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Encyclopédie du Fantastique

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Livre
13 juin 2010
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Encyclopédie du fantastique
Sur une idée de Pierre Brunel, coordonné par Valérie Tritter.
Paris, Editions Ellipses, 2010

Près de 1100 pages, 58 auteurs, plus de 500 articles, ces chiffres impressionnants ne disent pourtant rien du défi colossal qui sous-tend cette belle entreprise : envisager toutes les formes d’expression à travers lesquelles se déploie le fantastique, y compris les plus récentes telles que les mangas, les séries télévisées et même les jeux de rôle ! D’une dizaine de lignes à une dizaine de pages, généralement suivis de pistes de lectures, les articles alternent des notices sur les auteurs (y compris les théoriciens du fantastique), les œuvres, les personnages historiques, avec des articles sur des sujets extrêmement pointus (la mandragore, le cyborg, l’érudition imaginaire, …), mais aussi des développements plus denses, parfois très personnels et proches de l’essai, sur des problématiques assez vastes (l’anthropologie, le double, la folie, la terreur/l’horreur, les formes narratives du fantastique, l’explication …). Si l’ouvrage balaie les siècles et les cultures, il privilégie néanmoins les productions occidentales. De même, un coup d’œil sur l’index et la bibliographie, où figurent de très nombreuses anthologies (le fantastique affectionne les formes courtes du conte et de la nouvelle), montre que la littérature et le cinéma se taillent la part du lion. Des acteurs et films cultes aux plus jeunes réalisateurs (Aja, Amenabar, Shyamalan), l’encyclopédie ne néglige aucun courant et s’intéresse également aux studios, aux festivals, voire aux spécialistes des effets spéciaux et du maquillage. Les arts plastiques et la musique sont moins couverts, mais la musique dite savante est relativement favorisée. Un seul article, d’une centaine de lignes, survole le blues, le rock, la pop et laissera plus d’un mélomane sur sa faim. Maigre consolation, quelques auteurs prennent la peine de signaler le succès de certains mythes auprès de groupes rock (le vampire, par exemple, chez Cradle of Filth, Artic Monkeys et Vampire Weekend).

 

D’emblée, l’éditeur affirme l’impossibilité de définir le « fantastique », notion protéiforme et insaisissable. Par contre, il a le mérite de chercher à dissiper une confusion extrêmement courante avec la science-fiction1. Si le fantastique ne se laisse pas aisément réduire, Gérard Hourbette, violoniste et directeur du groupe Art Zoyd2, affirme que « la musique est en soi un genre « fantastique » en ce sens qu’elle est une brèche dans un monde normatif ». Son texte sur la musique de film ne retrace pas un historique du genre, mais livre le témoignage d’un compositeur et d’un artisan visiblement enflammé, qui n’hésite pas à critiquer le conformisme de ses pairs, occupés à ressasser les mêmes formules alors que le fantastique leur offre des perspectives extraordinaires et devrait stimuler leur inventivité. Dans son article général sur la musique et le fantastique, Elisabeth Brisson suggère que la « dimension « fantastique » de la musique appartient au registre esthétique et connote la recherche de ce qui doit surprendre l’auditeur au plus intime de son être ». Du stylus fantasticus au scherzo pour orchestre, l’auteur suit le goût pour l’extravagance, la liberté formelle et l’improvisation virtuose, épinglant Liszt, Rachmaninov et bien sûr Paganini. Elle s’attache ensuite à l’héritage de Hoffmann (Schumann), à la postérité de Faust, à la sorcellerie dans le poème symphonique et aux procédés d’écriture (harmonie, dissonances, chromatismes…) pour finalement rendre justice au formidable Lied Erlkönig de Schubert. La Symphonie fantastique est traitée à part et le mérite indiscutablement. Par contre, l’auteur fait l’impasse sur les enfers, les magiciennes, les sorcières, les esprits, les démons, les dragons et autres créatures fabuleuses qui ont inspiré des pages remarquables aux compositeurs baroques. Or, de Purcell à Rameau, on ne compte plus les scènes d’atmosphères, les apparitions, les effets spéciaux, les trouvailles ingénieuses et hardies (le second trio des Parques de Hippolyte et Aricie !) qui saisissent l’auditeur et le touchent au tréfonds de lui-même. Elisabeth Brisson néglige également le surnaturel biblique et ignore la musique sacrée, toujours sans la moindre explication.

 

Son article sur l’opéra enracine le fantastique dans le romantisme et s’ouvre par une évocation des Contes d’Hoffmann, évocation succincte car ils font l’objet d’un article distinct, avant de rappeler le geste fondateur de Spohr dont le Faust est créé en 1816 et d’analyser par le menu l’écriture du Freischütz de Weber. Emportée par son sujet, l’auteur cite Undine aux côtés des opéras de Spohr et Weber, mais ne songe pas à préciser que l’opéra est de la main de Hoffmann. On regrettera aussi que dans l’article dévolu à ce dernier, Dominique Iehl affirme que l’écrivain allemand « était, peut-être, avant tout un musicien passionné » sans dire un mot de ses compositions. Ce sont peut-être là des points de détail, mais ils surprennent dans un ouvrage qui revendique son niveau universitaire. Elisabeth Brisson ne fait que citer en passant Der Vampyr de Marschner et le drame concurrent de Lindpaintner, puis aborde brièvement les contributions de Hérold (Zampa), Donizetti (L’Elixir d’Amour), Humperdinck (Hänsel et Gretel), Dvorak (Le Diable et Catherine, Russalka), Debussy (Pelléas et Mélisande, mais aussi ses projets d’adaptation de nouvelles de Poe, La Chute de la Maison Usher et Le Diable dans le beffroi), Bartok (Le château de Barbe-Bleue), Ravel (L’enfant et les sortilèges) et Ligeti (Le Grand Macabre). Certes, une encyclopédie ne vise pas à l’exhaustivité. En outre, « les auteurs, nous dit l’éditeur, ont été libres de s’exprimer avec leur style et leur originalité, leur fantaisie parfois »,  mais « à condition que leurs exposés restent le plus objectifs et le plus scientifiques possibles ». Et c’est ici que le bât blesse. Elisabeth Brisson ne voit sans doute pas dans Robert le Diable  (Meyerbeer) ni dans Les diables de Loudun (Penderecki) des œuvres significatives et dignes d’être mentionnées, elle ne prise peut-être pas non plus Golem (John Casken)3, Le château des Carpathes (Philippe Hersant), L’autre côté (Bruno Mantovani) ou encore Le Voyageur enchanté (Rodion Shchedrin), pour ne citer que quelques créations relativement récentes, dont l’avenir nous dira si elles entreront au répertoire. L’absence d’ouvrages postérieurs au Grand Macabre, qui remonte à 1978, peut surprendre, mais elle ne choque pas. En revanche, l’auteur omet des chefs-d’oeuvre consacrés tels que La Dame de Pique, Le Tour d’écrou, La Ville morte ou Le Nez. Paradoxalement, le lecteur devra consulter l’article de Jean-Pierre Picot sur la musique comme thème littéraire pour apprendre que Le Tour d’écrou de Brittenet La Chute de la Maison Usher de Debussy sont « deux impressionnantes réussites », hélas sans autre précision. On peut comprendre qu’elle ne cite pas le Doctor Faust de Busoni ou Votre Faust de Pousseur, mais peut-elle ignorer le Faust de Gounod ou le Mefistofele de Boito sans faillir à sa mission de vulgarisation ? Heureusement, elle les cite dans son texte sur le mythe littéraire et musical de Faust, lequel s’arrête, soit dit en passant, à Mahler et ignore à nouveau la création contemporaine (Busoni, Pousseur, Schnittke, Rihm, Manzoni…), mais Gounod et Boito avaient aussi leur place dans un article général sur l’opéra et le fantastique.

 

Autre sujet de perplexité, déjà relevé mais encore plus frappant dans cet article sur l’opéra : Elisabeth Brisson semble considérer que le fantastique naît avec le romantisme allemand, avant de connaître de multiples avatars. Après avoir souligné la rareté des arguments à proprement parler fantastiques, elle ajoute que le fantastique affleure souvent dans l’opéra et signale les hallucinations représentées ou suggérées dans Lucia, Boris Godounov et Wozzeck. Quand il s’agit de fournir d’autres exemples de l’irruption du fantastique, elle évoque « la terrifiante descente dans les souterrains du château de Pelléas », puis « la perversité sardonique de Scarpia »… C’est ainsi que les deux premiers siècles de l’histoire de l’opéra, où pourtant le fantastique est déjà bien présent, passent complètement à la trappe. Concluant sur les procédés d’écriture qui produisent des « effets d’effroi », l’auteur reconnaît qu’ils sont utilisés depuis les débuts du genre et fait référence à l’Orfeo de Monteverdi. C’est un peu tard et surtout, un peu court ! Wagner est mieux loti et bénéficie d’une entrée. Elisabeth Brisson y revient sur le Vaisseau fantôme et se penche également sur Tannhaüser. La qualité de ses analyses musicales n’est pas en cause, loin de là, mais les partis pris éminemment subjectifs d’Elisabeth Brisson détonnent dans le cadre d’un projet encyclopédique qui, de surcroît, aspire à devenir une référence.

  

Qui trop embrasse mal étreint ? Un millier de pages supplémentaires ne combleraient pas davantage les attentes des lecteurs. Cette encyclopédie ne constitue pas une somme définitive, mais une mine d’informations et d’idées, un grimoire qui, pour reprendre les paroles d’un célèbre générique, nous ouvre les portes d’une autre dimension, faite non seulement de paysages et de sons, mais surtout d’esprit, et nous convie à  un voyage dans une contrée sans fin dont les frontières sont notre imagination.

Bernard SCHREUDERS

 

 

1 Les amateurs éclairés sursauteront en lisant que Star Trek bafouerait le plus souvent les lois élémentaires de la physique. Cette contre-vérité, assénée sur un ton catégorique, jure avec les prétentions à l’objectivité et à la rigueur scientifique de l’éditeur. Dans The physics of Star Trek, excellent ouvrage de vulgarisation préfacé par Stephen Hawking, le professeur Lawrence Krauss reconnaît, au contraire, que la plupart des inventions représentées dans la série ne violent pas les lois de la physique.

 

2 Gérard Hourbette a également composé pour l’Orchestre National de Lille, pour l’ensemble Musiques Nouvelles et l’ensemble Ars Nova. Pour Art Zoyd, il a, entre autres, écrit une opérette pour robots et musiciens, Armageddon. Son groupe a également mis en musique six films muets essentiellement fantastiques (Murnau, Lang, Christensen, Vertov).

3 Il n’est pas non plus cité dans l’article sur le Golem, qui se focalise sur la fortune littéraire du mythe. Curieusement, la notice consacrée au vampire omet l’opéra de Marschner, mais déclare que Massenet a puisé son inspiration dans cet « être crépusculaire » ! A ma connaissance, aucune de ses œuvres ne met en scène un vampire. En fait, l’auteur monte probablement en épingle un détail anecdotique de la genèse de Thaïs. Dans les dernières pages de l’esquisse parisienne du Ballet de la Tentation (1892), après la mort de Thaïs, les Filles blanches maudissent Athanaël en s’écriant : « Vampire ! Vampire ! ». Toutefois, ce chœur a disparu de la version finale de l’opéra.

 

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