Forum Opéra

FAURÉ, Pénélope – Munich

arrow_back_iosarrow_forward_ios
Partager sur :
Partager sur facebook
Partager sur twitter
Partager sur linkedin
Partager sur pinterest
Partager sur whatsapp
Partager sur email
Partager sur print
Spectacle
23 juillet 2025
L’attente, l’oubli

Note ForumOpera.com

1

Infos sur l’œuvre

Poème lyrique en trois actes de Gabriel Fauré, sur un livret de René Fauchois, créé le 4 mars 1913 à l’Opéra de Monte-Carlo.

Détails

Mise en scène
Andrea Breth
Scénographie
Raimund Orfeo Voigt
Costumes
Ursula Renzenbrink
Lumières
Alexander Koppelmann
Dramaturgie
Klaus Bertisch, Lukas Leipfinger

Pénélope
Victoria Karkacheva
Ulysse
Brandon Jovanovich
Euryclée
Rinat Shaham
Eumée
Thomas Mole
Cléone
Valerie Eickhoff
Mélantho
Seonwoo Lee
Alkandre
Martina Myskohlid
Phylo
Ena Pongrac
Lydie
Eirin Rognerud
Eurynome
Elene Gvritishvili
Antinoüs
Loïc Félix
Eurymaque
Leigh Melrose
Léodès
Joel Williams
Ctésippe
Zachary Rioux
Pisandre
Dafydd Jones
Un berger
Henrik Brandstetter (Soliste du Tölzer Knabenchor)
Double d’Ulysse
Stefan Lorch
Double de Pénélope
Teresa Sperling
Tireuse à l’arc
Daniela Maier

Vokalensemble « LauschWerk »
Bayerisches Staatsorchester & chor
Direction des chœurs
Sonja Lachenmayr
Direction musicale
Susanna Mälkki

Prinzregententheater (Munich), vendredi 18 juillet, 19h

Nous défendons suffisamment les raretés lyriques sur Forum Opéra pour ne pas avoir à louer à tout prix un projet de redécouverte. D’ailleurs, à Munich, en cette période du festival d’opéra (la 150e édition !), la rareté est presque une norme : la veille de la première de cette Pénélope, on pouvait assister à I masnadieri de Verdi, et le lendemain à Die Liebe der Danae de Strauss (une partition extraordinaire au passage, et magnifiquement interprétée). À priori, tout ou presque semblait réuni pour faire de cette dernière création de la saison munichoise un événement : l’entrée au répertoire de l’Opéra d’État de Munich de l’unique opéra de Gabriel Fauré, les débuts très attendus d’Andrea Breth dans l’institution munichoise, la direction musicale de Susanna Mälkki, tout cela dans l’écrin du Prinzregententheater – salle fortement inspirée de celle du Festspielhaus de Bayreuth, où sont présentées les productions créées en juillet, comme le récent Don Giovanni de David Hermann et Vladimir Jurowski.

Hélas, le premier à décevoir, c’est Gabriel Fauré. On sait que cette Pénélope est le fruit d’une commande passée par la célèbre chanteuse Lucienne Bréval et que le compositeur mit près de cinq longues années à en venir à bout, avec un enthousiasme manifestement fluctuant.  De fait, le résultat n’est pas des plus plaisants. Le livret de René Fauchois, inspiré de l’Odyssée d’Homère, est d’une facture honnête et déroule des alexandrins charmant par leur étrangeté, mêlant le classicisme français à des archaïsmes homériques. Mais les personnages parlent beaucoup, sans qu’il ne se passe grand chose : Télémaque est absent, Pénélope ne doute jamais, Ulysse est tout d’un bloc ; bref, on devient vite indifférent à ce qui se passe. Le compositeur, qui est pourtant un des mélodistes les plus inspirés de cette époque, ne parvient pas à donner un relief dramatique concret aux paroles des personnages : leur verbe se déroule sans heurt, sans éclat, dans une sorte de demi-mesure constante. Fauré s’inspire bien sûr de la forme wagnérienne durchkomponiert, et le sous-titre de l’œuvre, « poème lyrique », correspond assez bien à cette partition qui n’est pas vraiment une action dramatique. Les quelques rares moments de grâce sont à chercher du côté de l’orchestre, qui sonne assez monochrome et lourd dans l’ensemble, mais réserve des beautés ici et là à l’auditeur attentif : la somptueuse ouverture qui expose les thèmes principaux, les belles atmosphères debussystes des scènes de tressage et de détressage du linceul ou encore l’orage de l’acte III. Finalement, Pénélope est une œuvre assez déconcertante, d’une grande sophistication, où l’on sent, par instants, la plume d’un grand compositeur, mais qui suscite une impression générale de fadeur et d’ennui. Peut-être la scène lyrique n’était-elle pas l’endroit où le génie de Fauré pouvait le mieux s’exprimer…

Il faut dire cependant que la mise en scène d’Andrea Breth ne fait rien pour rendre les choses plus palpitantes. La metteuse en scène allemande, qui avait signé une production de Madame Butterfly d’un grand classicisme l’année dernière au Festival d’Aix-en-Provence, choisit ici une lecture anti-dramatique de l’œuvre, onirique, impressionniste, à rebours de toute forme de littéralité dramatique. Sur le papier, c’est une proposition qui pourrait donner lieu à une glose inspirée, puisqu’on y perçoit tout de même une connaissance profonde de l’œuvre, du mythe de Pénélope et de ses grands thèmes : l’attente, le tissage, le passage du temps, la fidélité, le déguisement. Mais l’expérience de spectateur est tout autre : ce qui se passe sous nos yeux est en grande partie illisible, monochrome, baignant dans une léthargie inextinguible. La représentation commence dans un musée de moulages antiques où se promènent un personnage en complet blanc et une vieille dame cataleptique sur un fauteuil roulant, poussé par un autre homme. Puis défilent à l’avant-scène des modules successifs, figurant des salles du palais, dans lesquels sont présentées des images ou des actions symboliques : un tas de femmes allongées les unes sur les autres, les servantes exécutant lentement les mêmes actions de manière répétitive, Pénélope filant un linceul au milieu de fagots de paille, puis plus tard des cochons écorchés pendus à des crocs de boucher, un double de Pénélope allongé sur un lit d’autopsie…

Cette scénographie glissante, apparemment très sobre mais d’une grande virtuosité technique, est assurée par de nombreux techniciens dont il faut saluer l’exploit, puisque tout se déroule sans accroc, à part quelques légers grincements audibles de temps en temps. Cependant, le contenu même de ces modules glissants devient vite abscons : on se perd dans la prolifération des symboles et la fragmentation des espaces et des temporalités. Il y a en effet au moins trois Ulysse (deux âgés, et un jeune qui se confond avec l’interprète du berger) et deux Pénélope (dont une est apparemment morte, noyée dans un lavabo par les prétendants). Les chanteurs réalisent des actions qui n’ont rien à voir avec le texte qu’ils chantent ou bien se parlent d’une pièce à l’autre sans se voir. Andrea Breth cherche probablement à évoquer, par des images chargées de symboles, ce que la musique suggère, comme dans un exercice de libre association d’idées. Mais on est loin de la puissance plastique d’un Castellucci et on se retrouve face à un objet surchargé en pistes de lecture. Vous voulez une lecture symboliste de l’œuvre ? Vous aurez des corbeaux empaillés, des gestes ralentis, des chanteurs figés dans des poses de statue. Une réflexion sur l’attente ? Vous aurez l’immobilisme comme principe scénique. Un regard féministe ? Vous aurez une dynamique genrée avec des femmes maltraitées par des prétendants prétentieux, rudes et exécrables. Sur ce dernier point, on déplorera combien il est pénible de voir sur scène des violences exercées contre les femmes de manière aussi gratuite, fut-ce pour dénoncer la domination masculine, et fut-ce pour réserver aux agresseurs le même sort que les bouchers réservent au porc. Pénélope et ses servantes sont au contraire des femmes qui s’opposent vigoureusement à la domination que voudraient exercer sur elles les prétendants… Bref, à force de vouloir tout dire en surimpression, la proposition s’épuise et finit par nous perdre – au mieux, dans un ennui profond ; au pire, dans de douloureuses migraines.

Ce flottement général du sens, on le retrouve aussi chez les chanteurs, qui s’expriment pour la plus grande majorité dans un français incompréhensible. La mezzo-soprano Victoria Karkacheva possède tout ce qu’il faut pour mettre en valeur la vocalité du rôle de Pénélope : un timbre chaud et rond, quelque chose de souple et de moelleux dans la voix qui charme assurément – mais on ne comprend pas un traître mot de ce qu’elle chante. La prosodie de Fauré est parfois un peu torve, mais la technique d’émission de la chanteuse, couverte, très ronde et en arrière, ne lui permet pas de mettre en valeur le texte de Fauchois et on reste irrémédiablement extérieur au personnage et à ses émotions. Qu’elle ait été choisie pour interpréter Carmen à l’Opéra Bastille la saison prochaine, alors qu’elle ferait merveille dans d’autres répertoires, reste un de ces mystères dont les directeurs de casting conservent jalousement le secret. Brandon Jovanovich, de son côté, a le mérite de veiller à mieux ciseler le texte, grâce à une voix plus claire, dont les reflets métalliques confèrent dans le même temps toute sa puissance guerrière au personnage d’Ulysse. Son héros un peu perdu, vieillissant (plus que travesti en vieux mendiant), se baladant au milieu des statues et des personnages, un guide à la main pour déchiffrer ce qu’il ne sait plus ou n’a jamais su, est une des rares choses qui suscitent un peu d’émotion dans ce spectacle.

Parmi la pléthore de seconds rôles, on retiendra la voix si singulière de Rinat Shaham, d’une profondeur mystérieuse et qui correspond donc idéalement au rôle de la nourrice Euryclée, ou bien encore Martina Myskohlid, Alkandre de grande classe. Personne ne démérite, tout le monde chante bien, mais la prononciation du français est, au mieux, trop générique, au pire, énigmatique. On nous reprochera peut-être un brin de chauvinisme, mais c’est bien un artiste français qui apporte, enfin, un peu de clarté à l’ensemble : Loïc Félix, irrésistible en Antinoüs, ardent et expressif. Avec lui, le chant épouse le verbe, le récitatif retrouve son relief dramatique, incisif, mordant, nuancé. Son madrigal du troisième acte est un moment de pur bonheur : timbre lumineux, projection éclatante, et une manière d’exprimer son amour avec une intensité bouleversante. Il incarnera le Remendado à Bastille la semaine prochaine et on a hâte de pouvoir l’entendre à nouveau !

La direction orchestrale de Susanna Mälkki est peut-être ce qui déçoit le moins. On y retrouve les qualités habituelles de la cheffe : clarté dans l’étagement des plans sonores, sens de l’équilibre, lecture cursive et rigoureusement tenue, toujours avec précision et fraîcheur. Mais aussi ses limites : une approche plus analytique que passionnée, un certain manque d’éclat. Cela dit, qui du compositeur ou de la cheffe faut-il incriminer ici ? Les cuivres couvrent parfois les voix, certains passages sonnent gris, mais c’est écrit ainsi… Les instrumentistes du Bayerisches Staatsorchester impressionnent quoi qu’il en soit toujours autant, par leur rigueur et leur engagement – et montrent d’ailleurs le lendemain combien leur talent s’épanouit davantage dans la somptuosité et la rutilance orchestrale de Die Liebe der Danae de Strauss. Oui, à l’écoute de cette Pénélope, on en vient à se demander s’il faut encore attendre quelque chose de l’œuvre de Fauré… ou simplement choisir de l’oublier.

Commentaires

VOUS AIMEZ NOUS LIRE… SOUTENEZ-NOUS

Vous pouvez nous aider à garder un contenu de qualité et à nous développer. Partagez notre site et n’hésitez pas à faire un don.
Quel que soit le montant que vous donnez, nous vous remercions énormément et nous considérons cela comme un réel encouragement à poursuivre notre démarche.

Note ForumOpera.com

1

❤️❤️❤️❤️❤️ : Exceptionnel
❤️❤️❤️❤️🤍 : Supérieur aux attentes
❤️❤️❤️🤍🤍 : Conforme aux attentes
❤️❤️🤍🤍🤍 : Inférieur aux attentes
❤️🤍🤍🤍🤍 : À oublier

Note des lecteurs

()

Votre note

/5 ( avis)

Aucun vote actuellement

Infos sur l’œuvre

Poème lyrique en trois actes de Gabriel Fauré, sur un livret de René Fauchois, créé le 4 mars 1913 à l’Opéra de Monte-Carlo.

Détails

Mise en scène
Andrea Breth
Scénographie
Raimund Orfeo Voigt
Costumes
Ursula Renzenbrink
Lumières
Alexander Koppelmann
Dramaturgie
Klaus Bertisch, Lukas Leipfinger

Pénélope
Victoria Karkacheva
Ulysse
Brandon Jovanovich
Euryclée
Rinat Shaham
Eumée
Thomas Mole
Cléone
Valerie Eickhoff
Mélantho
Seonwoo Lee
Alkandre
Martina Myskohlid
Phylo
Ena Pongrac
Lydie
Eirin Rognerud
Eurynome
Elene Gvritishvili
Antinoüs
Loïc Félix
Eurymaque
Leigh Melrose
Léodès
Joel Williams
Ctésippe
Zachary Rioux
Pisandre
Dafydd Jones
Un berger
Henrik Brandstetter (Soliste du Tölzer Knabenchor)
Double d’Ulysse
Stefan Lorch
Double de Pénélope
Teresa Sperling
Tireuse à l’arc
Daniela Maier

Vokalensemble « LauschWerk »
Bayerisches Staatsorchester & chor
Direction des chœurs
Sonja Lachenmayr
Direction musicale
Susanna Mälkki

Prinzregententheater (Munich), vendredi 18 juillet, 19h

Vous pourriez être intéressé par :