Sommes-nous face à de la prétention ou à de la pure naïveté ? Invité par l’opéra de Lyon à mettre en scène son premier opéra, L’Enlèvement au sérail de Mozart, l’homme de théâtre libano-canadien Wajdi Mouawad et futur directeur du théâtre de la Colline à Paris, apparaît comme l’archétype même de ce sang frais que beaucoup de maisons lyriques aiment à inoculer dans leurs nouvelles productions. Mais c’est sans compter le sabotage scrupuleux de l’œuvre qu’elle entraîne quelques fois.
Le choix d’un metteur en scène de théâtre semblait pourtant de prime abord pertinent. Le singspiel appelle la théâtralité. La dramaturgie du texte ne demande qu’à s’éprouver, dans l’énergie de la voix et du corps. Mais loin de donner seulement du sens à cette dramaturgie, Wajdi Mouawad est allé jusqu’à la créer de toutes pièces, pour raconter son histoire, faire passer son message, peu importe la réalité du texte qu’il est censé servir, peu importe les mutilations infligées au passage à la mémoire et à l’œuvre de Stéphanie et de Mozart, devenue ainsi apocryphe.
Et ce message, d’ailleurs ? Difficilement audible, difficilement lisible, un corps étranger dans une œuvre où texte et musique se répondent déjà à la perfection. Ici, un prologue introduit l’opéra de Mozart comme un récit au passé ; là, des dialogues nouvellement écrits introduisent une sorte d’ambivalence de sentiments de la part de Konstanze et de Blonde envers leurs ravisseurs, car, sans doute, la barbarie n’est pas là où l’on croit. Mais à trop vouloir exprimer sa pensée politique, à force et à coups de concepts, Wajdi Mouawad brise l’équilibre musical et dramaturgique de cette histoire pourtant si simple de deux couples désunis et retrouvés.
Si elles sont réelles, les qualités des interprètes ont mis quelque temps à affleurer. En particulier, malgré un timbre lumineux et une longueur de souffle assez extraordinaire, Cyrille Dubois campe un Belmonte au départ peu nuancé, aux aigus manquant de rondeur et parfois fébrile techniquement, notamment dans les passages sur son air d’entrée « Hier soll ich ». Ce constat faisait craindre la verdeur d’un instrument pas encore assez mûr pour le rôle de Belmonte. Mais dans la deuxième partie, le ténor français se révèle véritablement, projetant la voix avec assurance et puissance dans des airs parfaitement exécutés, en particulier le très beau « Ich baue ganz ». Il n’y a rien à dire de la Konstanze de Jane Archibald qui compte parmi les sopranos coloratures actuelles les plus solides, et l’on ne saurait guère lui reprocher la faiblesse des notes graves imposées par la tessiture du rôle, et que de bien rares chanteuses possèdent. Pétillante, la Blonde de Joanna Wydorska fait montre d’un bel engagement scénique en plus de déployer des aigus solides, mais malgré sa grande souplesse, la voix demeure beaucoup trop petite, et ceci est d’autant plus flagrant dans les duos et ensembles. Du côté des autres personnages masculins, Michael Laurenz est dans une énergie théâtrale exemplaire pour son Pedrillo et David Steffens possède la voix de basse profonde qui sied parfaitement au personnage d’Osmin, terrible et fragile à la fois. Enfin, pour Selim, le choix a été fait d’employer un véritable acteur de théâtre, et il se dégage de Peter Lohmeyer, dans sa maladie d’amour, une mélancolie et une sagesse extrêmement attachantes.
Très précautionneux au départ, dans un souci manifeste de ne pas couvrir les voix, Stefano Montanari donne progressivement corps à la musique avec un orchestre de l’opéra de Lyon aux résonnances chambristes. Le professionnalisme du chef, sa musicalité, se retrouvent en particulier dans cette attention au chant et au dialogue dont il se fait l’admirable et respectueux miroir. On aurait aimé pouvoir en dire autant du metteur en scène.