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Kangmin Justin Kim : « être une bonne personne est le premier pas pour devenir un grand artiste »

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Interview
2 février 2015

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D’un Ménélas brûlant de désir chez Cavalli (Elena) au plus déjanté des princes Orlovsky en passant par un Cupidon tête à claques dans La Dafne de Marco Da Gagliano, Kangmin Justin Kim aura démontré en quelques rôles qu’il possède bien plus qu’un mezzo insolent : le feu du théâtre court dans ses veines !

Vous avez d’abord évolué dans la tessiture de ténor. Comment avez-vous découvert votre aptitude à chanter en contre-ténor et pris la décision de persévérer dans cette voie ?

Mon premier professeur de chant, Orna Arania, a toujours su que j’avais un réel potentiel comme contre-ténor, mais elle ne m’a rien dit jusqu’à la finale d’un concours de chant, quelques années plus tard. Pour elle, il valait mieux que j’apprenne d’abord la respiration et la technique en utilisant ma voix de ténor : la technique de contre-ténor varie énormément d’une personne à l’autre, et il est crucial pour tout chanteur de très bien comprendre comment fonctionne son propre instrument.

J’ai découvert ma voix de contre-ténor lorsque j’étudiais à la Northwestern University d’Evanston (Illinois, USA). Deux étudiants y travaillaient cette voix, mais je n’ai entendu un contre-ténor professionnel qu’à la fin de l’année académique. Je suis alors allé voir mon professeur, Theresa Brancaccio, et je lui ai demandé si je pouvais essayer. Elle était contente de mes progrès comme ténor et a tout d’abord hésité, mais je me suis montré persuasif et elle a finalement cédé. J’ai fait quelques exercices en falsetto, je me suis mis à monter de plus en plus haut, puis elle m’a arrêté et m’a donné un air pour que je l’essaie, c’était « Lascia ch’io pianga » (Rinaldo). Je l’ai chanté et elle m’a dit que cela pourrait donner quelque chose de très spécial. Elle en a discuté avec ses collègues de la faculté, puis nous avons décidé de travailler cette voix, petit à petit, en douceur. Pendant environ une année, nous avons alterné : une semaine, je travaillais en contre-ténor, la suivante en ténor. J’ai passé mes examens principalement comme ténor, car j’étudiais aussi le théâtre musical. Cela marchait bien, parce que le style de chant utilisé dans ce répertoire est plus proche de la pop que du classique, je n’ai donc jamais senti que les deux voix se faisaient du tort. Je n’ai définitivement opté pour la voix de contre-ténor qu’au moment de préparer mes auditions pour les études de 3e cycle. Une fois que j’ai été admis à la Royal Academy of Music (Londres), j’ai décidé de me concentrer exclusivement sur le chant lyrique en tant que contre-ténor.  

Vous avez étudié à la Royal Academy of Music – où vous avez rencontré, si je ne m’abuse, la soprano belge Jodie Devos qui incarnait Ida dans La Chauve-Souris à l’Opéra Comique – et participé à des master classes avec d’éminents musiciens et chanteurs. Quelles rencontres ont été décisives et pourquoi ?

Oui ! J’ai rencontré Jodie Devos à la Royal Academy of Music ; nous avons gardé d’excellents souvenirs des cours consacrés à la gestuelle et au mouvement, nous y avons appris à mieux prendre conscience de nos corps sur scène et hors scène, dans le stage combat et, le plus important de tout, dans la danse ! Comme Jodie et moi avions aussi un cours de danse ancienne, nous apprenions les chorégraphies très vite, en y prenant plaisir, improvisant sur les pas de base de la valse, de la polka, du swing, etc. Nous avons été très contents de pouvoir revivre ces moments-là sur la production de La Chauve-Souris où nous dansons brièvement ensemble dans la scène du bal.

Presque toutes les master classes auxquelles j’ai participé ont eu lieu en dehors de la Royal Academy of Music. Néanmoins, celle-ci nous a fortement encouragés à trouver des opportunités à l’extérieur, comme des programmes de formation et des concours, c’est pourquoi j’ai eu la chance de suivre des leçons avec de véritables maîtres. Il m’est pratiquement impossible de les comparer parce que chaque rencontre était unique et inestimable, mais je dois admettre que j’ai adoré la façon dont Thomas Quasthoff et Dennis O’Neill menaient leur master classes. Ils voulaient qu’elles se déroulent sur plusieurs jours consécutifs plutôt que de se limiter à une après-midi ou à une soirée, de manière à ce que chaque étudiant ait assez de temps pour tester de nouvelles idées ou des approches techniques qui ne lui étaient pas familières. Après une semaine, notre corps avait intégré leur enseignement et il devenait un nouvel outil que nous pouvions choisir d’employer ou non. Nous retirions vraiment quelque chose de cette expérience, au lieu de rester tétanisé les dix premières minutes par la star que nous avons en face de nous avant de chanter et rechanter sans cesse une ou deux phrases, comme cela arrive souvent dans les master classes… 

En Europe, beaucoup connaissaient Kimchilia Bartoli, grâce à Youtube, longtemps avant de vous découvrir sur scène dans Idomeneo ou dans l’Elena de Cavalli. Même Cecilia Bartoli parle de ce numéro dans ses interviews ! Comment est née Kimchilia et comment est-elle devenue la Princesse Cécilia Bartolsky ?

Tout a commencé comme une blague à moitié sérieuse et c’est toujours ainsi que je le verrai. Lors de ma première leçon de chant à la Northwestern University, mon professeur m’a posé une série de questions habituelles pour faire connaissance comme « Quel est ton background en musique ? » ou « Quel est ton compositeur favori ? ». L’une d’entre elles était « Qu’aimerais-tu chanter le dernier jour de tes études à la Northwestern University ? » et j’ai répondu : « Je veux chanter « Agitata da due venti » comme Cecilia Bartoli parce que c’est ma chanteuse d’opéra préférée et que je voudrais savoir faire tout ce qu’elle fait. » Mon professeur s’est mise à rire et m’a dit que je devrais surmonter quelques obstacles, à commencer par le fait que j’étais ténor et non mezzo-soprano. Des années plus tard, j’ai travaillé ma voix de contre-ténor, mais Theresa Brancaccio avait tout oublié de notre première conversation.

L’un des cours destinés aux chanteurs, à la Northwestern University, était la « Classe de solo vocal ». C’est un cours où les étudiants qui préparent leur licence, les licenciés et même les doctorants travaillent ensemble et où chacun présente une chanson ou un air devant les autres. La dernière séance de ce cours qui clôture l’année académique a lieu après les examens, de sorte que les étudiants s’y amusent un peu plus. Le thème de cette dernière leçon lorsque j’ai suivi ce cours était « All Fached Up » [jeu de mots intraduisible : « fach » désigne le type vocal auquel appartient un chanteur, « ténor léger » par exemple, « All Fached up » évoquant l’expression triviale « Fucked up », « rien à foutre » ]. Les chanteurs étaient invités à chanter un répertoire totalement étranger à leur typologie vocale : une basse, par exemple, chantant « Der Hölle Rache » et un soprano, « Nessun dorma ». J’ai décidé de chanter « Agitata da due venti » comme Cecilia Bartoli, mais avec ma touche coréenne. C’est ainsi qu’est née Kimchilia Bartoli – avec l’accent sur « Kimchi ».

Mon compagnon de chambre a filmé cette performance et l’a mise sur Youtube. La vidéo a fait le tour du monde plus vite que je n’aurais pu l’imaginer. En fait, une des élèves de mon professeur, Amanda Majeski, travaillait à l’époque sur une production de La Griselda à l’Opéra de Santa Fe avec David Daniels et celui-ci a posté la vidéo sur Facebook, j’ai réalisé alors qu’elle pourrait vite devenir virale dans la communauté lyrique. Quelques années plus tard, lorsque je travaillais au Festival d’Aix-en-Provence, Ivan Alexandre m’a approché et soumis l’idée d’un prince Orlofsky transformiste, me demandant si Kimchilia Bartoli souhaiterait y faire une apparition. J’étais absolument partant et Cécilia Bartolsky est ainsi devenue un personnage de La Chauve-Souris.

La Chauve-Souris fut l’apothéose d’une saison particulièrement riche au cours de laquelle vous semblez vous être fait un nom. Que retenez-vous de toutes ces expériences ?

Il me serait impossible d’énumérer tout ce que j’ai appris, parce que chaque projet m’a offert une multitude d’opportunités, mais je peux essayer d’identifier les leçons les plus significatives. Comme chanteur, j’ai appris à mieux maîtriser le style, spécialement dans le répertoire baroque, et j’ai découvert différentes manières d’interpréter les récitatifs. Comme acteur, j’ai appris à mieux comprendre et intégrer les indications données par les metteurs en scène pour leur donner vie en accord avec la vérité des personnages, mais aussi, avec moi-même. Enfin, en tant qu’être humain, j’ai appris l’importance des sourires et d’une attitude positive. Dans La Chauve-Souris, j’ai eu la chance de travailler avec de jeunes artistes qui étaient au sommet de leur art, comme Sabine Devieilhe, Chiara Skerath, Florian Sempey et Jodie Devos, et tous étaient extrêmement gentils, généreux et attentionnés avec moi qui étais le seul chanteur non francophone sur cette production. De leur énergie positive, de leur éthique de travail et du sourire qu’ils apportaient à chaque répétition et à chaque représentation, j’ai compris qu’être une bonne personne est le premier pas pour devenir un grand artiste.

Après Orlofsky, vous chanterez Sesto (La Clemenza di Tito) à Montpellier en avril avant de camper Oreste dans La Belle-Hélène en juin au Châtelet, deux autres rôles traditionnellement tenus par des mezzos féminins, même si Sesto fut écrit pour un castrat. Faites-vous partie de cette nouvelle génération de chanteurs qui entendent élargir le répertoire des voix masculines aiguës ?

Une réponse hâtive serait « oui », mais je dois l’accompagner d’une explication. Depuis l’apparition des premiers contre-ténors sur les scènes d’opéra il y a environ 50 ans, cette voix est longtemps restée une énigme. Cependant, l’enseignement du chant s’est spécialisé et les progrès technologiques nous ont également permis de mieux comprendre les mécanismes de production du son, les contre-ténors ont aussi évolué, il y a davantage d’artistes qui chantent plus haut et projettent mieux leur voix, avec une technique saine et solide. On comprend mieux aujourd’hui cette typologie vocale.

Je crois que le répertoire choisit la voix et non l’inverse – cette idée s’est imposée à moi en lisant une interview de Mirella Freni. Tout ce que je peux faire comme chanteur, c’est travailler ma technique et essayer de comprendre le mieux possible mon instrument, le répertoire se présentera alors de lui-même et je saurai si oui ou non je peux chanter telle ou telle partition. A ce point de ma carrière, Sesto et Oreste m’ont trouvé et je sais que ces rôles sont dans mes moyens, étant donné que je les ai étudiés avec des personnes de confiance, professeurs et coachs, que je consulte toujours avant d’accepter un engagement. Je ne cherche donc pas à élargir le répertoire des voix masculines aiguës. Toutefois, je désire être prêt à saisir les opportunités qui pourraient se présenter à moi. Si, en même temps et incidemment, je peux contribuer à étendre le répertoire de contre-ténor, et bien tant mieux !  

Propos recueillis et traduits par Bernard Schreuders, 23 janvier 2015

 

 

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