Drôle d’endroit pour une rencontre : Mozart et Pärt réunis dans un même programme au Kulturpalast de Dresde. Ce bâtiment, inauguré en 1969, a été conçu par l’architecte Wolfgang Hänsch dans un style moderniste, typique de l’architecture de l’ex-RDA. Sa façade est ornée d’une fresque monumentale réalisée dans l’esprit de la propagande soviétique – faucille, marteau, étoile rouge et autres joyeux symboles du régime le plus oppressif qui fut sous couvert de camaraderie et de justice sociale. Pourtant, au contraire de la plupart des bâtiments emblématiques de l’époque communiste en Allemagne de l’Est, le Kulturpalast ne fut pas détruit ou profondément transformé après la réunification mais modernisé. Lieu dédié dès l’origine à la culture, son rôle ne fut pas perçu comme propagandiste ; son intégration harmonieuse dans l’urbanisme de l’Altmarkt en faisait un bâtiment apprécié, y compris des architectes occidentaux. Une rénovation dirigée entre 2012 et 2017 par le cabinet von Gerkan, Marg und Partner, permit d’intégrer un auditorium de 1800 places doté d’une excellente acoustique, tout en conservant la structure originale du bâtiment – et sa fresque extérieure. Il abrite aujourd’hui plusieurs institutions culturelles majeures dont la Philharmonie de Dresde, un des piliers de la tradition symphonique allemande.
Autre institution musicale emblématique Outre-Rhin : le Dresdner Kreuzchor, un des chœurs de garçons les plus anciens et les plus renommés au monde : huit siècles d’existence ; 125 membres de 9 à 19 ans formés dès le plus jeune âge au sein de l’école Kreuzschule, qui combine éducation générale et formation musicale intensive. Bien que principalement connu pour ses interprétations de musique sacrée protestante, quelques œuvres catholiques majeures, comme le Requiem de Mozart, appartiennent à son répertoire.
© Huy Nguyen Quang
Avouons-le : nous étions de prime abord sceptique quant à l’impact d’une version chorale exclusivement masculine sur la théâtralité du chef d’œuvre religieux de Mozart – l’amateur d’opéra, coutumier des drames implacables, tend à préférer une interprétation secouée de frissons et de larmes. De fait, l’absence de voix féminines et de voix de basse à la maturité affirmée émousse les contrastes nécessaires à la violence sauvage du « Dies irae » ou à la confrontation entre damnés et élus dans le « Confutatis maledictis ».
Mais ce que l’on perd en clair-obscur, en vérité crue et en intensité dramatique, on le gagne en ligne et en lumière. Enraciné dans la tradition protestante saxonne, le Kreuzchor offre au Requiem une sobriété et une intériorité influencées par des siècles d’interprétation de musique sacrée allemande. Précision, pureté d’intonation et homogénéité enrichissent l’interprétation des polyphonies complexes de Mozart. L’accord entre les quatre solistes, dominé par l’expressivité séraphique de la soprano – Katharina Konradi – et le choix d’une basse au timbre clair, proche du baryton – Krešimir Stražanac –, la direction mesurée de Martin Lehmann à la tête d’une Dresdner Philharmonie réduite à une vingtaine d’instruments, achèvent de convaincre du bien-fondé d’une autre approche, plus introspective.
Finalement, le plus déconcertant dans ce concert est l’insertion d’œuvres d’Arvo Pärt entre les différents numéros du Requiem. Ce saucissonnage veut marquer un double anniversaire : les 80 ans de la fin de la seconde guerre mondiale en Europe et les 90 ans du compositeur estonien. Deux événements sans rapport aucun, tout comme il existe peu de correspondances entre les musiques de Mozart et de Pärt. Le collage, réalisé sans autre transition qu’un court temps de silence, n’apporte rien à l’œuvre de l’un comme aux pièces de l’autre – au contraire. Mais il donne à apprécier la riche diversité de la musique occidentale dans sa quête de spiritualité, la versatilité de la Dresdner Philharmonie et l’excellence du Kreuzchor, admirable notamment par sa tenue et sa longueur de souffle dans « Peace Upon You Jerusalem ».
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De l’imprégnation de la tradition luthérienne allemande dans le tissu musical saxon, une nouvelle preuve était donnée à la Frauenkirche le lendemain en matinée à travers l’interprétation de quatre motets de Bach, émaillée d’un sermon et de prières. Matthias Grünert, premier cantor de la Frauenkirche depuis sa reconstruction en 2005, dirigeait de main amoureuse le chœur – une petite trentaine d’artistes amateurs – accompagné par l’ensemble maison, composé de musiciens issus de la Staatskapelle et de la Philharmonie de Dresde. Entièrement détruite lors des bombardements de 1945 et reconstruite après la réunification grâce à des dons venus du monde entier dans une volonté de paix, de pardon et de dialogue œcuménique entre les peuples, l’église accueille une fondation qui propose une centaine de concerts par an – en 2025 une attention particulière est portée à Bach pour le 275e anniversaire de sa mort. C’est ainsi que la Frauenkirche se pose en symbole de réconciliation dont la musique se fait le porte-parole. Messe ne saurait être mieux dite.