Cette production de L’inganno felice reprend du service à Bad Wildbad, où sauf erreur elle est à l’affiche du Festival Rossini pour la troisième fois depuis vingt ans. Nous en avions rendu compte en juillet 2015 et dit du bien du spectacle. Le metteur en scène, Jochen Schönleber, l’a-t-il revu et modifié çà et là pour coller davantage à l’air du temps depuis l’avènement du mouvement #metoo ? Quand deux femmes et un homme représentent les mineurs, cela signifie-t-il qu’il y a pénurie de figurants masculins ou cela souligne-t-il la surexploitation du « deuxième sexe »? Quand la garde rapprochée du duc est composée d’un homme et d’une femme, s’agit-il de proposer un exemple de parité ? Et quand la victime, la femme fidèle injustement condamnée, se juche sur le capot de la jeep et jette aux quatre vents les documents dont Batone est porteur, le trait n’est-il pas forcé, au risque de déformer le personnage ? Sans doute, en souhaitant faire reconnaître qu’elle a été maltraitée injustement Isabella sert-elle la cause des autres femmes, mais à aucun moment dans l’œuvre elle ne prétend porter leur parole ou leur combat. Cela dit, la proposition est lisible et, à en juger par les réactions, satisfait largement les attentes du public.
La figuration est cette année réduite à un strict minimum mais l’intérêt de cette reprise était d’abord pour nous de confronter le chef d’orchestre Antonino Fogliani à lui-même. Las, on apprend que des ennuis de santé l’empêchent d’être présent après la première, et c’est une femme, qui devait diriger la dernière, qui sera au pupitre ce soir. Claudia Patanè, qui préfère qu’on l’appelle « chef » porte un nom rendu glorieux par deux hommes, Franco et son fils Giuseppe, mais elle assure qu’il s’agit d’une simple homonymie. En tout cas, si l’hérédité n’a rien à y voir, son talent est une conquête toute personnelle et on ne doute pas que ce chef fera son chemin : elle n’a rien à envier à ses collègues masculins quant à l’énergie, et elle a manifestement une connaissance très fine des dynamiques rossiniennes. Peut-être aurait-on pu souhaiter par instants un son moins opulent, mais il faut bien marquer les accents dramatiques et cela dépend aussi des interprètes.
A l’exception de Francesco Bossi, qui est présent pour la troisième année après avoir remporté le prix du public et confirme sa qualité vocale en incarnant le bourru Tarabotto, le chef des mineurs sensible au malheur d’autrui qui a recueilli l’infortunée échouée sur une plage et la protège depuis dix ans en tout bien tout honneur, et de Edoardo Di Cecco dans le rôle de l’intrigant libidineux Ormondo, les autres interprètes sont les élèves de l’Académie du Festival. Ces voix de basse sont remarquables, tant celles des susnommés que celle d’ Eugenio Maria Degiacomi, élève de l’Académie qui campe Batone, le préposé aux mauvais coups, lui-même menacé par le cynique Ormondo. Tous trois ont une projection vigoureuse, une bonne extension, une agilité satisfaisante et le souci de nuancer autant que possible.
La désappointement léger naît plutôt des attentes : on ne connaît généralement pas les élèves de l’Académie, mais on se souvient qu’Olga Peretyatko, Maxim Mironov ou Laurence Brownlee ont chanté à Bad Wildbad, et on se dit que le miracle pourrait se reproduire. Le duc influençable et toujours amoureux est échu à Paolo Mascari, qui fait sans doute de son mieux mais qui semble impressionnable au point que la voix sonne d’abord étroite, haut placée et parfois nasillarde, avant de s’ouvrir davantage et de libérer une extension et une agilité satisfaisantes. Quant à Xiangjie Liu, dans le rôle d’Isabelle, on ne peut nier qu’elle s’investit pour incarner cette femme douloureuse et, ici, franchement révoltée par la présence de ses bourreaux, mais si la projection et l’extension sont convenables ni le timbre ni l’agilité ne donnent le frisson espéré.
Au final donc, l’essentiel reste la découverte d’un chef probablement promis à une grande carrière pour de bonnes raisons, et la confirmation de la qualité des musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Cracovie, dont le flûtiste© Aleksander Olszewski est le brillant représentant sur scène, tandis qu’Andrès Jesùs Gallucci assure le continuo au clavicorde avec une volubilité discrète et élégante.