Concert très attendu que celui de Roberto Alagna et du soprano Nathalie Manfrino au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Le public, particulièrement chaleureux, n’a pas manqué pas de réserver aux deux artistes un accueil enthousiaste.
Salle comble donc pour accueillir le fringuant ténor aux allures de play-boy, en blazer de soie couleur champagne, ouvert sur une chemise noire et pantalon de smoking, les cheveux mi-longs, look décontracté, mais élégant. Tenue plus classique pour le soprano, en longue robe couleur prune au pulpeux décolleté pour la première partie, qu’elle troquera contre du velours noir en deuxième partie de concert. Le programme de cette soirée, au lendemain de l’anniversaire de l’artiste, né un 7 juin, repose sur de larges extraits de Roméo et Juliette de Charles Gounod.
C’est à Nathalie Manfrino, l’une des valeurs sûres du chant français actuel1 – selon la formule consacrée (elle a été élue Révélation lyrique de l’année, aux Victoires de la Musique Classique 2006) – qu’il incombe d’ouvrir le bal, en solo, avec la valse de Juliette « Ah ! Je veux vivre ». Dès les premières notes, l’impression est globalement agréable, mais reste sur le fil du rasoir. Oser la brillance et la légère virtuosité en début de programme est un pari risqué. L’interprétation se positionne sans réelle caractérisation quand l’air requiert un éclat et une souplesse qui font ici manifestement défaut. Cela dit, la voix est fraîche, la projection dynamique et audacieuse, les aigus faciles même si trop ouverts. Les passages forte ont tendance à écraser la rondeur de l’émission et à en altérer la virtuosité, les trilles de Juliette ayant été tout simplement esquivés. Cette impression d’inconfort se poursuit tout au long de la soirée, avec le duo « De grâce, demeurez ! Ange adorable … » et dans la scène du balcon, le duo du deuxième acte « Ô nuit divine !».
Il faudra patienter jusqu’au final de l’œuvre et aux duos de la deuxième partie du concert pour découvrir une Nathalie Manfrino en meilleure forme, avec un chant mieux maitrisé ainsi qu’une rondeur et une suavité plus enveloppantes, certainement grâce à la présence de Roberto Alagna. Elle parvient alors à étoffer sa caractérisation, la voix retrouvant une chaleur plus communicative, là même où encore, l’agilité (où sont passés les trilles du célébrissime « air des bijoux » de Marguerite de Faust, offert en guise de premier rappel ?) mais également, la diction, pourraient être plus abouties et soignées. Nul doute que ce talent est un talent en devenir : il mérite pleinement d’être soutenu et apprécié à sa juste valeur.
Dès les premiers pas du « Sicilien »sur la scène (référence faite à l’un de ses derniers albums, paru en 2008 chez Deutsche Grammophon), la partie est gagnée pour Roberto Alagna. Le public est conquis par l’artiste : son naturel confondant, son sourire et sa voix ensoleillée, franche, virile et sincère, comme la terre de ses aïeux. Roberto Alagna, c’est tout d’abord une attitude particulière, emblématique du ténor : de stature modeste, la cage thoracique large, la mâchoire puissante, le bras ample et généreux. Ensuite, il y a cette gestuelle exacerbée, parfois excessive et superflue, étonnement académique et «à l’ancienne », qui rappelle, sous divers aspects, les concerts du trop larmoyant et vériste – mais ô combien talentueux – Beniamino Gigli (en 1949 sur cette même scène du Palais des Beaux-Arts.) Superflue, car tout est niché dans la voix, dans ce chant exalté, épanoui, solaire et percutant : timbre suave, registres parfaitement équilibrés, legato impeccable. L’auditoire est subjugué par son aisance, sa palette de nuances et son charme communicatif. La cavatine de Roméo »Ah!, lève-toi soleil! » est une leçon de style, même si au stade actuel de sa carrière, le ténor veille manifestement – et qui s’en plaindrait – à ménager ses moyens, en contrôlant plus uniformément son émission.
Tout au long de l’enchaînement des duos, Roberto Alagna ne cesse d’affirmer la suprématie de son art, nous offrant le portrait d’un Roméo passionné. Le paroxysme de la soirée est atteint avec le duo final du 5e acte, où les deux artistes, transfigurés par leur personnage : Juliette, étendue sur les marches de la scène et Roméo, évoluant, un peu hagard, sur le plateau (après avoir laissé son blazer au vestiaire), recueillant Juliette inanimée dans ses bras… Le tableau aurait pu aisément verser dans le grotesque et le caricatural, mais pourtant, il n’en est rien. Le chant superbement maîtrisé et mordoré de Roberto Alagna demeure un instant mémorable Comme touchée par la grâce, Nathalie Manfrino s’épanouit et insuffle au crescendo final un élan profondément touchant, tout simplement humain.
L’Orchestre National de Belgique, placé sous la direction du maestro catalan David Giménez Carrera, offre une conduite attentive, en totale symbiose avec ses musiciens et les deux solistes. Il parvient à créer un parfait équilibre avec l’ensemble de l’orchestre, restituant notamment une somptueuse brillance aux instruments à cordes.
1 Cf. le compte-rendu d’Antoine Brunetto sur le concert de Nathalie Manfrino et de Saimir Pirgu, Salle Pleyel, à Paris, le 8 avril 2010.