Aux antipodes des soirées de gala bondées, l’immense salle du Festspielhaus de Baden-Baden est pour une fois laissée à public peu nombreux, dans une ambiance immédiatement intime et privilégiée. Donné en vraie matinée, juste avant l’heure du déjeuner, le concert n’a rien de la grand-messe, mais tout de la session entre amis et l’on se prend au jeu intimiste, malgré l’ampleur de la scène, pour un peu plus d’une heure de musique et de chant, dans une parfaite mise en bouche. En effet, les pièces courtes s’enchaînent mais forment un programme touffu et mieux que plaisant.
C’est la mezzo française Isabelle Druet qui entame la chronologie des œuvres et nous introduit un « Amant secret » tout en pureté de ligne. La soprano Lenneke Ruiten, déjà entendue la veille au soir (voir le compte rendu), trouve ensuite l’occasion de briller avec deux des plus belles mélodies de Purcell. On a plutôt l’habitude d’un haute-contre dans ce répertoire, mais la restitution du « Music » est impeccable, avec beaucoup d’expressivité dans la voix, surtout dans l’émission du « breeze » où surgit un véritable effet de vent.
Le « Fidelity » de Haydn est proposé par Jörg Schneider. La technique assurée a du mal à transcender un timbre assez peu agréable. Par la suite, le ténor propose un « Erlkönig » peu convaincant où manque singulièrement le caractère terrifiant du poème. Pour incarner le personnage du fils, un fausset assez atroce achève de gâcher l’ensemble. On note surtout le très subtil accompagnement de Thom Janssen. La moindre note se détache avec pureté et netteté, tandis que le pianiste parvient à ne jamais masquer le travail du chanteur tout au long du programme.
Arrive Lothar Odinius, également ténor, mais d’un tout autre genre, pour interpréter des airs de Mozart. Son physique offre un faux air de Fritz Wunderlich, la voix et l’énonciation également, d’ailleurs. Il commence par s’asseoir et nous susurrer « Die Zufriedenheit » et « Komm, liebe Zither, komm », le tout avec une délicatesse infinie. La position assise provoque un vague chevrotement, mais sa diction est superbe, servant magnifiquement la langue allemande chantée. Une fois debout, la projection impressionne par contraste et le chant rappelle à présent Fischer-Dieskau. Rien d’étonnant à cela, notre ténor a travaillé avec le maître. Mozartien accompli, il nous offre néanmoins un magnifique « Musensohn » de Schubert, comme à la parade. C’est la bonne surprise de cette matinée.
Le Croate Kresimir Spicer, troisième ténor du récital, est moins à son aise avec la prononciation de l’allemand, dans un contraste saisissant avec son prédécesseur. Il aborde le répertoire de Beethoven avec une énergie qui tient de l’agressivité là où l’on aurait aimé de l’expressivité dans « Neue Liebe, neues Leben ». Heureusement, le « Flohlied » extrait du Faust de Goethe lui donne l’occasion de s’illustrer dans une scène égrillarde où il excelle.
Quant à Katherine Watson, également déjà entendue la veille, elle place la barre haute avec le « Mio ben ricordati » de Schubert où son chant parait littéralement mouillé de pleurs. Il faut également mentionner le beau travail de Yair Avidor au luth, tout en élégance.