Le Bourgeois gentilhomme est une farce, un divertissement sans grande conséquence qui moque la prétention d’une certaine bourgeoisie, mais avec beaucoup moins de finesse et de cruauté que Molière n’a pu le faire dans d’autres pièces (Monsieur de Pourceaugnac par exemple, pour citer une autre comédie-ballet conçue avec Lully). Ce qu’il faut à ce bourgeois pour vraiment fonctionner, c’est du rythme ! Or ce spectacle en manque réellement. Pour sa mise en scène, Jérôme Deschamps privilégie l’épaisseur du trait à sa cursivité, surlignant les faiblesses du texte et étouffant sa férocité. Les extravagants costumes (superbes perruques façon algues fines des danseurs !) aussi chatoyant que volontairement cheap, l’astucieux décor avec ses hauts pans truffés de trappes, les accessoires vivants (souris, porcelet…), rien de très neuf chez ce metteur en scène, mais tout cela fonctionne bien. Non, ce qui pêche c’est bien la direction d’acteurs trop appuyée, énergique et pourtant assez peu imaginative, notamment pour Monsieur Jourdain lui-même. Certes nous n'avons pas ce soir le prétentieux de service, mais le gentil bourgeois aussi vulgaire que naïf, qui veut copier les divertissements des nobles, lesquels transpirent le mépris et l'arrogance. Cependant son répertoire d'expressions est bien trop court pour susciter la sympathie. Le seul qui réussisse à trouver une forme d’équilibre dans cette pesante gaudriole est Jean-Claude Bolle Reddat, le Maître de Philosophie. Les autres acteurs sont loin de démériter, mais sont parfois peu intelligibles à force d’être poussés à exagérer le moindre effet et à forcer le stéréotype.
Heureusement que les Musiciens du Louvre dirigés par Marc Minkowski sont là pour insuffler l’allant qui manque à ce spectacle. Leur jeu très puissant et rapide contribue beaucoup à rendre la farce grisante dans les turqueries. Une partie de l’orchestre joue même debout. Le divertissement du premier acte est donné avec sérieux et même un certain luxe qui tranche singulièrement avec le sabotage parodique auquel on assiste sur scène. Tant et si bien que la suite de gags lasse aussi vite qu’elle empêche de trouver de l’intérêt dans la fosse. Difficile d’être pénétré par le jeu du hautbois quand la bergère plume un poulet, ou d’apprécier le solo du violoncelle quand elle fait la vaisselle. Hélas, la musique n’occupe qu’une place très limitée et intermittente dans la première partie, et l’on s’ennuie ferme entre leurs interventions. Pour justifier le luxe d’un tel ensemble, on a inséré le Prélude du Te Deum de Charpentier pour l’entrée du bourgeois (un pied de nez au monopole de Lully sans doute !) et une cacophonie pour le premier baisser de rideau.
Pour le chant, la limite entre comique et tragique est subtilement et régulièrement franchie. On vantera surtout la classe et l’éloquence de Jérôme Varnier, parfois un peu mis à mal par la tessiture abyssale du Mufti, mais ne cédant jamais à un expressionisme de facilité. Les autres chanteurs sont moins aguerris mais leurs partitions moins exigeantes, et en tout cas très attentifs à la veine comique de leur rôle. On notera tout de même qu’ils sont bien plus à l’aise pour chanter en français qu’en italien, langue dans laquelle leur émission semble se pincer.
Un spectacle un peu long qui devient finalement agréable. Vous ne verrez pas un gentil bourgeois, mais un bourgeois gentillet.
Comédie-ballet en cinq actes, texte de Molière, musique de Jean-Baptiste Lully
Créée le 14 octobre 1670 à Chambord
Mise en scène
Jérôme Deschamps
Décors
Félix Deschamps
Costumes
Vanessa Sannino
Chorégraphie
Natalie van Parys
Lumières
François Menou
Perruques
Cécile Kretschmar
Accessoires
Sylvie Châtillon
Monsieur Jourdain
Jérôme Deschamps
Madame Jourdain
Josiane Storelu
Le Maître de musique / Le Tailleur
Sébastien Bourdot
Covielle / Le Maître d'armes
Vincent Debost
Dorante / Le Maître de danse
Guillaume Laloux
Dorimène
Pauline Deshons
Cléonte
Aurélien Garbielli
Le Maître de philosophie
Jean-Claude Bolle Reddat
Lucile
Flore Babled
Nicole
Pauline Tricot
Danseurs
Pierre Guilbaut, Maya Kawatake Pinon, Léna Pinon Lang, Antonin Vanlangendonck
Sandrine Buendia, soprano
Paco Garcia, ténor
Lisandro Nesis, ténor
Jérôme Varnier, basse
Compagnie Jérôme Deschamps
Les Musiciens du Louvre
L'Académie des Musiciens du Louvre, en partenariat avec le Jeune Orchestre de l'Abbaye et le CRR de Paris
Direction musicale
Marc Minkowski
Opéra royal de Versailles, jeudi 20 juin 2019, 20h
VOUS AIMEZ NOUS LIRE…
… vous pouvez nous épauler. Depuis sa création en 1999, forumopera.com est un magazine en ligne gratuit et tient à le rester. L’information que nous délivrons quotidiennement a pour objectif premier de promouvoir l’opéra auprès du plus grand nombre. La rendre payante en limiterait l'accès, a contrario de cet objectif. Nous nous y refusons. Aujourd’hui, nous tenons à réserver nos rares espaces publicitaires à des opérateurs culturels qualitatifs. Notre taux d’audience, lui, est en hausse régulière avoisinant les 160.000 lecteurs par mois. Pour nous permettre de nouveaux développements, de nouvelles audaces – bref, un site encore plus axé vers les désirs de ses lecteurs – votre soutien est nécessaire. Si vous aimez Forumopera.com, n’hésitez pas à faire un don, même modeste.
Sous cet intitulé un peu provocateur nous avons souhaité initier une conversation avec le sociologue Didier Eribon : ce genre, financé par la communauté, s'adresse-t-il équitablement à tous les membres de la société ?
© 2018 - Mentions légales - Tous droits réservés - Publicité - Site réalisé par Damien Ravé