Robe en lamé et chignon bien serré pour la chanteuse, satin noir et longue chevelure de jais pour la pianiste, le glamour fait ce soir son entrée, sur la scène de Schwarzenberg. Entre convaincre ou séduire, les deux jeunes femmes n’ont pas voulu choisir, et ont résolu de jouer sur les deux tableaux !
Dans un récital partagé entre Schubert, pour la première partie, et Schumann pour la seconde, les deux jeunes femmes partent à l’assaut d’un public certes varié, mais exigeant et connaisseur. Depuis des années en effet, Schwarzenberg, petite localité nichée au milieu du Vorarlberg autrichien accueille dans un cadre idyllique et avec une programmation très pointue la fine fleur des interprètes du chant et de la musique de chambre. Le public vient de Zurich, de Bregenz ou même de Ulm, Augsbourg ou Munich, mais une large partie de la salle est purement locale, et donc rurale, tout aussi avertie et connaisseur, témoignant au passage que le répertoire du Lied romantique est encore bien vivant. Certes, le public n’est pas ici plus jeune qu’ailleurs, mais dans la génération de ceux qui ont reçu l’essentiel de leur éducation dans les années ’70, ce répertoire fait tout simplement partie de la culture générale, ou de la culture tout court, l’écoute particulièrement attentive et participative en témoigne. Pas de sonnerie de téléphone portable, donc, pas de toussotement, pas de bruit de sac en plastique ou de papier froissé, tout ici contribue à l’épanouissement de la musique dans une salle à l’acoustique exceptionnelle, entre gens de bonne compagnie, pour le plus grand bonheur de tous.
Entrée dans le métier il y a une petite dizaine d’années, Regula Mühlemann se produit sur des scènes de plus en plus importantes. Elle sera Pamina dans quelques semaines à Salzbourg et fait aujourd’hui des débuts très remarqués aux Schubertiades. Sa voix, un soprano au vibrato serré et un peu acidulé, est absolument délicieuse, d’une grande fraîcheur, avec une technique bien rodée qui lui permet des aigus faciles et bien timbrés. La palette de couleurs est cependant assez limitée, et l’articulation est parfois un peu molle : la chanteuse ne s’aide guère des consonnes pour mettre du relief dans le texte, privilégiant toujours la ligne de chant, particulièrement belle et homogène, à la compréhension du poème mis en musique. A cette petite réserve près, l’ensemble de la prestation est de très haute tenue, présentée entièrement de mémoire, très contrôlée à défaut d’être toujours très poétique.
Dans Schubert, le ton est volontiers ingénu, voire infantile, en passant sur la sensualité de certains textes (dans Heimliches Lieben ou Versunken, par exemple), et il faudra attendre la fin de la première partie pour trouver dans Gretchen am Spinnrade, magistralement interprétée, une émotion réellement incarnée. Tout est extrêmement soigné, travaillé, contrôlé, laissant peu de place à la subjectivité ou à la spontanéité.
Dans Schumann, qui convient visiblement mieux à son tempérament, elle offre davantage de couleurs (Die Sennin), une plus grande variété d’expressions et laisse entrevoir une plus grande part d’elle même dans le célèbre Kennst du das Land, particulièrement émouvant. La dernière partie du récital, Schumann toujours, mais des pages moins courues, permettra de très heureuses découvertes puisées dans les opus plus tardifs du compositeur créant une véritable apothéose.
Tout au long de la soirée, la chanteuse a pu compter sur le soutien infaillible et remarquablement solide de sa pianiste. Issue du conservatoire de Moscou, Tatiana Korsunskaya est aujourd’hui installée en Suisse où elle enseigne, à Bâle et à Bern. Sa précision diabolique (pas une seule fausse note de toute la soirée), mais aussi son attention aux fluctuation de tempo de la chanteuse en ont fait une partenaire idéale. Son jeu, un peu sur la réserve dans Schubert, aurait sans doute bénéficié de plus de liberté de ton si la pianiste s’était laissé aller à un tout petit peu de désinvolture, ce qui semble très peu dans sa nature. Elle aussi s’est davantage révélée dans la deuxième partie de la soirée consacrée à Schumann, dont la très riche écriture pianistique lui fournit plus souvent l’occasion de briller pour son compte.
Les deux femmes visiblement complices recevront un accueil très chaleureux de la part du public, qui obtiendra encore deux bis, un Blumenstrauss puisé chez Mendelssohn, et l’inévitable Truite déjà entendue hier, mais toujours aussi fraîche en son ruisseau !
Franz Schubert
Im Frühling (Schulze) D.882
Die Blumensprache (Platner ?) D.519
Frühlingsglaube (Uhland) D.686
Der Knabe (Schlegel) D.692
Heimliches Lieben (Klenke) D.922
Versunken (Goethe) D.715
Die Liebende schreibt (Goethe) D.673
Rastlose Liebe (Goethe) D.138
Zwei Lieder op.14
1. Suleika I (Willemer) D.720
2. Geheimes (Goethe) D.719
Suleika II (Willemer) op. 31 D.717
Gretchen am Spinnrade (Goethe) op.2 D.118
Robert Schumann
Er ist’s (Mörike) op.79/23
Schneeglöckchen (Rückert) op.79/26
Frühlingsnacht (Eichendorff) op.39/12
Die Sennin (Lenau) op.90/4
Aufträge (L’Egru) op.77/5
Lied der Suleika (Willemer) op.25/9
Kennst du das Land ( Goethe) op.98a/1
Die Blume de Ergebung (Rückert) op.83/2
Röslein, Röslein (von der Naun) op.89/6
Frühlings Ankunft (Hoffmann von Fallersleben) op.79/19
Die Meerfee (Buddeus) op.125/1
Der Himmel hat eine Träne geweint (Rückert) op.37/1
Mein schöner Stern (Rückert) op.101/4
Singet nicht in Trauertönen (Goethe) op.98a/7
En bis :
Blumenstrauß (Klingemann) Felix Mendelssohn-Bartholdy op.47/5
Die Forelle (Schubart) Franz Schubert D.550
Regula Mühlemann, soprano
Tatiana Korsunskaya, piano
Schwarzenberg, Angelika Kauffmann Saal, dimanche 19 juin 2022, 20h
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