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BACH, Messe en si mineur – Verbier

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Spectacle
28 juillet 2025
« Cette cathédrale qu’on va construire ensemble… »

Note ForumOpera.com

5

Infos sur l’œuvre

Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Messe en si mineur BWV 232

I : Missa brevis : Kyrie, Gloria (1733)
II : Credo (1748/49)
III : Sanctus (1725)
IV : Osanna et Benedictus, Agnus Dei et Dona nobis pacem (1748/49)

Détails

Ying Fang, soprano
Mariana Flores, soprano
Alice Coote, mezzo-soprano
Bernard Richter, ténor
Benjamin Appl, baryton
Chœur de Chambre de Namur
Verbier Festival Chamber Orchestra
Leonardo García-Alarcón, direction musicale

Verbier Festival & Academy
Salle des Combins
26 juillet, 2025, 18h30

Une ferveur partagée, une interprétation d’une puissance formidable, un chœur et un orchestre en état de grâce, cette soirée restera gravée dans la mémoire de ceux qui étaient là.

Mais pour commencer, une impression personnelle si on me la permet : je suis assis non loin d’une travée dans l’immense salle des Combins, comble jusqu’aux derniers rangs pour la Messe en si mineur. Tout près, à ma gauche, quelques choristes du Chœur de Chambre de Namur, des alti, hommes et femmes, alignés sur les marches, leur partition en main éclairée d’une petite loupiote. C’est ainsi que je vais entendre le Kyrie, avec au premier plan sonore leurs voix d’une incroyable justesse, jusque dans les plus infimes pianissimi, au bord des lèvres dans les dernières notes, et avec au second plan toute la masse chorale et orchestrale, mais dispersée, répandue dans l’espace.
Dans l’autre travée, là-bas à droite, il doit y avoir les sopranos, qui donnent la même impression à d’autres spectateurs. On voit au pied de la scène les basses, je ne sais trop où sont les ténors. Sur la scène l’Orchestre de Chambre du Verbier Festival, et Leonardo García Alarcón qui dirige, face au public.

Leonardo García Alarcón © Sofia Lambrou

Il vient d’évoquer dans un speech liminaire « cette cathédrale qu’on va construire ensemble… » et justement, cette impression ressentie, c’est comme d’être dans une église près d’un pilier et d’avoir son propre regard, unique, sur l’architecture.

On l’avait entendu en répétition (je poursuis avec les notations personnelles…) dire aux membres du chœur à propos de ce Kyrie « Allez chercher le ciel à chaque note », et le voilà levant les bras très haut pour emmener tout le monde avec lui.

Une cosmologie sonore

Dans la même petite adresse au public, où il avait beaucoup dit « Je », signe de l’importance de cette soirée pour lui, il avait évoqué sa découverte de cette Messe alors qu’il avait quinze ans, en Patagonie, et son bouleversement. Puis il avait expliqué le choix des images qu’on verrait sur l’immense écran de fond de scène : des images de galaxies, de constellations, de champs d’étoiles, de filaments étranges, issues de photos prises par le télescope James Webb ou le télescope spatial Hubble, images de la réalité, mais d’une réalité tellement immense et vertigineuse, qu’elle en devient abstraite comme une image mentale.

Quelques membres du Chœur de Namur et de l’Orchstre de chambre et le cosmos… © Sofia Lambrou

Ces images se déployant derrière la musique, sans cesse renouvelées et en mouvement, mises en œuvre et colorées par Laurent Cools pour en faire une création video, séduiront les uns et en agaceront d’autres qui les trouveront inutiles. On avouera s’être demandé si ce débat ne reprenait pas la vieille querelle culturelle (pas tout à fait obsolète en Suisse) entre les catholiques amateurs d’images et les protestants amateurs d’austérité…

Au reste, à l’instar de Johann Sebastian Bach jouant sur les deux tableaux, le choix d’illustrer cette sublime musique par des images que chacun peut lire à sa façon, les uns y voyant la main d’un Créateur, les autres la puissance inépuisable et merveilleuse de la nature, ne fait qu’acquiescer à l’universalité de cette œuvre, qui célèbre le mystère absolu de ce qui est, le non-vivant et le vivant, et singulièrement de l’Homme, qui n’en est qu’un élément, fragile comme on sait.

Ying Fang et LGA © Sofia Lambrou

Un puzzle musicalo-spirituel

Ce qui est mystérieux aussi, ce sont les intentions de Bach, à l’extrême fin de sa vie et presque aveugle, construisant cette œuvre colossale, injouable à l’époque, en raison de ses proportions et de l’effectif qu’elle demande.
Il reprend une Missa brevis de 1733, élaborée en guise de dossier de candidature envoyé au nouveau Grand Électeur de Saxe et roi de Pologne, Frédéric-Auguste II, qui vient de succéder à Auguste le Fort, et se limitant à un Kyrie et à un Gloria, où interviennent d’ailleurs des passages récupérés de quelques-unes de ses cantates.
À quoi il ajoute un Credo, fait à la fois de morceaux nouveaux (le Credo, le Et incarnatus est, le Confiteor) et de morceaux recyclés, dont un Sanctus vieux d’un quart de siècle et un Osanna guère plus récent.

Outre le souci de donner du travail aux musicologues de l’avenir, leur laissant le souci de démêler ce qui est d’esprit luthérien et ce qui appartient au monde catholique, cet assemblage baroque témoigne de son désir de laisser un testament spirituel, pour ne pas dire de lancer une bouteille à la mer.
Et peut-être de créer une œuvre, qui transcendant les disputes théologico-politiques entre papistes et anti-papistes, vise à l’universel.

LGA face aux étoiles et à l’Orchestre de Chambre © Sofia Lambrou

Impressions de répétition (notées au vol)

À nouveau, on fera appel à une impression personnelle, à cette répétition à laquelle on avait assisté durant trois heures la veille du concert dans un gymnase à l’acoustique très sèche. C’était la deuxième journée de travail seulement, et le travail se poursuivrait jusqu’à une heure avancée de la soirée.
Ce qui est impossible à transcrire, c’est l’infinie attention de Leonardo García Alarcón à des détails minuscules de phrasé, d’équilibre des voix, de couleur sonore, toutes choses qui dans le moment du concert fusionnent et disparaissent dans le grand flux émotionnel.

On se rappelle le chef faisant chanter le In incarnatus est par les choristes à bouches fermées, pour éviter le vibrato (effet pédagogique immédiat), ou leur faisant fermer la partition et chanter un passage par cœur : « Dès que vous regardez la partition, vous êtes moins dans la musique, vous êtes dans le monde réel… » Là encore, la différence s’entend, d’où : « Vous imaginez, ce que ce serait, toute la messe par cœur… Évidemment il faudrait trois mois de répétitions… »

Ou des notations plus énigmatiques : « Ici, ce n’est pas un fa dièse de majeur, c’est un fa dièse de si mineur.. », ou encore, après le Qui tollis : « C’est très beau parce que les notes sont très belles et que vos voix sont très belles, mais il n’y a aucune conscience de la dissonance. Or Bach est dissonant. Il faut que vous sachiez où sont les dissonances », et alors de faire reprendre en tenant certaines notes pour que soient assumés les frottements harmoniques.

Autre citation : « Gardez la note, sinon on ne profite pas de toutes les septièmes diminuées que Bach a écrites. »

Enfin, cette dernière, à l’ensemble des choristes (et peut-être des instrumentistes aussi) : « Vous êtes acteurs, ce n’est pas moi. »

Leonardo García Alarcón et Mariana Flores © Sofia Lambrou

Irrésistible ascension

Entrer dans le Kyrie, c’est entrer dans la cathédrale sonore évoquée plus haut. Au-delà de la science contrapuntique, de la complexité d’une fugue à cinq voix, toutes choses qu’on ressent physiquement, d’un mouvement ascensionnel par lequel on est emporté (« le ciel dans chaque note »), c’est la gravité fervente de ce début qui saisit d’émotion. Avec laquelle contrastera le style opératique du Christe eleyson, par les soprano I et II, la voix très pure de Ying Fang et celle plus corsée de Mariana Flores. Enfin la reprise du Kyrie donnera à entendre le Chœur de Namur dans une page moins austère que la première, plus humaine, que le chef fera respirer plus librement, jouant des diminuendo et des accents, et que couronneront les voix lumineuses des sopranos (et on se souviendra de son insistance en répétition à les faire user de la kopfstimme, de leur registre le plus élevé, pour en somme illuminer la musique).

Leonardo García Alarcón © Sofia Lambrou

Après ce Kyrie, le chœur prend place sur le plateau, mais on le verra au fil de la messe passer d’une disposition à une autre, derrière l’orchestre ou autour de lui, comme pour mettre en avant telles ou telles voix, mais aussi pour marquer le passage d’une séquence à l’autre.

L’acoustique de la salle des Combins n’est pas celle d’une église. Pas de réverbération ici, mais tout de même l’effet d’immersion sonore est sensible. On entend la plénitude du chœur (trente-cinq membres sauf erreur) et d’un orchestre de chambre, à peu près équivalent, s’équilibrant bien l’un l’autre. Leonardo García Alarcón cultive un son ample, riche, fruité, mais jamais épais. Témoin le contraste entre la flamboyance du Gloria in excelsis, qu’éclairent des trompettes quasi insolentes, puis le recueillement, l’intimité du premier In terra pax, et là encore les sopranos, dialoguant avec les altos, sur les ponctuations des violoncelles, installent cette prière, dans un luxe sonore radieux. Les écrans montrent le chef faisant le geste de faire surgir la musique des profondeurs pour la faire monter toujours plus haut, et éclater finalement à grands renforts de timbales.

Soli Deo Gloria

La partition reflète la curiosité universelle de Bach, informé de tout ce qui se faisait ailleurs, singulièrement en Italie, comme en témoigne le Laudamus te, une manière de double concerto pour violon (Daniel Cho, le premier violon très virtuose du VFCO, concertmeister ce soir) et pour la voix de Mariana Flores, aux vocalises pour le coup très italianisantes. Ou la volubilité charmeuse du Domine deus avec ses deux flûtes conversant dans un style presque galant avec Ying Fang et le ténor Bernard Richter, ceci venant après l’ampleur majestueuse du Gratias (sur fond d’anneaux de Saturne tour à tour verts, bleus ou orangés).

On dira encore la sérénité du Qui tollis où s’entend la certitude que nous serons tous sauvés, avec les longues tenues des voix du chœur se chevauchant, ou le rayonnement du Qui sedes où dialoguent la voix chaude du mezzo-soprano Alice Coote et un hautbois d’amour (Emmanuel Laville) qui continuera à jubiler en arrière-plan du Miserere nobis, non moins virtuose que son collègue corniste David Sullivan dialoguant avec Benjamin Appl dans le Quoniam.

Alice Coote, LGA et Emmanuel Laville © Sofia Lambrou

Tout concourt à élaborer un son très plein, pour ne pas dire opulent, jouant de toute la richesse du pupitre de vents, qui rutilera dans l’exaltation du Cum Sancto Spiritu, apothéose en forme de fugue pour double chœur, couronnement de la première partie. Bach avait prévu de s’arrêter là, comme en témoignent les mentions de sa main les mentions Fine et Soli Deo Gloria au bas du manuscrit.

Fin provisoire, comme on l’a vu.

Lumière née de la lumière

Le Credo prend d’abord l’aspect d’une chevauchée trépidante sur les ponctuations vigoureuses des cordes graves, avant le sol majeur rayonnant du Patrem omnipotentem, célébrant « le père tout-puissant, créateur de toutes choses ». Ce qu’illustrent de nouvelles images du cosmos, toutes plus invraisemblables les unes que les autres, dont les couleurs de vitrail s’harmonisent avec les voix de Ying Fang et de Alice Coote, dialoguant en toute jubilation avec les contrechants des hautbois dans le Et in unum Dominum.
Des couleurs éclatantes qui semblent répondre à la poésie du texte, évoquant « la lumière née de la lumière »…

Le Chœur de Chambre de Namur avec son chef et quelques constellations © Sofia Lambrou

Un sommet d’émotion, selon nous, sera atteint avec l’extatique Et incarnatus est : les cordes caressées de l’introduction, qui semblent respirer, l’entrée pianissimo des voix de sopranos, la lente progression, le jeu des lignes et des couleurs, l’étonnante horizontalité, un rallentando appuyé sur une tenue de l’orgue, la transparence des voix hautes, tout évoque le mystère de la création de Jésus, ou de l’Homme. « L’art sacré ne parle pas uniquement aux croyants, mais à tous ceux qui ressentent le mystère d’exister », dit García Alarcón. Et c’est qu’il donne à entendre là.

Non moins étonnamment, et dans des couleurs musicales d’abord semblables, vient immédiatement ensuite le Crucifixus, et l’expression de la douleur n’y sonne pas très différemment du bonheur de l’incarnation. Quatre des solistes sont apparus à l’avant-scène, mais leur voix ne se détachent pas de celles du chœur, ils ne sont là en somme que pour figurer l’humanité…

Leonardo García Alarcón © Sofia Lambrou

Le sentiment de certitude

Il faudrait dire la jubilation de toutes les voix dans le triomphant Et resurrexit, la pétulance des bois, la solidité des voix mâles chantant en notes piquées le Gloria, l’éclat solaire des trompettes, et surtout la rapidité, l’élan du mouvement. Dans une manière d’opéra sacré.
Dire aussi le sentiment d’attente de la résurrection que dégage l’envol des voix dans le Confiteor, autre fugue complexe, au contrepoint savant, mais que LGA allège de telle sorte que d’une part tout semble limpide et évident, et que d’autre part le seul sentiment qui prévaut c’est le sentiment de confiance, de certitude (au passage quelques jolies dissonances, voir plus haut…)

Tout au long de la messe, une chorégraphie fait se déplacer le chœur (ce qui fera râler quelques râleurs). Pour le Sanctus, les chanteurs se constitueront en deux blocs, deux chœurs mixtes, à gauche et à droite du plateau, comme le demande l’écriture à double chœur de ce monument glorieux et spectaculaire. Le chef prend alors l’allure d’un démiurge en appelant au ciel, vers lequel se hissent ses gestes mais aussi ses regards. Attitude qu’il gardera pour le sautillant, galvanisant, somptueux Osanna… avant de s’asseoir sur son podium pour écouter le trio du ténor, de la flûte et du violoncelle dans le Benedictus, passage un peu moins réussi.

Alice Coote et Leonardo García Alarcón © Sofia Lambrou

La voix d’Alice Coote

Un autre sommet d’émotion, véritablement magique, sera atteint avec l’Agnus Dei. Rien de plus simple : une voix au premier plan et au lointain l’accompagnement onctueux des cordes. La magie tient à la couleur de la voix d’Alice Coote, à la chaleur de ce timbre, à ce quelque chose de maternel et de consolant, mais aussi à une technique souveraine, toutes notes parfaitement homogènes, à la longueur des lignes s’appuyant sur un souffle infini, à ce vibrato léger qui loin d’être gênant ajoute à l’émotion, à des demi-teintes inspirées, à des notes hautes radieuses et à des notes graves profondes et troublantes. Tout cela concourant à une déchirante prière, emplissant cette nef immense et écoutée-partagée dans un silence évidemment religieux.

Pour finir, le chœur reprendra ses positions du tout début, dans une géographie inclusive donnant à chacun, croyant ou pas, l’impression qu’il est partie prenante de ce cérémonial sacré. Et, quelque savant que soit le contrepoint de ce In Terra pax, c’est bien sa ferveur et sa lumière, l’espoir qu’il veut faire naître, qui éclaireront la fin de cette superbe, pour ne pas dire sublime, interprétation.

En manière de bis, et de réponse à l’euphorie du public, Leonardo García Alarcón  fera reprendre la dernière pièce de cette Messe, l’ultime message de Bach.

Non sans  avoir rappelé les derniers mots entendus : « Donna nobis Pacem »…

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Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Messe en si mineur BWV 232

I : Missa brevis : Kyrie, Gloria (1733)
II : Credo (1748/49)
III : Sanctus (1725)
IV : Osanna et Benedictus, Agnus Dei et Dona nobis pacem (1748/49)

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Ying Fang, soprano
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Leonardo García-Alarcón, direction musicale

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26 juillet, 2025, 18h30

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