La scène baignée d’une lumière rougeâtre, une reproduction de Toulouse-Lautrec sur la conque, l’auditorium du Musée d’Orsay se pare résolument des couleurs de son exposition de rentrée « Splendeurs et misères, images de la prostitution ». Felicity Lott, qui a déjà, de par le monde, rendu hommage aux fallen women et aux virtuous wives dans son récital du même nom, a sans conteste le répertoire idéal pour inaugurer ce cycle.
Nul n’ignore, au moins depuis ses Offenbach avec Marc Minkowski et Laurent Pelly, que Felicity Lott sait faire rire : des deux vers elliptiques du « Promiscuity » de Samuel Barber au largement plus suggestif « Come on Algernon » de Lord Berners, dont Serge Gainsbourg semble avoir tiré la substantifique moelle d’ « Annie aime les sucettes », la soprano semble nous parler depuis une pièce d’Oscar Wilde, qui ne se dépare jamais d’une élégance un peu corsetée. Cette touche de flegme britannique donne un surcroît de charme au balancement irrésistible de « Komm zu mir zum Tee » et à des mélodies françaises qu’elle connaît sans doute mieux que certaines de ses consœurs hexagonales : « J’ai deux amants », « C’est très vilain d’être infidèle » ou l’extrait de La Belle-Hélène donné en bis sont, pour le public, autant de tubes, de points de repère indissociables de la carrière de cette amoureuse de la langue française.
Mais chacun sait, au moins depuis de bouleversantes Maréchales, que Felicity Lott sait aussi faire pleurer. Si Wolf (« Das verlassene Mägdlein ») et Weill (le glaçant « Nanas Lied », qui cache, sous le pittoresque de l’argot, une inextinguible tristesse) rappellent opportunément les affinités de Lott avec la langue de Goethe, qu’elle dit avec le plus grand naturel, ce sont les mélodies françaises, là encore, qui gravent dans la mémoire du public une « Dernière valse » et une « Dame de Monte-Carlo » mélancoliques et résignées, graves mais pudiques, préférant à l’étalage des affects le frisson des passions que l’on ne dit pas. C’est d’ailleurs un hommage à la chanson française, avec le fantomatique « Colloque sentimental » de Léo Ferré, qui clôt un programme où l’amour n’est jamais heureux bien longtemps.
Et tout ce voyage, c’est avec une voix étonnamment préservée, bien projetée encore, à peine émoussée aux extrémités de la tessiture, que Felicity Lott le mène. Dommage que son fidèle comparse, Graham Johnson, ait eu ce soir-là des doigts de plomb ; c’est les mains en feu que le public parisien acclame une de ses plus belles amoureuses.
Franz Schubert (1797-1828)
Die Männer sind méchant
Gretchen am Spinnrade
Johannes Brahms (1833-1897)
Mädchenlied
Hugo Wolf (1860-1903)
Das verlassene Mägdlein
Erstes Liebeslied eines Mädchens
Francis Poulenc (1899-1963)
La Dame de Monte-Carlo
Samuel Barber (1910-1981)
Promiscuity
William Walton (1902-1983)
Wapping Old Stairs
Kurt Weill (1900-1950)
Nanas Lied
Franz Lehar (1870-1948)
Komm zu mir zum Tee
Johannes Brahms (1833-1897)
Och Moder, ich well en Ding han
Robert Schumann (1810-1856)
Singet nicht in TrauertPonen
Oscar Strauss (1870-1954)
Jede Frau hat irgendeine Sehnsucht
Warum soll eine Frau kein Verhältnis haben ?
Noël Coward (1899-1973)
Alice is at it again
Lord Berners (1883-1950)
Come on, Algernon
Reynaldo Hahn (1874-1947)
C’est très vilain d’être infidèle
André Messager (1853-1929)
J’ai deux amants
Reynaldo Hahn (1874-1947)
La dernière valse
Léo Ferré (1916-1993)
Colloque sentimental
Bis :
Jacques Offenbach (1819-1880)
On me nomme Hélène la blonde (La Belle-Hélène)
Francis Poulenc (1899-1963)
Les chemins de l'amour
Felicity Lott, soprano
Graham Johnson, piano
Paris, Auditorium du Musée d'Orsay, le jeudi 01 octobre 2015, 20h30
VOUS AIMEZ NOUS LIRE…
… vous pouvez nous épauler. Depuis sa création en 1999, forumopera.com est un magazine en ligne gratuit et tient à le rester. L’information que nous délivrons quotidiennement a pour objectif premier de promouvoir l’opéra auprès du plus grand nombre. La rendre payante en limiterait l'accès, a contrario de cet objectif. Nous nous y refusons. Aujourd’hui, nous tenons à réserver nos rares espaces publicitaires à des opérateurs culturels qualitatifs. Notre taux d’audience, lui, est en hausse régulière avoisinant les 160.000 lecteurs par mois. Pour nous permettre de nouveaux développements, de nouvelles audaces – bref, un site encore plus axé vers les désirs de ses lecteurs – votre soutien est nécessaire. Si vous aimez Forumopera.com, n’hésitez pas à faire un don, même modeste.
Sous cet intitulé un peu provocateur nous avons souhaité initier une conversation avec le sociologue Didier Eribon : ce genre, financé par la communauté, s'adresse-t-il équitablement à tous les membres de la société ?
© 2018 - Mentions légales - Tous droits réservés - Publicité - Site réalisé par Damien Ravé