Rarissime, toute production d’Akhnaten – ou même d’un opéra de Philip Glass – est toujours un événement, à fortiori lorsque la mise en scène est signée Lucinda Childs, elle qui déjà chorégraphiait Einstein on the Beach à Avignon en 1974 aux côtés de Bob Wilson. Malgré des conditions de répétitions difficiles – à distance, depuis New York, en visioconférence pour Lucinda Childs – et une annulation de la première en raison du confinement, le spectacle a pu bénéficier d’une captation sans public aujourd’hui disponible en streaming.
Mettre en scène un opéra de Glass n’est pas chose aisée, puisque le livret ne propose pas d’intrigue ni de véritable narration à proprement parler. Akhnaten, tout comme les deux autres opéras de la trilogie dont il fait partie, axée autour des figures historiques célèbres, aborde le règne du célèbre Pharaon, connu pour avoir tenté, pendant une décennie, d’instaurer un monothéisme autour de Râ, dieu du soleil. L’approche de Lucinda Childs est, heureusement, éminemment symbolique. Le décor du scénographe Bruno de Lavenère présente au centre de la scène un immense disque couleur de feu, inclinable à volonté et pivotant sur lui-même, et sur lequel les personnages principaux évoluent. Au fond de la scène, des vidéos, signées Etienne Guiol, montrent tantôt d’étranges motifs, des figures fantomatiques dansantes ou encore des images rappelant la symbolique égyptienne antique, à grand renfort de hiéroglyphes ou de scarabées géants.
Si ce dispositif a l’avantage d’être non seulement symboliquement bien pensé – le disque représentant le soleil qu’Akhénaton vénère –, il est aussi particulièrement esthétique, le disque s’embrasant parfois d’un néon blanc de tout son pourtour, créant une atmosphère irréelle, sublimée par les jeux de lumière de David Debrinay. Les costumes de Bruno de Lavenère font référence à la période historique telle qu’on peut l’imaginer, tout en restant très sobre, ce qui s’insère avec cohérence au sein de cette approche somme toute assez minimale. Les chorégraphies des danseuses et danseurs, de même que la gestuelle des chanteurs, sont également minimalistes, rappelant parfois l’approche Bob Wilson. Toutefois, revers de la médaille, la direction d’acteurs en pâtit : la plupart du temps malheureusement, les chanteurs sont bien trop statiques. « The Window of Appearances » présente les trois rôles titres alignés tout du long ; « Akhnaten and Nefertiti » montre les chanteurs alternativement l’un devant l’autre puis face à face, sans qu’aucune tension dramatique n’émerge. Pire encore, le pinacle de l’opéra, « Hymn », arrive à ennuyer le spectateur, Akhnaten se contentant de tourner en rond sur son disque. Il en ressort une forme de pauvreté, ou peut-être, d’inaboutissement.
© Dominique Jaussein
Musicalement, la performance est réussie. Léo Warynski propose une approche très solide de cet opéra si difficile à jouer, tant la répétition des motifs peut devenir mécanique. Peut-être est-ce pour éviter cet écueil, le chef d’orchestre impose un tempo très rapide, qui ne nous convaincra pas tout à fait, surtout dans les moments plus intimes ou d’autres plus solennels de l’opéra, comme « The Coronation of Akhnaten » qui exigent de savoir prendre son temps. Enfin, l’orchestre a parfois tendance à couvrir quelque peu les chanteurs, comme dans « Funeral of Akhenaten’s father Amenophis III ». L’orchestre de l’Opéra de Nice se plie aisément aux belles inflexions qu’imprime Léo Warynski à la partition et, de même, le Chœur de l’Opéra de Nice témoigne d’une belle musicalité sans perdre en précision. Surprise, certains chanteurs du choeur chantent masqués, parés d’un très beau masque or et noir qui ne nuit pas du tout à la mise en scène, au contraire, le mystère de la période n’en est que redoublé.
Dans le rôle-titre, Fabrice di Falco relève le défi et campe un Akhnaten vocalement très convaincant, aux aigus parfois étonnamment puissants. Pour une prise de rôle, le contreténor témoigne d’une maîtrise remarquable de cette partition si redoutable. En revanche, l’approche scénique est un peu moins réussie, le chanteur ne proposant pas d’évolution de ton, d’émotion ou de posture, alors que l’opéra s’étend pourtant sur de nombreuses années, et même, à la fin, millénaires. En Nefertiti, Julie Robard-Gendre offre une très belle prestation. Ses médiums et ses graves flattent particulièrement l’oreille, tandis que son charisme lui permet de s’approprier pleinement le rôle. Patrizia Ciofi est une excellente Reine Tye, dont les aigus sont d’un naturel déconcertant et la présence scénique parfaitement adaptée au rôle d’une souveraine.
Enfin, en Amon, Frédéric Diquero a toute l’autorité d’un grand prêtre ; de même, le Horemhab de Joan Martín-Royo déploie la belle stature d’un général, aidé par de beaux et profonds graves. En revanche, l’approche de Vincent Le Texier est étonnamment bien trop agressive pour le rôle d’Aye, qui n’est jamais qu’un conseiller du Pharaon. Lucinda Childs elle-même incarne le rôle parlé d’Amenhotep III et c’est une excellente idée : dotée d’une très belle voix, sa déclamation très sobre apporte une touche supplémentaire de poésie, très conforme à l’esprit originel de l’œuvre.