Sur la scène du Grand Théâtre d’Angers, en ce centenaire puccinien, cette production de Tosca n’aurait pas été pour déplaire au compositeur, tant elle est à l’évidence une affaire de femmes sur le plateau et dans la fosse. Silvia Paoli a un indéniable talent pour créer des images fortes à partir d’un décor uniforme qui n’ancre le drame dans aucune époque pour mieux le transposer dans l’universel et l’intemporel. La cheffe Clelia Cafiero n’a, quant à elle, pas son pareil, pour tisser un soyeux tapis musical d’une épaisseur digne du drame puccinien. Par ces deux talents combinés, le spectacle est percutant, radical et sans détour, au réalisme et aux effets cinématographiques. Dépouillé de tout vernis d’apparats inutiles, il place la musique et les protagonistes au centre de tout.
Cette Tosca, telle que présentée ici, aurait pu aisément s’appeler Scarpia, tant le chef de la police est la figure dominatrice, de la proposition scénique. Mais est-ce bien étonnant, dans la mesure où dans l’œuvre même de Puccini, tout à la fois odieux et esthète, il est le cœur battant du drame en s’octroyant un droit de vie ou de mort, sur un peintre, plus révolutionnaire qu’artiste, aimée par une diva en proie à une jalousie paranoïaque. Mais dans l’approche de Silvia Paoli, le sardonique épicurien, est vu non pas comme un salaud sublime, mais comme une ordure lubrique, incarnation du mal portée à son paroxysme, évidente dénonciation de tous les Scarpia en puissance qui sévissent encore aujourd’hui. Un Scarpia tout de noir vêtu et des sbires sans visage. Un Scarpia sadomasochiste qui dissimule sous une maniaquerie empruntée, toute sa purulence intrinsèque de tortionnaire et de violeur.
Dans un environnement volontairement aseptisé d’un blanc immaculé, Sant’Andrea della valle et le Palais Farnese sont dévêtus de leurs atours pour laisser place au drame nu et à ses protagonistes emportés par la houle des évènements. Le tout sublimé par les superbes lumières de Fiammetta Baldisseri. Le décor est réduit à quelques objets : l’échafaudage du peintre à l’acte I , une tablée de convives à l’acte II et un plateau vide aux murs amovibles évoquant la geôle de Cavaradossi à l’acte III. Silvia Paoli impose ici la vision qu’elle se fait de l’opéra de Puccini : minimalisme, livret concis et musique puissante qui va droit au but et qui nous ramène inlassablement à Scarpia. Comme dans ce superbe contre-jour du début de l’acte III, où les corps de danseurs s’amoncèlent sur la scène personnifiant les victimes de l’oppression et la terreur du Prince noir du vice.
Dans une telle lecture, les chanteurs sont donc en première ligne et doivent se montrer à la hauteur. Et tel est le cas en premier lieu de Stefano Meo qui personnifie ici un Scarpia puissant, noir et dominateur avec un « Te Deum » impeccable. L’effet théâtral en est remarquable et la haute et imposante stature du chanteur y est aussi pour beaucoup. La voix est sonore, lumineuse, nuancée. Le baryton s’investit ardemment dans cette conception scénique au point de se faire huer par certains spectateurs au rideau final fustigeant ici l’abject personnage qu’il a magistralement interprété. Face à ce monstre flamboyant, Izabela Matuła est en majesté en Tosca. Pure diva, elle incarne la cantatrice avec une voix puissante et dramatique. Le timbre superbe et son sens aigu de la nuance permettent à la soprano polonaise de côtoyer les sommets dans sa confrontation avec Scarpia à la fin de l’acte II laquelle constitue un superbe et puissant moment de théâtre dans un clair-obscur étudié. Le rôle est brillamment assumé jusqu’au registre grave sonore, avec des aigus tranchants qui donnent une force indéniable à son incarnation. Le Mario Cavaradossi de Samuele Simoncini, plus en retrait, peine à convaincre dans « Recondita Armonia ». La voix est peu assurée dans le registre haut et le timbre sonne guttural. Mais le ténor se ressaisit par la suite notamment dans les duos où, s’appuyant sur sa partenaire, véritable moteur de leurs têtes à têtes, il semble reprendre confiance. La voix est mieux projetée et les aigus plus clairs. Les seconds rôles sont parfaitement incarnés, qu’il s’agisse de l’Angelotti sonore et imposant de Jean-Vincent Blot, du virevoltant Sacristain de Marc Scoffoni, de l’inquiétant Spoletta de Marc Larcher paré d’un seyant manteau de fourrure, ou du Pâtre incarné par un ange et chanté en coulisse par Hélène Lecourt.
En spécialiste du répertoire puccinien (cf son interview du dossier Puccini 100), Clelia Cafiero contribue pleinement à la puissance dramatique du spectacle. Fine coloriste, délicate dans les progressions, toujours soucieuse de l’équilibre entre fosse et plateau, elle tire le meilleur de l’Orchestre National de la Loire, limité à une quarantaine de musiciens, qui s’illustre ici par un bel engagement dans une réduction pour orchestre de chambre de Riccardo Burato. Sans forcer les tempi, Clelia Cafiero, avec son habituelle énergie fédératrice, maintient de bout en bout la tension, et crée une osmose stylistique, entre musiciens et chanteurs, à laquelle s’adjoint avec talent le Chœur d’Angers Nantes Opera. L’attention de la cheffe italienne est telle pour chacun des protagonistes du spectacle que ceux ci s’investissent avec énergie et enthousiasme. Du bel ouvrage chaleureusement salué par un public conquis.