Derrière le Concert de Paris, il pourrait y avoir un grand projet politique, celui d’un spectacle de musique classique fédérateur, festif et accessible à des dizaines de milliers de spectateurs peu familiers du répertoire. Il faudrait alors une ambition, et surtout une réflexion sur comment construire un spectacle adapté, comment réinventer les codes très engoncés du concert symphonique. Ce pourrait alors être une réussite de politique culturelle, et l’occasion de rappeler l’importance que peut revêtir l’audiovisuel public pour la démocratisation de l’art. Dommage que ce ne soit qu’un rêve. De nombreux spectateurs ont probablement été profondément émus, surpris ou réjouis à cette occasion, devant un répertoire qu’ils pensaient loin d’eux. D’autres plus habitués des concerts ont pu se réjouir de voir un niveau musical d’excellence à une heure de grande écoute sur une chaîne publique. Ils ont entièrement raison, et il est important que de tels programmes existent. Ce n’est pas pour autant qu’il faut applaudir par principe, car sa rareté ne fait que souligner la médiocrité habituelle de la télévision en matière de programmes culturels. Il ne faut pas en faire une norme.
En l’état, le Concert de Paris est un condensé des pires clichés de la musique classique : une vision bling-bling du récital, luxueuse et plate, dans un premier degré absolu, avec une absence totale de communication avec le public. Quand on voit les dernières règles vestimentaires imposées à la Scala (qui, à titre personnel, nous exaspèrent), on voit bien que ce n’est pas une esthétique entièrement disparue. Elle n’en parait pas moins totalement déplacée dans un contexte qui, rappelons-le, devrait être celui d’une fête collective. Le message politique envoyé est clair : le classique, c’est un monde des hautes sphères, qu’on fait l’honneur de rendre gratuit une fois par an. Ce n’est probablement pas volontaire, mais simplement dû à une authentique fainéantise. Le choix d’un présentateur aussi obséquieux et guindé que Stéphane Bern ne fait qu’abonder en ce sens, en multipliant au long de la soirée les hyperboles (et les approximations). Lorsqu’on a besoin de rappeler toutes les deux minutes à quel point une fête nous plaît, c’est qu’on ne s’y amuse pas tant que ça. Soyons clair, il ne s’agit pas d’en finir avec l’excellence, mais d’en finir avec l’idée d’un mouvement descendant de la culture vers le peuple.
Ne faisons pas porter le chapeau aux artistes invités. La plupart sont très sincères dans leur démarche d’ouverture et de partage, que certains adressent d’ailleurs même en dehors des scènes (Julie Fuchs). Le niveau musical est globalement celui qu’on attend d’un événement de cette ampleur, bien que compliqué par la disposition de la scène et le vent. On a ainsi tout du long l’impression que l’écoute est compliquée sur scène, d’où une certaine prudence dans les premiers passages. Le programme a le mérite d’être bien rythmé, malgré de trop nombreux moments obligés. Quitte à célébrer la musique française, on aurait pu lui rendre meilleur hommage en évitant le sempiternel Rondo capriccioso de Saint-Saëns, et on aurait surtout pu proposer la version française originale du Boléro des Vêpres Siciliennes, au lieu de l’italienne. Surtout, on regrette une volonté manifeste de lisser tout ce qui sort du moule classique, avec des arrangements parfois très regrettables. Retenons tout de même quelques jolis moments, pas forcément les plus attendus. Ainsi, Dom La Nena, avec l’excellente Maîtrise de Radio France, amène un peu de naturel au milieu de cet océan de glamour, lors d’un très joli Saudade fez um samba. Florian Sempey et Bruno de Sá semblent prendre un plaisir très communicatif à leurs interventions des Carmina Burana, tandis que Rihab Chaieb est une révélation très intéressante en Dalila, investie et émouvante. Plus attendus mais pas moins pertinents, Julie Fuchs avec Satie et Benjamin Bernheim en Werther sont toujours à la juste place stylistiquement.
La partie instrumentale soliste est desservie par un mauvais programme, même si l’on sait gré à la violoniste Bomsori de jouer le jeu du grand spectacle.
Il faut saluer les musiciens de l’Orchestre National de France pour garder leur cohésion et leur précision dans des conditions que l’on devine difficiles, d’autant plus que ces productions bénéficient rarement d’un temps de répétition suffisant. La soirée va en s’améliorant pour eux, ainsi que pour Cristian Macelaru, qui donne l’impression de gagner en lâcher-prise au fur et à mesure. Plusieurs pupitres se distinguent au cours de la soirée, dont les percussions dans l’extrait des Indes galantes, qui apportent un relief et un rebond rythmique bienvenus. Il faut aussi mentionner les solistes du Boléro, dans un arrangement (plutôt astucieux) de Didier Benetti qui rajoute une complexité en divisant la phrase entre plusieurs instruments, demandant ainsi des transitions très fluides. Reste l’impression d’une direction peut-être moins à l’aise avec le lyrique, tant la plupart des airs souffrent d’un problème de communication avec les solistes. Le Chœur, et encore plus la Maîtrise de Radio-France, sont parfaitement préparés par Lionel Sow et Sofi Jeannin, avec une homogénéité et un engagement notables.
Un nouveau Concert de Paris est fini, et avec lui la même interrogation que les années précédentes : une fois passé le feu d’artifice, qu’en reste-t-il ? Quelques jolis moments, certes, mais surtout le souvenir flou d’un spectacle sans audace ni relief. Le public et les artistes méritent mieux que ça.