Les artistes de l’Académie de l’Opéra de Paris ont offert dans un Palais Garnier comble une belle soirée dédiée aux airs et ensembles d’opéras particulièrement appréciés du public. Magnifiquement accompagnés par un orchestre maison dirigé par le fougueux Thomas Hengelbrock, les académiciens ont pu faire montre de leurs nombreux talents – même si certains ont davantage convaincu, en termes de qualité vocale et de personnalité.
Dans une première partie entièrement consacrée à Mozart, mesdemoiselles et messieurs les Académiciens ont tous déployé de belles capacités, augurant ou confirmant pour la plupart une belle jeune carrière. Après une Ouverture au dramatisme tendu idoine d’Idomeneo, re di Creta à l’orchestre, la soprano hongroise Boglàrka Brindàs a illuminé le récit des malheurs d‘Ilia, la princesse troyenne (« Quando avran fine omai… Padre Germani ») de sa blondeur, de la pureté de son timbre et sa déclaration d’amour à Idamante de la grâce de ses mélismes (l’agilité est perfectible avec une meilleure gestion du souffle).
La mezzo ukrainienne Sofiia Anisimova à la personnalité bien trempée a vraiment impressionné dans La Finta Giardiniera. Ses vocalises et ses regards pleins de feu ont dardé de beaux éclats, nous persuadant sans peine que Ramiro ne se lancerait décidément plus dans une nouvelle aventure amoureuse.
Le Figaro d’Ihor Mostovoi lui aussi ukrainien n’a pas moins régalé l’assistance. Son grand air (« Se vuoi Ballare ») extrait des Nozze a offert la variété attendue des sentiments du valet (surprise, colère, désir de vengeance) à qui son maître veut faire porter des cornes. Son superbe baryton aux graves menaçants et aux accents drolatiques a campé un personnage aussi riche que marquant.
La soprano d’origine irano-marocaine Sima Ouahman et la mezzo turque Seray Pinar ont montré leur complicité, leur sens du drame et de l’effusion en duo ( «Ah perdona al primo afetto ») dans La Clemenza di Tito. Mais la performance de l’interprète d’Annio (Seray Pinar) semblait en demi-teinte face à l’impeccable Servilia de Sima Ouahman. Pourrait-elle vraiment nous persuader que son personnage va résister au choix de Titus ?
Auparavant l’aria de Sesto (« Parto, parto ») a dessiné un amoureux (Seray Pinar) aux aigus parfois un peu forcés, un personnage un peu éclipsé par le contrechant somptueux de la clarinette solo, Véronique Cottet.
La Servilia de Sima Ouahman a décidément été de bonne facture donnant une leçon bien sentie à Vitellia grâce à son phrasé legato, de belles nuances et des passages en voix de tête artistes (« S’altro che le lagrime »).
Cette première partie de concert s’est conclue avec un ensemble d’anthologie ; celui de l’acte II de Don Giovanni (« Sola sola in buio loco ») où les chanteurs déjà évoqués ont été rejoints par le Leporello du baryton-basse Luis Felipe Sousa plutôt réussi quoique la voix ne paraisse guère étendue dans le registre grave, et par le ténor texan Kevin Punnackal dont la vocalité n’offre que peu d’agréments en Don Ottavio. Il ne nous séduira pas davantage ensuite en Rodolfo de Luisa Miller avec un vibrato aussi laid qu’envahissant.
Teona Todua, une Donna Elvira à la noblesse incontestable dans Mozart, est un peu moins appréciable en Fée de la Cendrillon de Pauline Viardot. Pour ouvrir la deuxième partie du concert, son joli air (« Je viens de te rendre à l’espérance ») dénote un léger problème de prononciation des syllabes vocaliques et des aigus peu agréables, donnant à penser que la tessiture du rôle est peut-être un peu trop exigeante pour elle. Elle est cependant très applaudie plus tard à juste titre avec sa Liù (« Signore ascolta ») très sensible (mais au vibrato évitable dans certains passages de registres). Par contre la Norina de Lisa Chaïb-Auriol convainc absolument. La soprano française rend justice au grand air de l’acte III du Don Pasquale de Donizetti (« Quel guardo il cavaliere »). La soprano toulousaine a le tempérament qu’il faut mais la brune incendiaire pourrait encore affiner sa diction. En Daland du Vaisseau fantôme (« Mögst du mein Kind »), la basse Adrien Mathonat se taille un franc succès. Ses moyens impressionnants le destinent évidemment à chanter des personnages plus nobles, mais il réussit sans peine ici à donner au discours destiné à Senta les quasi-ornements à l’italienne voulus par Wagner.
La soirée se termine avec Eugène Onéguine. D’abord l’air de Lenski (« Kuda, kuda ») par le ténor français Thomas Ricart ouvre ici l’opéra de Tchaïkovski. Les plaintes et méditation du personnage avant son duel sont un peu surinterprétées en une débauche de puissance exagérée qui empêche l’émotion d’advenir. Un défaut dû sans doute au trac ; nul doute que l’expérience fera son office.
Le duo final de l’opéra met en scène l’excellente Tatiana de la soprano russe Margarita Polonskaya et le baryton Andres Cascante. Le grand air en ré bémol de Tatiana devenue Princesse Gremine domine comme attendu ce final tragique, et ce grâce aussi à la magnifique étoffe d’une voix lyrique sans défaut. La Polonskaya est bien une Tatiana idéale. L’Onéguine du baryton né au Costa-Rica ne démérite pas (sans enthousiasmer) au son d’un somptueux orchestre manifestement entraîné par la verve du chef allemand – Thomas Hengelbrock, qui aura chanté tous les airs avec ses jeunes chanteurs autant pour les soutenir que pour les aider à respecter les entrées justes et tempis.