Henri Sauguet revient sur les scènes, et c’est une bonne nouvelle. La Chartreuse de Parme à Marseille en 2012 fut une heureuse surprise, et l’on verra peut-être enfin Les Caprices de Marianne s’inscrire plus solidement au répertoire : après la production de Pierre Jourdan en 2006 à Compiègne, et celle d’Oliver Desbordes en 2007 à Dijon et Saint-Céré, c’est à présent quinze villes françaises qui vont accueillir le spectacle monté par le Centre Français de Promotion Lyrique. Cette partition, peut-être la meilleure de Sauguet pour la scène lyrique – on aimerait néanmoins entendre aussi son opéra-comique La Gageure imprévue (1944), ses premiers opéras-bouffes, ou sa comédie musicale inspirée par Boule de suif –, va enfin vivre et connaître l’essor qui lui fut curieusement refusé à sa création : à Aix en 1954, puis à Paris en 1956, elle ne connut qu’un accueil assez tiède. L’œuvre fut-elle victime de son propre raffinement, ou de sa propre amertume ? Dans Les Caprices de Marianne il y a constamment de la mélodie mais finalement très peu d’airs ; on se situe dans la droite ligne de créations comme Mârouf ou L’Heure espagnole, le comique en moins, car le livret très intelligemment réalisé par Jean-Pierre Grédy respecte les données de la pièce de Musset : l’héroïne y est un personnage somme toute assez peu sympathique, qui après avoir dit non, non et non, cède au messager Octave au lieu d’écouter l’amour de Coelio dont il était venu plaider la cause. Et la comédie se conclut en drame quand le mari jaloux fait tuer l’amant infortuné.
L’équipe artistique sélectionnée (parmi la cinquantaine de projets soumis au CFPL) a opté pour la légèreté : le décor évoque certes l’architecture monumentale de la galerie Umberto Ier à Naples, ville de l’action, mais vue comme si l’on se couchait au sol pour regarder le ciel, et réduite à quelques éléments en forte perspective. Au centre, une sorte de borne se transforme selon les scènes en banc public, puits ou même baignoire. Quant aux costumes, ils renvoient clairement aux années 1950-60, avec quelques dégaines amusantes (Tibia en perfecto bleu ciel et pantalon moulant, Marianne en jupe-cloche New Look), et comme Musset situe sa pièce à l’époque du Carnaval, on voit apparaître quelques personnages costumés et masqués. La référence au cinéma italien, invoquée par le metteur en scène Oriol Tomas, n’est pas forcément des plus frappantes, mais l’intrigue se déroule avec lisibilité et les différents personnages sont parfaitement caractérisés, même ceux dont la présence reste épisodique, comme la mère de Coelio.
Vocalement, compte tenu du nombre de représentations prévues, une double distribution a été retenue, soit dix-huit chanteurs parmi les plus de deux cents candidats venus d’une trentaine de pays. L’identité du spectacle évoluera donc au gré des personnalités présentes dans les différentes villes dont on trouvera la liste ci-dessous. La Marianne praguoise de Zuzana Markova a pour elle un français remarquable, essentiel dans ce genre d’œuvre ; après avoir remarquée en Lucia et Violetta à Marseille, elle aborde ici un rôle initialement destiné à Lily Pons, et finalement créé par Graziella Sciutti. Si son jeu scénique est celui d’une artiste déjà expérimentée et habituée aux grands rôles du répertoire, ses aigus sont hélas beaucoup trop durs, voire stridents, ce qui nuit aux passages où Marianne livre une facette moins sévère que son visage public, comme lors de sa première apparition ou dans l’air qui conclut le premier acte. Cyrille Dubois est en revanche le plus touchant des Coelio, à la ligne de chant d’une délicatesse de chaque instant, composant un personnage fragile, un enfant comme nous le montre ce moment où, par une judicieuse idée de mise en scène, sa mère lui donne le bain (très belle prestation de Sarah Laulan dans ce rôle brévissime). Philippe-Nicolas Martin possède un joli timbre et une élocution claire, mais sa voix ne se projette pas assez et est fréquemment couverte par l’orchestre. Raphaël Brémard est un Tibia cocasse et sonore, mais le Claudio de Thomas Dear pourrait être un peu plus ridicule. On apprécie à leurs côtés le souriant aubergiste de Jean-Christophe Born, l’élégant chanteur de sérénade de Guillaume Andrieux et la duègne monumentale de Julien Bréan. Dirigé par Claude Schnitzler, que l’on a souvent entendu défendre ce répertoire français injustement négligé, l’orchestre de l’Opéra de Reims rend pleinement justice à la limpidité de la musique de Sauguet, animée ici d’une nouvelle jeunesse qu’on espère durable.
Opéra en deux actes, livret de Jean-Pierre Grédy
Créé le 20 juillet 1954 au festival d’Aix-en-Provence
Mise en scène
Oriol Tomas
Décors
Patricia Ruel
Costumes
Laurence Mongeau
Lumières
Etienne Boucher
Marianne
Zuzana Markova / Aurélie Fargues
Hermia
Sarah Laulan / Julie Robard-Gendre
Octave
Philippe-Nicolas Martin / Marc Scoffoni
Coelio
Cyrille Dubois / François Rougier
Claudio
Thomas Deear / Norman D. Patzke
Tibia
Raphaël Brémard / Carl Ghazarossian
L’Aubergiste
Jean-Christophe Born / Xin Wang
Le Chanteur de sérénade
Guillaume Andrieux / Tiago Matos
La Duègne
Julien Bréan / Jean-Vincent Biot
Orchestre de l’Opéra de Reims
Direction musicale
Claude Schnitzler
Opéra de Reims, vendredi 17 octobre 2014, 20h30
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