Fin de saison réussie à l’Opéra de Toulon avec cette reprise d’une production de Don Giovanni créée à Marseille en 2005 : la salle est comble et l’enthousiasme débordant aux moments des saluts. En son temps nous avons dit tout le bien que nous pensons de cette conception, et à la revoir on l’apprécie toujours autant. L’efficacité des décors de Jacques Gabel est inchangée ; l’évolution latérale et verticale des panneaux module l’espace au gré des scènes, évitant tout temps mort et préservant ainsi le sentiment d’ un enchaînement fatal. Les couleurs dominantes, noir et rouge, sont à la fois symbolistes et réalistes, puisque la première est à la fois celle de la nuit, celle du deuil et celle de l’âme du dévoyé et la deuxième celle du sang qu’il répand et celle des passions qu’il inspire. Les lumières de Roberto Venturi les valorisent, comme les costumes que Catherine Leterrier soumet sagement aux modes du dix-huitième siècle. Comme à la création, la mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia respecte largement le rôle et l’esprit des personnages et éclaire, avec un minimum d’accessoires, les situations et la succession d’ échecs qui font de cette journée celle de la déconfiture pour Don Giovanni. La scène finale couronne cette conception , quand le lustre renversé reprend sa place : quand le méchant a disparu, la vie peut recommencer.
Ce refus du romantisme qui fait souvent de Don Giovanni l’axe de la vie des autres personnages se retrouve dans la direction de Rani Calderon. Appelé à la rescousse pour remplacer Giuliano Carella, initialement annoncé et contraint de renoncer pour des raisons personnelles, le jeune chef, acclamé ici même après le récent Ariadne auf Naxos, se montre étonnamment proche de son aîné. Il a la même approche probe des oeuvres, soucieuse avant tout de servir le discours musical. Ce n’est pas un mince mérite que de savoir résister aux tentations de briller en faisant montre d’originalité, quitte à bousculer les tempi. Les siens sont scrupuleusement fidèles à une lecture de Mozart qui ne néglige rien pour en conserver la plénitude. D’une vigilance et d’une précision inlassables, il obtient de l’orchestre une interprétation vivante et nuancée de grand classe tout en assurant, avec une efficace discrétion, le continuo au clavecin.
© Opéra de Toulon
En scène aussi bien des satisfactions, à commencer par le choeur maison. Sans doute le Don Giovanni de Michal Partyka ne convainct-il pas entièrement, à cause d’une certaine raideur scénique (peut-être imputable au stress de la prise de rôle), de légères variations dans l’émission (peut-être destinées à pallier une baisse de tension en grossissant au risque d’engorger), et d’un manque de fluidité dans la maîtrise de l’italien dans les passages rapides. Sans doute encore Scott Wilde donne-t-il l’impression fugace de chercher à noircir sa voix, au moins au premier acte, mais son Commandeur est imposant à souhait. Engagé scéniquement, le Masetto de Damien Pass donne envie de le réentendre. Noble et réservé, l’Ottavio de Szabols Brickner allie la fermeté du centre et des graves à un aigu en voix mixte puis en falsetto et confère au personnage la virilité élégante qui lui est parfois déniée. Leporello enfin, qui se contente ici d’être celui prévu par Da Ponte et Mozart, reçoit de Simone del Savio une charge comique assez discrète pour ne pas créer de hiatus avec un contexte dramatique mais assez nette pour satisfaire au giocoso nécessaire. A ce sujet, peut-être l’Elvira de Jacquelyn Wagner pourrait-elle outrer davantage son air d’entrée puisqu’il la définit comme personnage de mezzo carattere, à mi-chemin entre le dramatique de sa situation et le comique involontaire né de ses emportements ? Mais à cela près elle régale d’un chant dont les beautés sont connues, de sa Fiordiligi à Genève à son Agathe sur la même scène. A Nina Bernsteiner est échue Donna Anna ; la voix semble d’abord menue et même chauffée elle n’est pas immense, et les aigus extrêmes sont tirés, mais la sensibilité est vive, les accents sont justes et l’incarnation théâtrale du personnage d’une touchante noblesse. Anna Kasyan, enfin, est une Zerlina plutôt portée sur la chose, à en juger par le plaisir visible que les gestes entreprenants de Don Giovanni lui procurent. Même si on peut trouver qu’elle en rajoute un peu trop dans le primesautier, elle campe avec détermination – elle a déjà chanté le rôle – la troisième figure féminine, après celle qui résiste à la tentation (Donna Anna) et celle qui n’y a résisté que le temps d’une messe de mariage (Donna Elvira). Tel quel, malgré ces quelques réserves, le plateau emporte l’adhésion. On sort de ce Don Giovanni le sourire au lèvres : Mozart a été bien servi !