Vous venez à Toulouse pour un prochain récital ; en fait c’est un retour dans une ville qui compte pour vous ?
On peut le dire, il faut même le dire parce que j’y ai fait des débuts très importants pour moi : je me souviens que j’étais la voleuse de chaussure dans Lady Macbeth de Mtensk avec Pinchas Steinberg au pupitre. J’y ai aussi chanté Titania dans Mignon mis en scène par Nicolas Joël, tout comme sa Lucia qui m’a permis de faire mes débuts au Met à New York et que j’ai ensuite portée de par le monde, sans oublier La Voix Humaine et Lucrezia Borgia que Christophe Ghristi m’a proposés. Et puis des concerts, donc oui, Toulouse est une ville importante pour moi.
Et puis il y a eu l’étranger, vous y avez beaucoup chanté, vous avez chanté en Italie, à New York, un peu partout en fait.
On peut même dire que j’ai fait la majeure partie de ma carrière à l’étranger et j’ai envie d’ajouter malheureusement. Bien sûr on ne peut pas tout faire en France, il faut sortir de l’hexagone, c’est indispensable et c’est un grand enrichissement. Mais il faudrait que les chanteurs français chantent davantage en France, à Paris et en province. Pour les jeunes chanteurs dont je m’occupe, la carrière est très compliquée.
Il y a eu dans votre carrière des rencontres qui ont été importantes.
Une première rencontre c’était Jean-Claude Malgoire avec qui j’ai fait mes tous premiers et discrets pas baroques… Il m’a donné certaines clés, ce qui fait que mes rencontres par la suite avec Marc Minkowski et William Christie ont coulé de source. Mais toutes les rencontres sont importantes. La carrière c’est comme un puzzle, on avance d’une production à l’autre. Dominique Meyer a été important pour moi quand il était au TCE. Je l’ai ensuite retrouvé à Milan. Gérard Mortier aussi qui m’a fait venir à Madrid puis à l’Opéra de Paris. Hughes Gall enfin m’a fait travailler à Garnier et à Zurich.
Vous avez été élevé dans une sorte de bain non seulement culturel, mais même lyrique.
Absolument, mon père avait fait des études d’ingénieur puis il a fait du chant, il avait une très belle voix de baryton. Il a fait partie du chœur de Radio-France ; figurez-vous qu’il était pianiste aussi et que je ne le savais pas ! Un soir nous avions des amis à la maison, j’entends le piano et là je découvre mon père au piano. J’ai découvert qu’il était aussi musicien ! Quant à ma mère elle a chanté l’opérette pendant de nombreuses années. C’était un milieu artistique, on écoutait beaucoup de musique. Je n’ai pas appris d’instrument mais à la maison on écoutait toutes les musiques.
J’entends un petit regret de votre part de ne pas avoir appris un instrument ?
Oui complètement, j’aurais adoré, mais je m’y suis mise très tard. C’était le piano, mais ça n’a duré que deux ans. Après j’ai rencontré Gabriel Dussurget auprès de qui j’ai passé une audition et j’ai tout arrêté !
La voie était donc toute tracée, mais est-ce qu’il y a eu un déclic, un moment où vous vous êtes dit : « je vais être une artiste lyrique ». Non je ne me suis jamais dit cela. Dans un premier temps je suis entrée dans l’enseignement, j’ai fait l’école normale de Paris et je suis devenue institutrice mais j’ai toujours chanté. Et puis un jour j’ai fait une master-class et suite à cela j’ai été auditionné par Gabriel Dussurget et les choses se sont enchaînées très naturellement.
Savez-vous combien de rôles vous avez à votre répertoire et est-ce que vous diriez que votre voix a changé depuis toutes ces années ?
Je pense que j’ai chanté à peu près 80 rôles de soprano avec une voix qui bien sûr a changé. Je crois qu’elle s’est bonifiée. Quand j’ai commencé, ma voix était un peu une bulle de champagne et petit à petit je suis passée de soprano léger à soprano lyrique. j’ai fait quelques rares incursions dans des répertoires « mezzoïsants » ou plus exactement qui demandent un registre grave solide si on ne veut pas mettre en danger la santé de l’émission vocale et même la santé nerveuse. On m’a proposé des rôles que je rêvais de chanter mais que je ne pensais pas pouvoir aborder à l’époque … j’aurais peut-être dû : Desdémone (Verdi) , la Maréchale. J’ai donc été on va dire « raisonnable » ! J’ai refusé beaucoup de rôles car je pensais ne pas pouvoir les servir correctement ; j’étais consciente des conséquences d’aborder un certain genre de répertoire prématurément pour mes cordes vocales. C’est souvent une porte qu’on ouvre sans pouvoir vraiment revenir en arrière. Et c’est sans doute aussi ce qui m’a permis de durer… Oui, aujourd’hui les jeunes acceptent davantage de choses, y compris des rôles plus lourds et plus tôt, mais n’oublions pas que nous, nous avions davantage de temps à l’époque.
Si vous aviez un conseil à donner à un jeune artiste qui veut se lancer dans le chant ?
C’est une question un peu piège ; je suis beaucoup de jeunes qui viennent me voir. Il y a des jeunes qui sont un peu dans le « fantasme » du chant et c’est ennuyeux. J’essaie de leur faire comprendre que même quand on est doué et qu’on est presque prêt, il est difficile de percer. Mais c’est difficile de leur dire cela. Mais le conseil essentiel c’est de toujours rester authentique. L’enseignement est important pour moi, c’est plus qu’un enseignement, c’est une recherche, une recherche avec mes élèves mais aussi une recherche sur soi-même : avec mes élèves je fais de la haute-couture.
Les mises en scène, la querelle des modernes et des anciens. Comment vous vous situez vous par rapport à ça ?
Si c’est cohérent, pourquoi pas une Bohème dans une station spatiale ! Je suis allée voir cette Bohème de Claus Guth. Oui c’était très bien chanté, la mise en scène était cohérente, donc c’était bien. Et puis je suis sortie et je me suis demandé : « qu’est-ce que tu as ressenti ? ». Et en fait j’ai trouvé que tout cela était froid.
Est-ce que vous avez déjà été confrontée à des metteurs en scène ou à des mises en scène qui vous ont amené finalement à décliner ? Non ça ne m’est jamais arrivé mais je crois que j’ai eu beaucoup de chance. J’ai eu droit à des mises en scènes minimalistes mais dans l’ensemble peut-être que je ne convenais pas à des metteurs en scène plus « radicaux » !
Parmi tous les enregistrements que vous avez faits, lesquels retenez-vous ?
Les pêcheurs de perles à La Fenice avec Marcello Viotti reste un très beau souvenir. J’ai bien aimé aussi les enregistrements avec Opera Rara. Je pense à un Lucio Silla, un enregistrement commencé à La Fenice et terminé à Salzbourg !
A la vue des affiches pour votre prochain récital à Toulouse, on se pose la question : est-ce qu’Annick Massis est en train d’annoncer une tournée d’adieux ?
Comment vous dire ? Cet été j’ai été amené à faire mes débuts à Aix-en-Provence dans un tout petit rôle [la balayeuse dans Louise] pour dépanner une collègue. Cela faisait un petit moment que je n’avais pas été sur scène ; j’ai eu comme un déclic et je me suis retrouvée dans une grande jubilation. Alors quand Christophe Ghristi m’a proposé de faire mes adieux ; je lui ai dit « Mes adieux, tu es sûr ? C’est un peu triste ! » J’ai dit ok, mais dans ce cas je vais me faire plaisir et en fait cela pourrait ressembler à la tournée d’adieux de Madame Gruberova qui a duré presque 20 ans ! Non ce ne seront pas des adieux définitifs. Disons que je me suis carrément fait plaisir ; avec mon ami pianiste Antoine Palloc , nous avons décidé de n’interpréter que des pépites. J’espère que ce sera une soirée partagée et appréciée comme telle…