Créée en 2010 à l’occasion de son centième anniversaire, cette coproduction de La Fanciulla del West (avec le Teatro Massimo de Palerme et le San Francisco Opera) est accueillie à l’Opéra Royal de Wallonie à Liège où ont été conçus décors et costumes. Mais qui est cette fille du Far West ? La question mérite d’être posée : Liège ne l’avait pas revue depuis 30 ans, et l’Opéra de Paris s’apprête à la créer la saison prochaine. Héroïne hors pairs dans l’oeuvre de Puccini ainsi que du genre lyrique, Minnie, unique personnage féminin de l’opéra, assoit une autorité sans faille au sein d’un camp de mineurs. Elle se paye même le luxe de repousser les avances du shérif au détriment de Dick Johnson à qui elle offre son premier baiser. Mais le shérif joue les trouble-fête dévoilant à Minnie la réelle identité de Johnson qui n’est autre que le bandit recherché, Ramerrez. Anéantie, face à la jalousie du shérif, elle lui propose de jouer la vie de son amant au poker. En trichant, Minnie gagne. Elle le sauvera de nouveau in-extremis avant de quitter ensemble, la Californie.
Histoire foisonnante, écriture orchestrale et vocale complexe, happy-end et absence de morts sont autant d’éléments qui déroutent le grand public et la critique. Ajoutons à cela le thème du Far West et du western, empreint de clichés. Mais d’après le metteur en scène Lorenzo Mariani, l’œuvre, elle, n’a rien d’un cliché : elle fourmille nombre de détails et d’analyses psychologiques. Même avis du coté du maestro Gianluigi Gelmetti qui y voit un complexe d’Œdipe . Que représente Minnie pour les mineurs ? une sœur ? une mère ? Cette production, fruit d’une réflexion approfondie, tient toutes ses promesses.
L’ouverture illustrée par des mineurs en train de piocher, suspendus devant un mur rocheux qui recouvre le fond de scène, apparaît comme une clé qui aide à comprendre les vingt premières minutes de l’opéra. Alternance de scènes violentes et tendres, Mariani dit au sujet de ces personnages : « Ce sont des gens d’une grande humanité avec des douleurs et des blessures ». Le metteur en scène a particulièrement soigné ces séquences puisqu’elles construisent l’histoire derrière laquelle apparaît une vérité, celle d’un Far-West où l’espoir se réduit à néant. Les décors de Maurizio Balò suggèrent efficacement les lieux en évitant un excès de réalisme, et sans basculer dans une transposition quelconque. L’originalité de ce décor vient de ce mur évoqué précédemment et omniprésent dans l’opéra. « Je me suis inspiré d’une image du film Johnny Guitar (1954), ce western féministe dans lequel Joan Crawford, fière et indépendante, est, elle aussi, propriétaire d’un bar. Un bar construit sur la roche ». Évoquant Monument Valley ou encore le Grand Canyon, il répond à « L’idée de faire un décor qui respire et qui transporte » déclare Lorenzo Mariani. C’est aussi la métaphore du sentiment amoureux de Minnie qui ouvre peu à peu son cœur comme en témoigne la fin de l’acte I, où le mur, s’ouvrant légèrement par le milieu, laisse entrevoir une veine d’or : celle de l’amour naissant.
Si la mise en scène fait son effet, saluons une distribution de haute tenue, aussi bien de la part des nombreux rôles secondaires que les principaux à commencer par Deborah Voigt en Minnie. L’étendue de sa voix met en relief les sentiments qui traversent l’héroïne, de la femme autoritaire à la femme amoureuse en passant par la colère et la rage. Médium nourri, grave sonore, elle ne manque pas de brillant dans l’aigu. Avec panache, chaque note émise s’accompagne d’une réelle intention théâtrale. Rarement l’air « Laggiù nel Soledad » aura été aussi convainquant. La performance de Carl Tanner est tout aussi remarquable en Johnson/Ramerrez. Grâce à sa technique solide, il réalise avec assurance les notes les plus hautes. Doté d’un timbre charnu finement nuancé, il atteint cet équilibre entre tendresse et virilité, caractéristique du personnage. Carlos Almaguer campe un Jack Rance noble et respectueux où l’élégance du jeu prévaut sur les aspects brutaux du méchant. La rondeur de sa voix aux sons moelleux se répand sans difficulté à travers la salle, révélant une certaine sensibilité. Il deviendra d’autant plus sympathique qu’à la fin de l’opéra, tenu dans le silence, un faible éclairage projeté sur lui rappellera sa présence avant que les mineurs ne reprennent la pioche.
« La Fanciulla del West est l’un des plus beaux opéras de Puccini mais qu’on ne peut pas bien interpréter si on n’a pas dirigé Ravel, Debussy ou Stravinsky » déclare le maestro Gelmetti. Familier de l’œuvre, il tire le meilleur d’un orchestre dont il salue l’intelligence, la culture et la sympathie. Dynamique, précise, la subtilité de sa direction met en évidence les multiples atmosphères de l’opéra dans une continuité sans faille. Ainsi, la partition révèle le langage de Puccini qui s’exprime selon le chef « à tous nos sens: au cœur, à la tête et à l’esprit ». Et si comme cela ne suffisait pas, à l’issue de la représentation, la neige commençant à tomber donnait à Liège un air de Cloudy Mountain.
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