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Maxime Pitois : « Transmettre et partager l’émotion »

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Interview
16 juin 2025
Après une Carmen remarquée en 2023, le chef d’orchestre et directeur artistique de Labopéra Bourgogne vient de diriger à Dijon La Belle Hélène.

Infos sur l’œuvre

Détails

Vous venez de diriger à Dijon une Belle Hélène qui a rencontré un franc succès . Pouvez-vous rappeler quelle est la démarche de cette singulière entreprise ?

Le Labopéra Bourgogne a pour objectif principal de rendre l’opéra accessible au plus grand nombre avec un modèle de production lyrique participative fondé sur une double exigence : l’excellence artistique et l’inclusion sociale. Son originalité repose sur l’implication directe de plus de 400 jeunes et leurs professeurs en lycées techniques et professionnels mais aussi en CFA (centres de formation d’apprentis) dans la réalisation concrète des éléments du spectacle (décors bois et métal costumes, coiffures et maquillages, techniques, transports, communication, vente et accueil du public…). Le monde professionnel côtoie le monde amateur (au sens étymologique du terme puisque c’est « celui qui aime » ). En effet, un chœur de 60 à 70 choristes amateurs, un orchestre composé selon les productions de 25 à 65 instrumentistes professionnels et amateurs éclairés, 15 danseurs et autant de comédiens pré-professionnels complètent la troupe.

Sans oublier l’équipe technique, les professeurs des divers établissements, les bénévoles… le tout sous la direction de professionnels du spectacle vivant (chef d’orchestre, metteur en scène, chef de chœur, cheffe de chant, chorégraphe, chanteurs lyriques…) qui garantissent un haut niveau artistique. La diversité des 700 personnes impliquées (professionnels, amateurs, professeurs, étudiants, élèves) donne toute sa puissance au caractère fédérateur de ce projet coopératif.

Notre rôle est d’attiser la curiosité, de permettre de ressentir et partager des émotions propres au spectacle vivant avec un public en majeure partie néophyte. Nous défendons ainsi une vision humaniste de l’art lyrique : populaire et résolument tournée vers la transmission tout en restant exigeante. Ce projet permet de valoriser les compétences et l’intelligence de la jeunesse d’une ville ou d’une région tout en rendant l’opéra accessible à un large public, grâce à une politique tarifaire adaptée et une implantation territoriale forte.

Outre nos grandes productions au Zénith de Dijon, nous menons régulièrement des actions de médiation culturelle dans les écoles, quartiers et associations, toujours dans l’optique de sensibiliser au spectacle vivant. En résumé, pour ces 400 jeunes, le Labopéra Bourgogne représente donc l’ouverture, la rencontre de l’autre, en les invitant à se nourrir de la découverte d’un monde inconnu et à aller au-delà des préjugés.

L’éducation musicale de notre jeunesse demeure un maillon faible de notre école. Quel remède y apporter, quelles propositions pour que chacun puisse accéder au meilleur de tous les répertoires, et saffûte la voix, le geste et loreille ?

C’est une question essentielle, presque politique, tant elle touche à l’égalité des chances culturelles. Il faut reconnaître que l’éducation musicale, aujourd’hui, est souvent reléguée et perçue au second plan dans notre système éducatif,  alors qu’elle est fondamentale : elle développe l’écoute, la mémoire, la coordination, l’expression personnelle, le goût du collectif. Elle est un formidable outil de formation de l’intelligence sensible. Le métier d’enseignant est passionnant mais difficile, et j’admire énormément celles et ceux qui, chaque jour, transmettent bien plus que des savoirs : une curiosité, une confiance. Ils sont souvent en première ligne pour faire exister la culture là où parfois/souvent elle recule. Leur rôle est crucial, notamment dans les disciplines artistiques, où chaque heure peut faire naître une curiosité, une envie de découvrir, une vocation ?

De mon expérience à travers le Labopéra Bourgogne, je vois semaine après semaine le regard des jeunes changer sur l’opéra et l’intensité des émotions qu’ils ressentent lors des représentations. Il faut bien comprendre que ces jeunes se focalisent pendant toute une année scolaire pour un projet avec constance et application sur la fabrication d’un décor en bois ou d’un costume. Ils ne comprendront la portée de leur implication que dans le dernier mois de production lorsque sur la scène du Zénith se rassembleront décors, musiciens, chanteurs… C’est à ce moment que la magie opère, ils prennent conscience de ce qu’ils ont réalisé, ils prennent alors confiance en eux et se sentent valorisés. Ils vivent intensément les émotions du spectacle vivant. Il faut créer des passerelles entre école et structures culturelles : conservatoires, opéras, ensembles en résidence, artistes intervenants. Les projets participatifs comme ceux de La Fabrique Opéra montrent que lorsqu’on donne à des jeunes l’occasion d’être acteurs, pas seulement spectateurs, ils s’approprient très vite les œuvres les plus exigeantes.

Je crois fermement qu’accéder au meilleur des répertoires, ce n’est pas une question de niveau social, c’est une question d’accès et d’envie. Et cette envie, elle se cultive dès l’enfance, à condition qu’on ouvre les portes et qu’on cesse de réserver l’excellence à quelques-uns.

© DR

Tout porte à penser que vous auriez pu être chanteur (vos exemples vocaux et instrumentaux sont révélateurs)… Quel est votre intérêt pour le chant lyrique ?

J’ai une trop grande admiration et un profond respect envers les chanteurs lyriques pour prétendre être en mesure d’être des leurs ! Mais les chefs de choeur et chefs de chant que je connais m’on souvent dit avoir une voix naturellement « placée ». J’ai toujours aimé chanter, depuis l’enfance dans des chorales ou en travaillant mon instrument. Le métier de chanteur lyrique demande une maîtrise technique exceptionnelle, un engagement corporel total, une sensibilité à fleur de peau et une endurance physique et mentale souvent méconnue.

J’admire profondément les chanteurs car ils allient la beauté du geste vocal à l’interprétation dramatique, dans une discipline où l’on ne triche pas. Je les admire et je les aime profondément. Je veille toujours à faire en sorte qu’ils puissent donner le meilleur d’eux-mêmes, en répétition comme en représentation. Je ne les dirige pas, je les accompagne dans leurs lignes et phrasés et dans les émotions à transmettre.

Quelle part réservez-vous à lopéra, et en quoi  sa direction exige-t-elle des qualités spécifiques ?

Le monde de l’opéra m’émerveille toujours profondément par sa nature d’art total où toutes les disciplines se rencontrent. J’aime cet esprit de troupe et cette énergie qui en émane. L’art lyrique occupe désormais une place essentielle dans mon parcours et ma vision du métier de chef d’orchestre. Cela exige des qualités spécifiques qui vont au-delà de la maîtrise orchestrale. La direction musicale nécessite avant tout une écoute fine et une souplesse permanente pour accompagner les chanteurs, respecter leur respiration, leur diction, leurs intentions dramatiques et les différentes couleurs de voix proposées,  tout en gardant une architecture musicale claire et cohérente. En résumé, leur donner l’illusion qu’ils sont libres, tout en gardant le contrôle de la forme.

L’aspect pluridisciplinaire représente une source inépuisable d’inspiration : il ne suffit pas d’être sensible à la musique ou au texte, il faut aussi un sens aigu du théâtre, comprendre la mise en scène, saisir la dramaturgie et les caractères des différents personnages, s’imprégner de l’espace, des costumes, des lumières…tout est narration. C’est un art de la fusion et de la précision, c’est ce qui rend l’opéra exigeant, mais c’est justement cette exigence qui en fait un lieu de vérité artistique rare. Il faut également une grande capacité d’anticipation et de coordination car l’opéra engage un travail collectif complexe entre plateau, fosse, régie, chœurs, décors et machinerie. Enfin et surtout, c’est faire preuve d’humilité : accepter de ne pas être seul au centre, mais au service d’un tout qui dépasse chacun des participants pris isolément. C’est justement cela qui me séduit avec le Labopera Bourgogne, la puissance du collectif !

Entre vos activités denseignement à la Haute Ecole de Musique de Lausanne et vos engagements en Suisse et hors dEurope (rien qu’entre juin et août prochain, Atlanta, Bandung, Sydney, Seattle, Orlando…), comment gérez-vous toutes ces activités ?

Il est vrai que je ne m’ennuie pas et j’en suis ravi .  Cela demande une grande capacité d’organisation et d’anticipation. Avec l’expérience, on apprend à mieux gérer son temps. C’est un métier de passion qui demande beaucoup d’énergie et avec lequel nous apprenons toute notre vie. Il faut avant tout être curieux et puiser son inspiration dans d’autres formes d’arts, je pense notamment à la littérature et la peinture. Et surtout faire preuve d’humilité. Je crois avoir trouvé mon équilibre entre les concerts qui me font sentir vivant et le goût de la transmission. Transmettre ma passion sans l’énergie que me procure la scène serait d’ailleurs totalement illusoire. J’aime profondément être sur scène et partager des émotions avec les musiciens et le public.

J’aime voyager, découvrir de nouvelles cultures, apprendre, partager…Je me nourris des différences culturelles et apprends beaucoup en dirigeant régulièrement des orchestres américains, européens ou asiatiques. Ces expériences à l’international sont très épanouissantes et je me réjouis de pouvoir diriger entre autres à l’opéra de Sydney, un vrai rêve d’enfant ! Bien évidemment, rien ne serait possible sans le soutien quotidien de ma femme, Julie, et de nos trois enfants.

Comment êtes-vous devenu chef d’orchestre ?

Tromboniste étant enfant, j’ai eu la chance de découvrir l’orchestre assez tôt en tant qu’instrumentiste au sein d’un orchestre d’harmonie. Je suis d’ailleurs encore très attaché à ce répertoire pour ensembles à vents où il y a de véritables trésors. Et puis j’ai eu cette envie forte de passer de l’autre côté, au cours de ces années où j’ai découvert ou approfondi l’histoire de la musique, l’histoire des arts, l’analyse, l’écriture, l’orchestration mais aussi l’organologie et l’ethnomusicologie. J’avais ce besoin de m’exprimer par le geste plus que par l’instrument. J’ai commencé la direction d’orchestre au Conservatoire à Rayonnement Régional de Dijon avec Hélène Bouchez puis à la Haute École de Musique de Lausanne (HEMU) auprès d’Aurélien Azan Zielinski où j’obtins un master en direction d’orchestre avec la mention très bien et les félicitations du jury. C’est d’ailleurs dans cette même institution que l’on me propose très tôt de prendre en charge les ensembles du conservatoire puis quelques années plus tard d’enseigner l’initiation à la direction d’orchestre pour les étudiants en Bachelor à l’HEMU Lausanne. J’ai ensuite la chance d’être remarqué à la Gstaad Conducting Academy lors du Menuhin Festival par Leonid Grin et Neeme Järvi, et lauréat de plusieurs prix internationaux. Également lauréat du prix Carl Schuricht et de la Fondation Leenaards, j’ai ensuite étudié lors de diverses master classes auprès de Hervé Klopfenstein, Simon Halsey, Neeme Järvi, Leonid Grin, Gennady Rozhdestvensky et David Reiland.

 Quel est selon vous le rôle du chef dorchestre ?

Être chef d’orchestre, c’est être un passeur d’art. C’est bien plus que diriger un ensemble : c’est transmettre une œuvre, un style, une émotion, une mémoire. C’est faire le lien entre le compositeur, les musiciens, les chanteurs, la scène et enfin et surtout le public.  Quel que  soit l’orchestre que nous avons en face de nous (jeunes, amateurs ou professionnels), notre mission de passeur reste la même et la pédagogie doit être constante. Enfin je crois fermement que le rôle du chef d’orchestre est de rassembler et unir, c’est notre « mission »… N’est-ce pas une valeur essentielle en ce moment ?

Outre ces concerts prestigieux et lointains, quels sont vos projets pour la saison prochaine ?

Le mot qui caractérise le mieux ma prochaine saison est l’éclectisme. Le répertoire symphonique d’abord avec entre autres le mythique  Concerto pour violon  de Mendelssohn, la symphonie n°8 de Dvorak et son Concerto pour violoncelle, avec la formidable soliste Maria Andrea Mendoza Bastidas, les trop peu jouées Danses de Galanta de Kodaly. J’aurai aussi le bonheur de conduire pour deux représentations en Suisse le « Requiem Allemand » de Brahms (peu présent en France en regard de la Suisse et de l’Allemagne). Il y aura également deux projets cross-over l’un avec l’Orchestre Dijon-Bourgogne, et l’autre avec un orchestre d’harmonie, un slammeur et un graffeur.

Je dirigerai de multiples ciné-concerts, à l’international toujours, avec le Detroit Symphony Orchestra, le Orlando Philharmonic Orchestra, l’orchestre symphonique de Manille , puis Taïwan, Hong-Kong, et bien d’autres en 2026. Malgré le cadre strict imposé par l’enjeu de la synchronisation, j’aime donner l’illusion que la musique conserve tout son espace de liberté dans le temps et l’interprétation. En préparation, le spectacle « Brel en Symphonie » avec mon cher ami et baryton Christophe Lacassagne que j’ai plaisir à retrouver. Et enfin et toujours l’opéra, avec la reprise de La Belle Hélène la saison prochaine dans de plus petites salles, puis La traviata en 2027.

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