Dans la tradition juive, nous dit Francesca Masi – librettiste de Ruth, Raccolti di speranza – « l’espérance est tikvà, c’est-à-dire corde à laquelle se tenir pour ne pas tomber dans l’abîme. »
Ce thème, si fort, si beau, si actuel, a guidé la commande du festival de Ravenne à l’occasion du Jubilé de l’Espérance (*)avec le triple souci de mettre en avant une figure féminine, de renouveler le corpus sacré avec une œuvre contemporaine et de mettre en avant les talents d’Emilie-Romagne.
Le cadre épuré de la basilique de Saint Jean l’Évangéliste s’avère idéal pour donner chair au récit biblique dont s’est emparé avec brio la jeune compositrice Marianna Acito.
Dans cet oratorio d’une heure, le récit est mené tambour battant en quatre tableaux reprenant le texte de l’Ancien Testament, depuis « l’espoir fauché » à « l’espérance, fontaine fertile » dans un cheminement initiatique dont la première partie est sans doute un peu rapide pour en saisir toute la force.
La partition traduit musicalement la progression émotionnelle des protagonistes : au silence initial – celui du deuil – succède une écriture de plus en plus dense. Le thème de l’espérance, lui, traverse toute l’œuvre, mutant « d’une ligne mélodique fragile, à une lumière harmonique inattendue, dans le souffle du chœur. » comme le souligne le programme de salle.

L’écriture musicale s’inscrit dans la tradition de la fin du XIXe siècle évoquant Richard Wagner, dont elle reprend l’idée des leitmotiv et « citant même la seconde symphonie de Mahler à la fin du quatrième tableau » comme le note le chef d’orchestre. Tonale, elle ne cherche pas à être révolutionnaire tout en jouant des frottements et des dissonances. L’instrumentarium réduit de l’ensemble La Corelli – quatuor à cordes, hautbois et cor – fonctionne remarquablement et installe des atmosphères prenantes.
Certes les violons ont encore besoin de quelques calages en ce jour de première mais une riche palette de nuances et une interprétation délicate colorent l’œuvre sous la battue nette, à la direction impliquée de Mattia Dattolo. Ce tout jeune chef de 25 ans à peine est également très à l’écoute du plateau : les pupitres de l’ensemble vocal Heinrich Schütz sont bien équilibrés. Du Sprechgesang au plein lyrisme en passant par de belles phrases recueillies pianissimi, ils sont partie prenante de la narration de notables qualités de finesse et de générosité
Seul bémol, les attaques aiguës des sopranes, qui manquent de couverture dans cette écriture assez tendue mais particulièrement expressive.
L’espoir se heurte en effet à des épreuves multiples, dont l’écho se trouve toujours dans la musique en une synesthésie particulièrement réussie : « la famine se traduit par une raréfaction sonore et une tension harmonique; le glanage, qui se manifeste par des élans et progressions ascendants ; la fidélité, entendue comme cohérence mélodique et retour cyclique de motifs, comme pour garder la mémoire affective du récit. ». On ne saurait mieux dire que la compositrice Marianna Acito dont l’ambition avouée est d’accéder à « une spiritualité musicale incarnée qui parle à ceux qui écoutent aujourd’hui. Un chant d’espérance lié à la douleur, à la fidélité, à la possibilité de rédemption. »
Les solistes portent ce message avec conviction. Tous trois partagent cette indispensable qualité d’expressivité pour nous attacher rapidement à leurs personnages. La compositrice – également chanteuse – écrit remarquablement pour la voix.
Le timbre charnu aux aigus limpides de Laura Zecchini, bien projeté, donne une singulière intensité à l’héroïne éponyme. La ligne vocale, conduite avec une grande pureté, la rend d’autant plus attachante qu’elle forme un couple extrêmement touchant avec le Moab sensible au ténor lumineux d’Angelo Testori. Daniela Pini pour sa part, impose sans effort un mezzo-soprano puissamment lyrique en Naomie.
Dans la basilique dépouillée, les costumes sobres de Manuela Monti fonctionnent parfaitement. Ils associent les tuniques de lin beige du chœur aux silhouettes intemporelles à la Fortuny des protagonistes principaux. La mise en espace aussi sobre qu’efficace se suffit de quelques accessoires symboliques : les gerbes de blé figurant l’humiliant glanage auquel Ruth se trouve réduite qui se font pain pour dire la fertilité de l’union avec Moab.
Un programme à découvrir jusqu’au 16 juin avant sa reprise au Festival International de musique sacrée de Pordenone ainsi qu’au Festival Pergolesi Spontini de Jesi. Le festival de Ravenne, lui, se poursuit jusque mi-juillet. Sa trilogie lyrique d’automne, mettra ensuite en avant d’autres héros fragiles comme Alcina ou Orlando qui, à l’exemple de Ruth, redéfinissent les notions de courage.
(*) Année sainte décrétée par le pape François