Chanter La Voix humaine, c’est un peu chanter un sentiment : la douleur insoutenable mais passagère, intime mais partagée. C’est chanter le pendant tragique de l’amour heureux. C’est chanter un pur désespoir pourtant encore dicible. Difficile parce qu’intense sur tous les plans, l’œuvre réclame une interprète de tout premier ordre.
Encore digne et, en apparence, forte dans ses premières interactions, Véronique Gens passe par toutes les nuances du désespoir pour, à la fin de la conversation, montrer la réalité d’un amour encore vivant mais pourtant déjà mort, pur souvenir ou fantasme : un anéantissement total. Loin de la caricature, la soprano aborde l’œuvre avec sobriété. On vit son désespoir et, malgré une remarquable économie de moyens (aucune mise en scène, à peine quelques gestes des mains), on explore une part de l’âme humaine. Souvent charnue, parfois ténue, toujours ronde et soutenue, la voix s’adapte remarquablement : elle parle, elle chante tendrement, elle se confond en excuses, elle crie, elle hurle son désespoir. Lorsqu’elle affirme que tout est ma faute, on sait qu’on est face à une interprétation exceptionnelle. Et lorsqu’on réentend que les choses que je n’imagine pas n’existent pas… ou bien elles existent dans une espèce de lieu très vague et qui fait moins de mal, on mesure à nouveau l’exigence du texte et de la partition.
Alexandre Bloch et l’Orchestre National de Lille abordent l’œuvre frontalement. Dans La Voix humaine comme dans la Sinfonietta du même compositeur, donnée en première partie, l’attention aux timbres, aux textures et aux couleurs est extrême. Le son est homogène, presque compact mais l’interprétation reste toujours lisible et l’on relève, çà et là dans la première œuvre, quelques traits qui seront repris dans les Dialogues des carmélites. Peut-être un peu trop affirmé au début de la seconde œuvre, l’orchestre établit rapidement un réel dialogue avec la soliste : tantôt très présent, il est parfois totalement absent soulignant ainsi le caractère monologué d’un dialogue où mon chéri n’est sans doute déjà plus qu’un nom.