l’Opernhaus de Zurich, la maison où il fut longtemps en troupe et rongea son frein parmi une demi-brigade de ténors tous plus rutilants les uns que les autres, avant d’émerger enfin à la surface. Mais avant ce Roméo et Juliette d’avril prochain (avec Julie Fuchs, mise en scène par Ted Huffmann, direction musicale par Roberto Forrés Veses), ces deux représentations, la montreusienne et la genevoise, étaient une manière de tour de chauffe at home (Genève fut la ville de son enfance), en famille dirons-nous puisque sa Juliette n’était autre que l’exquise Sandra Hamaoui, sa compagne à la ville. D’où force fougueux baisers tout au long de l’opéra.
On avait évidemment entendu en récital son « Ah ! Lève-toi, soleil ! » Dès lors comment douter que le rôle de Roméo est à l’évidence fait pour cette voix si lumineuse, limpide, élégante, surtout si naturelle.

Fait pour lui

Ce naturel, cette manière de désinvolture, de simplicité, ce sourire, tout ce qu’il offre libéralement hors de scène, il l’offre aussi sur scène, et son chant est d’autant plus enjôleur qu’il semble être le reflet de sa personnalité profonde. Tout aussi naturels, son rapport aux mots de la langue française et son art de faire jaillir la ligne musicale précisément de la musique des mots, de s’appuyer (sans s’appesantir) sur la prosodie.

La diction est parfaite (telle celle de Roberto Alagna, qu’il admire et qui lui a fait aimer le répertoire français), quelles que soient les embuches du français, les e muets et autres diphtongues nasales, qui compliquent la vie des chanteurs non-francophones. Là-dessus vient se poser un timbre unique, avec des notes hautes qui peuvent être puissantes, mais jamais dures ni artificielles, et un art de la voix mixte qui semble aller de soi et qui renoue avec une tradition du chant français tombée en déshérence.

Chant en couleur d’un charme fondant. Sans parler de la sincérité (du chant comme du chanteur). Pâmoison générale dans le public.


© OCG-Raphaëlle Mueller

Le geste d’un chef d’opéra

Dès le prélude, la saveur très française des cuivres, la couleur du chœur (qui reprend le prologue de Shakespeare (« Dans Vérone, deux familles rivales »… « Juliette parut et Roméo l’aima »…), l’apparition aux violoncelles du thème « Ô ma femme » qui reviendra au début du troisième acte (l’éveil des amants), puis lors de la scène du tombeau, puis sa reprise généreusement phrasée par l’ensemble des cordes, l’envol de la valse, plus subtile, plus aristocratique que celle de Faust, tout donne à entendre l’autorité (souriante) de Marc Leroy-Calatayud, qui nous disait récemment combien il aime diriger l’opéra.


© OCG-Raphaëlle Mueller

On le verra souvent se retourner à demi pour regarder amoureusement ses chanteurs. Et surtout les suivre, les accompagner, leur laisser mener le jeu (avant de reprendre, en souplesse, le leadership).
Mention particulière pour le chœur, l’Ensemble Vocal de Lausanne, qui, placé derrière l’orchestre, commentera sans cesse l’action, tel un chœur antique. Précision de la mise en place, plénitude sonore. Et on en dira autant d’un Orchestre de Chambre de Genève, ici renforcé pour atteindre une petite soixantaine de musiciens, et qu’on a rarement entendu aussi à son avantage (et certains des musiciens nous confieront leur plaisir à travailler avec ce jeune chef).

Un cast équilibré et engagé

Si Roméo et Juliette sont évidemment au cœur (c’est le cas de le dire) de cet opéra que Gounod composa en 1867, huit ans après Faust, les nombreux « petits » rôles, presque tous masculins, participeront de la réussite de cette production réalisée « en quatre jours » comme nous le dira Marie-Thérèse Keller, à qui échoit le rôle (exigu, mais incarné avec élégance) de Gertrude, la nourrice de Juliette.

Le beau timbre chaud de Jean-Sébastien Bou (le comte Capulet), ses phrasés souples et précis, sa bonhomie (du moins au début de la pièce), la virtuosité, la plénitude de la voix et le brio du Mercutio de Philippe-Nicolas Martin dans ses couplets de la reine Mab, le timbre éclatant et sonore de Thomas Atkins (l’ombrageux Tybalt), belle voix de ténor, ouverte et puissante, très différente de celle de Benjamin Bernheim – et la confrontation de ces deux couleurs sera très intéressante –, plus tard l’onctuosité de Jean Teitgen (Frère Laurent), sans parler des petits rôles qui interviendront surtout dans les ensembles, toute cette distribution est d’un équilibre et d’un engagement remarquables.

Le timbre et les phrasés

Dès les premières phrases de Roméo, « Ah voyez cette beauté céleste, ô trésor digne des Dieux », Benjamin Bernheim laisse admirer la beauté de ses phrasés et l’homogénéité de sa ligne de chant. Ces mots saluent l’entrée de Juliette. « Ah ! qu’elle est belle », a chanté le chœur – et c’est la stricte vérité : dans sa grande robe rose, Sandra Hamaoui est tout à fait ravissante.
C’est un rude air d’entrée que la valse « Je veux vivre dans le rêve », commande de Mme Miolan-Carvalho, la créatrice du rôle (après avoir été la première Marguerite) et le médium de la voix semblera plus assuré que les envols vers les hauteurs cueillis sans doute un peu à froid (et d’ailleurs sur un tempo particulièrement rapide).


© OCG-Raphaëlle Mueller

C’est dans « Ange adorable », le premier de leurs quatre duos, qu’elle commencera à trouvera mieux ses marques, et dans les quelques phrases en demi-teintes, une manière d’arioso, où Juliette chante mezza voce, avec intériorité, les sinistres pressentiments que MM. Barbier et Carré placent dans sa bouche (« Que le cercueil soit mon lit nuptial ») que Sandra Hamaoui arrivera, selon nous, à son meilleur.

Marc Leroy-Calatayud accompagnera avec délicatesse l’élégant badinage qu’est ce duo où la transparence du timbre de Benjamin Bernheim achèvera de séduire Juliette (et un public de toutes façons déjà acquis) jusqu’à l’éclat sur « Capulet est son père et je l’aime » où il pourra laisser resplendir toute sa puissance de ténor lyrique. Et l’acte se terminera dans les flons-flons vigoureusement assumés de la reprise du bal.

Un sublime nocturne

Au début du deuxième acte, le nocturne orchestral, dans une lumière bleutée, sera un moment enchanteur de poésie sonore : douceur diaphane des violons pianissimo avec sourdine, sur les arpèges des harpes, dans un tempo lentissime assumé, puis crescendo délicat autour de la flûte et des bois. Plaisir évident de l’Orchestre de Chambre de Genève à suivre l’imaginaire de son jeune chef.
L’entrée de Roméo ne sera pas moins subtile (« Ô nuit sous tes ailes obscures abrite-moi… ») avant la célèbre introduction, « L’amour, l’amour, oui, son ardeur a troublé tout mon être », en demi-teintes, pour monter à un « Ah lève-toi, soleil ! », ensoleillé (justement), puis jusqu’à un premier « Parais » éclatant sur une dentelle de cordes arachnéenne…

On admire cette manière de dire les mots du texte, d’accentuer juste un peu le V de « Porte-lui mes vœux », le charme, le sourire de la voix, le timbre évidemment superbe, la transition retenue vers une deuxième strophe mezza voce avant que la voix ne s’élève vers les notes hautes, un deuxième puis un troisième « Parais », de plus en plus dorés…
Art du chant qui donne une impression d’impromptu, alors que tout à l’évidence est le fruit d’une longue maturation. Leçon de style français (sans avoir l’air de donner une leçon, ça va de soi).


© OCG-Raphaëlle Mueller

Conversation en musique

La scène du balcon qui va suivre commencera pas une manière de conversation en musique, ou faut-il dire d’arioso (très touchant « N’accuse pas mon cœur » de Sandra Hamaoui), d’une écriture singulière, qui conduira au « Ô nuit divine » de Roméo et au « Sur mon âme si tu me veux pour femme ».

Tout cela accompagné par un chef aux aguets, distillant les belles sonorités des cors, les grandes vagues sensuelles des cordes, jusqu’à l’accelerando du « Ah ! Ne fuis pas encore » qui conduira à un unisson sur « De cet adieu si douce est la tristesse ». Idéale fusion des deux voix et crescendo de passion, jusqu’à l’adieu final sur la reprise du nocturne, encore plus impalpable qu’au début, sur laquelle Benjamin Bernheim glissera son « Qu’un sourire d’enfant sur ta bouche vermeille doucement vienne se poser », en usant d’une voix mixte d’une beauté ineffable.

Marc Leroy-Calatayud, décidément grand chef d’opéra, à l’écoute, fera chuchoter son orchestre à l’amble de cette délicatesse.

Piété et morceaux de bravoure

Emblématique de Gounod et de « sa manie de transporter dans tous ses ouvrages des scènes d’église » (dixit Félix Clément qui rédige les commentaires du Dictionnaire des opéras de Pierre Larousse et commente à chaud la création de Roméo et Juliette), la scène du mariage des deux jouvenceaux sera d’un parfait style sulpicien (« Devant Dieu qui lit dans votre âme, je vous unis »), mais transcendée par les nobles phrasés et le beau timbre de Jean Teitgen.


Sandra Hamaoui, Jean Teitgen, Benjamin Bernheim © OCG-Raphaëlle Mueller

Cela dit, le pieux Gounod était aussi un vieux briscard des théâtres, insérant ici le nécessaire morceau de bravoure qui casse le rythme et réveille l’auditeur : dans le rôle travesti de Stéphano, Adèle Charvet ne fera qu’une bouchée de son « Que fais-tu, blanche tourterelle ? », air à effet qu’elle assortira de quelques vocalises descendantes par paliers et de coloratures assez ébouriffantes pour une voix de mezzo comme la sienne, qui nous semble s’être encore enrichie dans les graves, le tout avec une verve et une jubilation d’être en scène réjouissantes à voir.

Et les morceaux de bravoure de fin d’acte s’enchaîneront dans une savante progression, la querelle Roméo-Tybalt, puis un septuor timbré, plein, précis (six hommes et un mezzo), la mort de Mercutio, le duel (au pistolet !), la mort de Tybalt, le chœur, « Ô jour de deuil, d’horreur et d’alarmes », d’une noble ampleur sur la ponctuation des cordes, tout cela mené tour à tour avec punch (l’échauffourée), puis avec grandeur (les ensembles dominés par les voix de Benjamin Bernheim) et couronné par un beau contre-ut de Roméo sur « Je veux la revoir ! ».


© OCG-Raphaëlle Mueller

L’alouette et le rossignol

Mais le plus beau, ce sont bien sûr les duos. Celui du quatrième acte, le réveil amoureux des deux héros, après leur unisson sur « Nuit d’hyménée » brodera autour d’une mélodie exquise… « Non, ce n’est pas le jour, ce n’est pas l’alouette… ».
La voix de Juliette, rayonnante au centre et dans le haut médium paraîtra parfois ici un peu plus à la peine dans le bas de sa tessiture. En revanche Roméo sera magnifique d’éclat sur son grand cri « Ah! Vienne la mort, je reste ! », porté par de grandes phrases généreuses des cordes soutenues par les timbales… Et quel art du phrasé sur « Un jour il sera doux à notre amour fidèle de se ressouvenir de nos tourments passés ».
Viendront ensuite un somptueux decrescendo de l’orchestre et quelques phrases désolées de Juliette, « Adieu mon âme, adieu ma vie », où Sandra Hamaoui sera magnifique d’émotion et de dépouillement.


© OCG-Raphaëlle Mueller

Poisons et poignards

Les phrasés de Jean-Sébastien Bou ne seront pas moins beaux dans l’arioso du comte Capulet, nouvel exemple de ces conversations en musique dont Gounod parsème sa partition (Félix Clément considère que c’est là « faire des concessions aux doctrines de la musique de l’avenir… ») et d’ailleurs la courte scène où le Frère Laurent remettra le flacon de poison à Juliette sera de la même étonnante écriture, proche du parlando.
L’autre air fameux de Juliette, « Amour, ranime mon courage », sera selon nos oreilles moins réussi à certains moments (la partie centrale, quand sa raison s’égare) qu’à d’autres et certaines notes hautes seront un peu serrées, mais quelle sincérité et quel engagement et quelle émotion dans le cri du comte Capulet découvrant sa fille morte.

Des merveilles de beau chant

Frémissante introduction des cordes, puis superbe choral des cors préludant à la scène du tombeau, « Salut palais splendide et radieux ! ». Beau phrasé de la clarinette (Cindy Lin) introduisant le « Ô ma femme ! » que Gounod préparait depuis le début.


© OCG-Raphaëlle Mueller

Entre voix de poitrine et voix de tête (sur « régner encore et sourire à l’éternité »), Benjamin Bernheim va faire des merveilles de beau chant. Toute la scène sera une longue montée en intensité, à peine Roméo aura-t-il bu son poison qu’il verra Juliette se réveiller. Moment où tout est entre les mains du chef pour graduer la tension, l’unisson des deux voix sur « Fuyons au bout du monde », l’étonnante insurrection de Roméo (« Les parents ont tous des entrailles de pierre… »), enfin la superbe mélodie d’un Gounod inattendu et romantique sur « Console-toi, pauvre âme, le rêve était trop beau ».

Que dire de ce génial effet de réminiscence : le retour du thème de l’alouette et du rossignol, ce « Non, ce n’est pas le jour », repris par Roméo en voix de tête, d’une extrême douceur, idéalement beau. Dernier baiser, dernier unisson sur « Seigneur, pardonnez-nous » et ultime grand geste à l’orchestre de Marc Leroy-Catalayud, intense, lyrique, magnifique.

Triomphe mérité.


© OCG-Raphaëlle Mueller

 

 

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Benjamin Bernheim
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Frère Laurent
Jean Teitgen
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