Le festival Orferidis, une contraction entre Orphée et Eurydice, qui célébrait cette année son dixième anniversaire, réunit chaque année des artistes éminents du monde de la musique ancienne ou baroque pour quatre concerts de fin d’été, dans divers lieux de la haute vallée de la Meuse, entre Givet et Dinant. Le festival se double de stages et master classes, la dimension pédagogique faisant partie intégrante du propos des organisateurs.
Le concert de clôture de cette dixième saison, par un splendide dimanche après-midi où le soleil de septembre mettait la campagne en fête, était consacré à des cantates de Louis-Nicolas Clérambault, compositeur bien connu des organistes, avec pour pièce de résistance son célèbre Pyrame et Thisbé. Mais deux autres cantates étaient présentées en ouverture de programme, dont la très intéressante cantate Apollon, composée en 1716, quelques mois après la mort de Louis XIV, donc, et entièrement consacrée à la gloire du roi défunt, comparé au dieu Apollon et loué pour son action pacifique. Dans la forme, ces petites cantates profanes se présentent comme un opéra en miniature, avec une ouverture instrumentale, un livret réduit qui tient en quelques strophes, traité en deux ou trois airs accompagnés, relativement exigeants pour la voix. Dès cette première cantate, le soin mis par les musiciens de l’ensemble A nocte temporis est remarquable. La réalisation instrumentale, basée sur un continuo et deux dessus, parait parfois un peu maigre pour soutenir la voix particulièrement riche et puissante du soliste, de sorte que toute l’attention de l’auditeur est centrée sur le chanteur. On a déjà souligné, lors d’autres articles consacrés à Reinoud Van Mechelen, toutes les qualités de sa voix, magnifiquement homogène dans toutes les tessitures, particulièrement riche de couleurs expressives et extrêmement solide techniquement. Il construit sa prestation à partir du texte, avec une diction française digne de tous les éloges, en prononciation restituée pour tenir compte des couleurs particulières de la langue du XVIIIe siècle, et un sens du drame, de l’expression tragique à travers la musique, tout droit venu de l’opéra. On soulignera au passage la beauté de l’accompagnement de flûte du premier air, absolument délicieux.
La seconde cantate est d’un genre un peu différent, dramatiquement moins intéressante me semble-t-il, puisqu’il s’agit d’une sorte de dissertation sur le thème de la jalousie, mais d’une belle unité de forme, plus proche d’une pastorale. L’air final, Dieu des amants, très brillant, en fut aussi le sommet.
Après une sonate d’Elisabeth Jaquet de la Guerre, œuvre purement instrumentale présentée ici en guise d’interlude, vient la pièce de résistance du programme, Pyrame et Thisbé composée quelques années plus tôt en 1713 sur un sujet tiré des métamorphoses d’Ovide, sorte de Roméo et Juliette avant la lettre, où le héros Pyrame se suicide croyant sa bien-aimée dévorée par une lionne, ce que voyant, Thisbé se suicide à son tour. Tout cela est raconté avec une étonnante concision et un air moralisateur en guise de conclusion. Soutenue par un continuo fort actif et coloré, et par les deux parties instrumentales tenant les voix de dessus, parfaitement coordonnées, l’interprétation très contrastée du ténor, qui met en exergue tous les reliefs de la partition, permet de suivre le récit mot à mot : sans qu’il quitte jamais le ton de la narration, on s’émerveille de l’amour naissant des deux amants, on s’effraie de l’attaque de la lionne, on s’émeut au désespoir du malheureux Pyrame, on pleure sur le sort de la pauvre Thisbé. Reinoud Van Mechelen est familier de ce répertoire qu’il pratique depuis longtemps et qu’il a même enregistré au disque (paru chez Alpha en 2018). Il maîtrise parfaitement cette forme brève, se délecte de la langue française, communique magnifiquement avec la salle et livre une interprétation magistrale, fort applaudie par le public. En guise de bis, et pendant que les drônes russes s’acharnent sur Kiev ou que les avions israéliens achèvent de démolir Gaza, c’est auprès de Rameau que les musiciens proposent de trouver la consolation : Séjour de l’éternelle paix, extrait de Castor et Pollux viendra clore la soirée comme une vaine prière.