A bien regarder, le finale de Don Giovanni est plus ambigu qu’il n’y paraît. Le contraste entre la scène du Commandeur et le sextuor pourrait faire penser à un happy end qui reprendrait pour soi le terme de « dramma giocoso » en le détournant légèrement. C’est pourtant sur un constat d’échec que se clôt l’œuvre. Certes, le dissolu est puni, mais la rupture inévitable entre Ottavio et Anna, la méfiance désabusée entre Masetto et Zerlina, et le retrait d’Elvira sont autant d’échos amers dans une musique faussement badine.
Le parti pris d’Ivo van Hove est pourtant bien celui de la fin lumineuse : le mal est vaincu, les couples peuvent à nouveau s’aimer, il y a des géraniums et du linge aux balcons. Il aura fallu escamoter le finale du « Or che tutti », mais ce n’est pas la seule bizarrerie musicologique de la production.
Hormis cette tardive remontée de sève, la mise en scène reste fidèlissime aux intentions de Mozart et de Da Ponte. Les imposantes structures de béton mi-futuristes, mi-Piranèse de Jan Versweyveld sont un fort beau décor qui se révèle au fil des lentes rotations qui l’animent durant toute la soirée (on regrette d’autant plus ce finale criard et niais). Si la sobriété est de mise pour les décors et costumes, la direction d’acteur est soignée et subtile, sans trop de complications inutiles.
© Vincent Pontet
A quelques exception près, le plateau de la soirée fait honneur à la partition, alliant beauté plastique de la voix et incarnation musicale accomplie. Christina Gansch remplace Anna El-Khashem en Zerlina, et se montre prête à chanter des rôles plus lyriques que ceux de soubrettes. Mikhail Timoshenko est un Masetto rustaud mais sans vulgarité, tandis qu’Alexander Tsymbalyuk offre un Commandeur de luxe pour les deux scènes qui lui sont réservées. Pavel Petrov devra peut-être attendre un peu avant de reprendre le rôle de Don Ottavio dans une salle aussi peu flatteuse que Bastille. Pressé de finir son premier air, et privé de son deuxième, on le sent mal à l’aise avec ce personnage qui mérite pourtant plus que la guimauve mal fagotée que l’on a trop souvent servie.
La Donna Elvira de Nicole Car est d’une toute autre trempe. Elle ne fait qu’une bouchée des redoutables vocalises du quatuor comme de « Mi tradi », et brosse le portait d’une femme sincère, torturée, pour laquelle on éprouve une compassion sans réserve. Plus noble et distante, la Donna Anna d’Adela Zaharia n’en est pas moins louable. Si elle refuse les grands effets dans les passages les plus dramatiques, elle se fend d’un « Non mi dir » de haute qualité vocale. En Leporello, Krzysztof Bączyk rend bien l’ambivalence du personnage, tiraillé entre l’envie et la honte de servir ceux qui font le mal. Sa grande aisance vocale lui permet de donner le meilleur de lui-même dans un vaillant Air du catalogue. Dans le rôle-titre, Christian Van Horn est un écho cohérent à Etienne Dupuis. La voix racée, les aigus brillants et une présence à l’arrogance superbe lui assurent un succès auprès du public ce soir-là.
La direction de Bertrand de Billy est souveraine : le chef français a beau privilégier les tempi rapides, il ne veille pas moins aux équilibres entre fosse et plateau, et à une lisibilité constante du discours. Les chœurs pâtissent hélas trop du port du masque pour que nous puissions nous permettre un jugement pertinent sur leur prestation.