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Olivier PY : « Il n’y a pas de « Il faut » en art »

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Interview
20 novembre 2023
Olivier PY propose une nouvelle production de Boris Godounov à Toulouse du 24 novembre au 3 décembre, puis au Théâtre des Champs-Elysées en 2024.

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Détails

Dans l’entretien qu’il a accordé à Forum Opéra, il évoque cette œuvre, mais aussi le travail du metteur en scène en général.

Après Gioconda, en 2021, vous voici de retour à Toulouse.
Oui, c’est une maison que j’aime beaucoup, où je me sens bien, où l’on travaille bien. C’est très important pour les artistes d’avoir des fidélités avec un théâtre. Christophe Ghristi [directeur artistique de l’Opéra National du Capitole de Toulouse] a fait ici un très gros travail et a placé cette maison très haut !

Boris Godounov donc : vous avez choisi la version de 1869 ?
C’est la version aujourd’hui la plus jouée, et c’est Christophe Ghristi qui m’a convaincu de la travailler. Cette version est incomparable : elle est d’une modernité folle. Musicalement on est dans Berg, on n’est pas dans Tchaïkowski ! C’est une version brute, violente. Pour la travailler, j’ai passé trois semaines à un mois à l’écouter au piano. Je peux regretter qu’il manque l’acte polonais ou la dernière scène –mais ce n’est pas grave j’ai tout réintégré dans la mise en scène !

Qu’est-ce qui vous a intéressé dans cet opéra ?
Je ne dirai pas que je connais bien la Russie, j’ai résidé un peu à Moscou ; mais j’ai ma vision de la Russie, un rapport personnel, d’amour passionnel et de détestation. Comme toujours j’ai voulu mélanger les époques, parce que je crois que cette œuvre a un destin extraordinaire. Je ne connais pas un autre opéra qui soit à ce point mis en résonance avec un destin national. Staline a pu le voir comme une œuvre pré-révolutionnaire mais il a eu peur ensuite de ce que Boris pouvait dire sur sa propre autocratie et il l’a retiré du répertoire. Et puis aujourd’hui on vit dans un quotidien percuté par la situation en Ukraine. Je tire une ligne directe entre Boris Godounov et Poutine en passant par Ivan le Terrible, Nicolas II et Staline ; dans la mise en scène je le montre, je fais un digest de l’histoire de la Russie en trois minutes !

Les événements actuels ont-ils heurté votre travail ?
Sans doute. Par leur violence. C’est l’idée aussi que le pouvoir russe est toujours le même, autocrate, cleptocrate, violent. La question de la légitimité du pouvoir est une question que je me suis longtemps posé. Qu’est-ce qui fait qu’un pouvoir nous parait légitime ? Or, la pensée russe c’est que tous les pouvoirs sont illégitimes : il n’y a pas de pouvoir légitime. Ce qui légitime un pouvoir c’est un récit, un narratif comme on dit aujourd’hui. Que ce soit le pouvoir d’un Macron, plutôt démocratique, ou d’un Poutine, franchement pas démocratique, il y a toujours un narratif et ce narratif ce sont les poètes qui le font et la rue. Quand elle se met à chanter les poètes, la rue tresse la légitimité ou la légitimité illusoire du pouvoir en place. C’est ça le sujet de Boris. Les Russes savent vivre avec la violence du pouvoir, ils en souffrent mais ils savent vivre avec. Il y a un pathos russe qui me fascine et me fait peur à la fois. Tout cela est dans l’œuvre. Ce qui m’intéresse dans le personnage de Boris c’est que c’est un imposteur détrôné par un autre imposteur. C’est cela qu’a vu Moussorgski, davantage peut-être que Pouchkine qui voulait faire une pièce sur le peuple.

La langue russe pose-t-elle un problème ?
Oui bien sûr, parce que je ne la comprends pas. C’est le seul opéra avec La Dame de Pique que je monte dans une langue que je ne comprends pas. C’est un handicap. Il faut travailler beaucoup plus, apprendre le livret presque par cœur pour réussir à repérer les mots-clés.

Est-ce que mettre en scène un opéra est différent de mettre en scène une pièce de théâtre ?
C’est l’éternelle question ! Je répondrai par non d’abord, parce que dans le travail que je fais, il s’agit déjà d’un théâtre lyrique même quand il est parlé. Donc fondamentalement non : le théâtre c’est le théâtre. On raconte des histoires avec des outils qui sont les mêmes. Mais oui pourtant, parce qu’il y a les spécificités du chant, des chanteurs. Au théâtre on peut toujours inventer un théâtre, naïvement, à partir de rien, de son propre rêve ; c’est ce que j’ai essayé de faire quand j’avais vingt ans. A l’opéra, il y a des contraintes, mais je les adore.

Il y a quand même une dimension supplémentaire dans l’opéra. C’est peut-être aussi pour cela que très vite, à 30 ans, vous avez monté votre premier opéra. [Der Freischütz].
Oui mais j’étais déjà un fanatique d’opéra, chanteur amateur. D’ailleurs j’aurais aimé être chanteur d’opéra, mais c’est trop de travail, trop de sacrifice ! C’est trop dur ! Beaucoup trop dur ! J’aurais aimé chanter le lied. C’est du reste un peu ce que je fais quand je chante des chansons. Ce que je cherche dans la mise en scène c’est le lyrisme : j’ai construit mon esthétique du jeu au théâtre, à partir des chanteurs d’opéra, donc dans un sens inverse de celui de Patrice Chéreau qui, lorsqu’il montait des opéras, rêvait que ses chanteurs jouent comme ses acteurs ; moi, quand je monte des pièces, je rêve que mes acteurs jouent comme des chanteurs d’opéra ! Qu’ils jouent comme Gwyneth Jones ou Shirley Verrett en Lady Macbeth ! Quand je donne des cours de théâtre, je commence par montrer Leonie Rysanek dans Elektra !

Vous allez continuer à mettre en scène ? [Olivier Py est aujourd’hui directeur du Théâtre du Chatelet]
Toute ma vie on m’a demandé ; est ce que tu vas continuer à jouer quand tu seras directeur ? Est-ce que tu vas continuer à mettre en scène ? Mon but c’est de faire des spectacles, pas d’être directeur. Être directeur en soi ne m’intéresse pas : si je ne fais pas de théâtre, à quoi bon être directeur ?

La question de la transposition.
Faux débat ! D’abord il faut une dramaturgie, il faut lire l’œuvre. Moi je n’ai jamais fait de transposition. En fait c’est une question qui ne m’intéresse absolument pas. Je n’aime pas les actualisations parce que ça crée du réalisme, or ce que je veux de mes mises en scène c’est qu’elles fabriquent un rêve. Si on transpose pour retomber dans un réalisme anecdotique, je ne vois pas l’intérêt. Je préfère faire des compositions dans lesquelles je prends en compte l’époque de la diégèse, l’époque de la rédaction et l’époque contemporaine ; c’est ce que je fais sur Boris. Comprendre l’œuvre dans son contexte philosophique et essayer de la transcrire aujourd’hui. Les ouvrages du 19ème siècle sont en réalité tous transposés : Aida ne parle pas de l’Égypte, mais parle du Risorgimento ! Pour les contemporains c’était très clair.

Oui, mais quand on va jusqu’à modifier la trame de l’œuvre. Quand c’est Carmen qui tue Don José ?
On peut reprendre la phrase de Mahler : « La tradition n’est pas le culte des cendres, mais la préservation du feu ». Les metteurs en scène sont des poètes, ils font ce qu’ils veulent, c’est très bien. Le public a le droit de détester, de huer. Moi, j’ai été hué dans 80 pour cent de mes premières, j’ai l’habitude. Il n’y a pas de « Il faut » en art. L’idée qu’il y ait deux camps, celui des traditionalistes et celui du Regietheater est une simplification excessive.

Mais celui qui découvre La Bohème dans une mise en scène qui montre une station spatiale, et qui de ce fait décide de ne plus remettre les pieds à l’opéra ?
Mais c’est quoi la tradition ? La tradition c’est une tradition de trente ans seulement. C’est la tradition de papa ! C’est au contraire si l’on fait un théâtre poussiéreux que l’on va faire fuir le public. Si l’on revient à Carmen avec des toiles peintes, cela fera plaisir à la frange réactionnaire du public mais c’est alors que l’on perdra le public. Après, il y a des spectacles réussis et des spectacles ratés, tout simplement.

Vous n’avez pas de craintes pour l’avenir de l’opéra ?
Si, j’ai des grandes craintes. Mais elles ne sont pas d’ordre esthétique. L’opéra coûte cher ; on est donc obligé d’augmenter le prix des billets qui devient prohibitif et la sociologie de notre salle en est impactée.

Avec certaines politiques municipales qui n’aident pas.
Oui je suis très surpris ; autrefois le monde de la musique classique était sanctuarisé dans les politiques culturelles et aujourd’hui on tire à boulets rouges, ce n’est pas admissible.

Vous avez un compositeur préféré ?
Wagner über alles !

Alors à quand un Ring signé Olivier Py ?
Je ne demande pas mieux ; j’ai déjà eu trois annulations de Ring, dont une avec Barenboïm. Tout était bien engagé mais Stéphane Lissner s’est arrangé pour que cela ne se fasse pas !

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