La Nouvelle Athènes, ensemble d’immeubles du 9e arrondissement de Paris, datant de 1819-1820, où vécurent nombre d’artistes et d’écrivains célèbres au XIXe siècle a donné son nom à l’association fondée par Sylvie Brély en 2017 afin de redonner vie au piano du premier romantisme, notamment en acquérant des instruments d’époque comme les deux pianos Érard sur lesquels jouent les pianistes lors des concerts dans la superbe salle à manger du Château de Malmaison.
Des ateliers sont organisés autour du pianoforte, des disques sont enregistrés comme celui consacré aux œuvres d’Hortense de Beauharnais et des compositeurs de son temps, magnifique CD dont Yvan Beuvard a rendu compte avec enthousiasme et érudition. De plus Sylvie Brély a réussi à faire adhérer à ce projet un public nombreux et fidèle lors des concerts du dimanche. Elle aime y faire découvrir de nouveaux talents comme, le 15 septembre dernier, la jeune soprano française Camille Chapron à la suite de son stage dans un atelier consacré à la Romance et à l’accompagnement au piano. Camille Chapron, musicienne hors pair, a été pianiste, en effet, avant de décrocher une licence de musicologie à la Sorbonne et de suivre en Italie l’enseignement de la célèbre soprano colorature Luciana Serra. Pour le concert, elle s’est associée au guitariste italien, installé en France, Pablo Lentini Riva qui joue sur une guitare romantique de 1830 qu’il présente fièrement au public. Un petit bijou de collection réalisé avec des bois exotiques (le palissandre du Brésil, l’acajou et l’ébène) et de la marqueterie d’ivoire. Le son est particulièrement délicat, chaleureux et sensuel et s’accorde à merveille aux musiques du début du XIXe siècle.
Leur programme est passionnant car il nous raconte une histoire qu’on connaît trop mal, celle de la guitare en vogue ces années-là en Europe. Dans son salon, Joséphine jouait de la harpe mais sa fille, la future Reine Hortense, aimait accompagner les romances à la guitare. Le concert du 14 septembre évoquait brillamment les débuts des grands guitaristes romantiques notamment à Madrid, Paris, Vienne et Naples où Ferdinando Carulli (1770-1841) a été un des pionniers. Il a vécu aussi à Paris et ses Ariettes sur des motifs de Rossini débutaient le concert, avec ce qu’il faut de vocalises et de virtuosités dont la soprano colorature se joue avec aisance et brio. Mais c’est dans les boléros et séguedilles du plus grand guitariste de l’époque, Fernando Sor (1778-1839), que Camille Chapron donne toute la mesure de son talent. Son beau timbre peut s’y épanouir davantage. Fernando Sor a beaucoup vécu à Paris. Comme une certaine partie de l’élite intellectuelle et artistique espagnole, il pensait que le changement de dynastie en Espagne, par l’accession au trône du frère de Napoléon en 1808, permettrait au pays de se moderniser en s’inspirant de l’esprit des Lumières. Hélas, à la suite de la Guerre d’Indépendance et de la défaite de Joseph Bonaparte, il dut se réfugier en France. Son œuvre et notamment ses opéras restent encore à découvrir. Camille Chapron, l’éventail à la main, a tout le piquant nécessaire pour faire danser ces musiques qui rappellent les Majos et Majas de Goya, avec l’élégance et l’espièglerie requises.
De son côté Pablo Lentini Riva, très complice de la soprano, intervient plus d’une fois en soliste notamment pour nous faire découvrir les guitaristes les plus renommés de Vienne comme Johann Kaspar Mertz dont il interprète une Elégie et sa transcription superbe de la Ständchen de Schubert avec une sensibilité et une intensité qui touchent le public. Puis c’est Mauro Giuliani (1781-1829), qui a vécu à Vienne dès 1806, avec ses Variations sur les Folies d’Espagne, cet ancien thème mélancolique de la danse lusitano-espagnole qui trouve dans la guitare romantique le son velouté idéal. Le programme s’achevait par de belles surprises : deux mélodies françaises de Maria Malibran (1808-1836) et Six ariettes pour chant et guitare de Domenico Puccini (1772-1815) le grand père du célèbre Giacomo !
Dans ces œuvres on entend en gestation l’excellente interprète de bel canto que Camille Chapron doit devenir. Elle sait qu’elle doit encore se perfectionner afin de mieux laisser s’épanouir la ligne de chant et d’harmoniser les registres de sa voix, l’aigu notamment, en retrouvant par exemple le beau legato qu’elle laisse entendre dans l’Orgoglioso fiumicello de Domenico Puccini ! Après les mélodies françaises qu’elle vient d’enregistrer, ce sont donc bientôt les grands rôles de soprano colorature qui l’attendent.
Les concerts à Malmaison ont lieu tous les dimanches à 12h30 de septembre à juin. Peut-on rêver une promenade plus romantique ?