L’intrigue de l’Italienne à Alger, aussi loufoque que celle d’un film des Marx Brothers, a inspiré un Pierre Thirion-Vallet en grande forme pour cette séduisante production clermontoise. Transposée dans le milieu du cinéma hollywoodien des années 50, son Isabella, glamour à souhait dans son ensemble léopard, affronte le tout-puissant producteur Mustafa pour retourner dans sa chère Italie flanquée de son amant Lindoro, acteur vedette des studios Mustafa, et d’une cohorte de machinistes italiens, le tout sur fond (déjà) de conflit sur la réforme des retraites. Le résultat, porté par une distribution quasiment impeccable, est tout à fait convaincant, de la pantomime burlesque jouée pendant l’ouverture à la reconversion d’un irrésistible chœur masculin en danseurs des Ziegfeld Follies en passant par des jeux de scènes complexes et très soignés, notamment dans la chorégraphie qui clôt le premier acte et dans le maniement virtuose d’un poireau dans l’acte II par Mustafa. Le parti-pris de la farce cinématographique, réussi si l’on en croit les rires fréquents du public, a néanmoins pour effet d’atténuer certains moments d’émotion, notamment dans l’acte I quand Lindoro se retrouve juché sur un dromadaire face à la caméra de Mustafa pour sa cavatine. « Languir per una bella » se transforme alors en un air comique, ce que l’on peut regretter.
Est-ce pour cela que le ténor Joseph Kauzman a paru un peu en retrait durant le premier acte ? Sa présence physique et vocale s’est en revanche affirmée dans le second, où il se hisse à la hauteur de l’excellent Taddeo de Rémi Ortega, aussi bon acteur que chanteur, d’Eugenio Di Lieto en Mustafa, dont le manque de profondeur vocale parfois est plus que compensé par une réjouissante présence scénique, d’une Elvira que Sophie Boyer parvient à rendre à la fois drôle et touchante, et de l’Isabella magistrale de Maria Ostroukhova. La contralto russe, tornade pulpeuse et magnétique, endosse le rôle avec un entrain jubilatoire ; avec son timbre riche, sa tessiture étendue et la souplesse de sa voix, elle se joue des vocalises les plus acrobatiques et emporte l’adhésion dans les récitatifs et les passages plus méditatifs, tandis que son aplomb et son sens dramatique lui permettent d’accomplir la performance de séduire avec une tête recouverte de bigoudis, ce qui, reconnaissons-le, n’est pas donné à tout le monde. Dans le petit rôle de Zulma, transformée en une délicieuse script-girl, Anne-Lise Polchlopek fait plus que tirer son épingle du jeu, tandis que Florian Bisbrouck livre une prestation irréprochable en Haly, assistant roublard du producteur Mustafa. Tous donnent l’impression de s’amuser sur scène, ce qui ne contribue pas peu au plaisir du public.
Ils sont en cela grandement aidés par l’orchestre Les Métamorphoses, dirigé par Amaury du Closel. Cordes moelleuses, bois et cuivres pleins de charme, les musiciens se laissent porter par la musique de Rossini pour impulser une bonne humeur communicative. Dans un décor où trône une caméra géante, les éclairages habiles de Véronique Marsy savent faire ressortir les détails les plus farfelus ou susciter l’illusion d’un plateau de cinéma, tout en sublimant des costumes pimpants parfaitement adaptés aux rôles et aux chanteurs. Même les discours des édiles à l’entracte pour annoncer le nouveau nom du Centre Lyrique Clermont-Auvergne, dorénavant baptisé Clermont Auvergne Opéra, ne sont pas parvenus à atténuer le plaisir que procure ce spectacle enthousiasmant. Qu’elle soit à Alger, à Hollywood ou à Clermont-Ferrand, cette Italienne triomphe décidément de tout !
Dramma giocoso en deux actes, livret d'Angelo Anelli
Créé à Venise, Teatro San Benedetto, le 22 mai 1813
Mise en scène
Pierre Thirion-Vallet
Décors
Frank Aracil
Costumes
Véronique Henriot
Lumières
Véronique Marsy
Isabella
Maria Ostroukhova
Mustafà
Eugenio Di Lieto
Lindoro
Joseph Kauzman
Elvira
Sophie Boyer
Taddeo
Rémi Ortega
Zulma
Anne-Lise Polchlopek
Haly
Florian Bisbrouck
Les Métamorphoses
Direction musicale
Amaury du Closel
Opéra-Théâtre de Clermont-Ferrand, jeudi 16 janvier 2019, 20h
VOUS AIMEZ NOUS LIRE…
… vous pouvez nous épauler. Depuis sa création en 1999, forumopera.com est un magazine en ligne gratuit et tient à le rester. L’information que nous délivrons quotidiennement a pour objectif premier de promouvoir l’opéra auprès du plus grand nombre. La rendre payante en limiterait l'accès, a contrario de cet objectif. Nous nous y refusons. Aujourd’hui, nous tenons à réserver nos rares espaces publicitaires à des opérateurs culturels qualitatifs. Notre taux d’audience, lui, est en hausse régulière avoisinant les 160.000 lecteurs par mois. Pour nous permettre de nouveaux développements, de nouvelles audaces – bref, un site encore plus axé vers les désirs de ses lecteurs – votre soutien est nécessaire. Si vous aimez Forumopera.com, n’hésitez pas à faire un don, même modeste.
Après Maria Stuarda à Genève, les prochains projets de Mariame Clément la conduiront entre autres à Madrid, Glyndebourne et Vienne.
© 2018 - Mentions légales - Tous droits réservés - Publicité - Site réalisé par Damien Ravé