Le concert prévu sous la direction de John Eliot Gardiner le 1er juin ayant été annulé, c’était bien en ouverture du Festival de Saint-Denis que Roberto Alagna se produisait, le 10 juin, sous l’orgue monumental de la Basilique. Et pourtant, cette soirée-là aussi a bien failli être perturbée : à peine estompés les applaudissements saluant le premier air (« Pieta, signore » de Stradella, entonné avec une ferveur jetant aux orties les préoccupations philologiques), la lumière se coupe, plongeant les musiciens dans le noir. Roberto Alagna répète « Pieta, signore ! » en levant les yeux vers les vitraux, les élus locaux réunis pour l’occasion ricanent et taquinent Mathieu Hanotin, maire de Saint-Denis : tu aurais pu vérifier le matériel… Après plusieurs minutes d’interruption, la représentation reprend dans une semi-obscurité qui, toute difficile qu’elle pût être pour les musiciens, ne fut pas indifférente au climat de mystère nimbant un superbe « Panis Angelicus ». La lumière revient, comme par magie, au moment du « Repos de la Sainte-Famille » issu de L’Enfance du Christ de Berlioz ; heureux hasard, tant Roberto Alagna, au diapason de l’accompagnement aérien de David Gimenez à la tête de l’Orchestre National d’Ile-de-France, éclaire cette pièce par la rondeur inaltérée de son timbre et la netteté, toujours proverbiale, de l’élocution. Après un entr’acte de Rosamunde qui file sans fioritures, l’Ave Maria de Schubert est interprété avec une entièreté, une sobriété et un engagement dénués d’arrière-pensée qui abolissent, pour le meilleur, la frontière entre profane et religieux : au fond, cet Ave Maria est un avant tout un Lied. Et chanté avec tant de force, « Ô souverain, ô juge, ô père », extrait du Cid de Massenet, s’écouterait presque comme une cantate.
De même, Lohengrin n’annonce-t-il pas Parsifal, cette œuvre où la différence entre opéra et messe s’estompe ? On attendait avec impatience Roberto Alagna dans ces extraits, après une prise de rôle avortée à Bayreuth, assurée à Berlin. Après un prélude qui s’accroche d’abord aux barres de mesure, avant de s’épanouir plus librement, le ténor français confirme les affinités de son timbre et de son format avec les exigences du plus lyrique des héros wagnériens. La tessiture ne pose aucun problème, pas plus que l’écriture, dont les subtiles progressions harmoniques flattent un art du legato qu’Alagna maîtrise souverainement. Reste une prononciation pour laquelle Alagna ne peut rivaliser avec d’illustres locuteurs allemands : la clarté des voyelles, la relative discrétion des consonnes rendent la langue audible mais exotique – cela ne gâche pas un « In fernem Land » de très belle facture, qui déclenche des ovations bien peu catholiques : en bis, ni l’Ave Maria de Gounod ni un étrange « Notre Père » a cappella, composition du chanteur, ne suffiront à les calmer !