Dans une région aussi riche que la Bourgogne, quitter Vézelay pour découvrir le patrimoine rural alentour est réjouissant. Le cycle de la Passion, peint à fresque au XVIe siècle dans l’église Saint-Germain d’Auxerre à Vault-de-Lugny offre une pertinente résonance à l’oratorio de jeunesse d’Alessandro Scarlatti, qui nous raconte la « conversion » de Marie-Madeleine. Trois protagonistes éclairent Il Trionfo della Grazia : La Jeunesse et la Pénitence, personnifiées, accompagnent la sainte dans son cheminement spirituel.
Respectueux du style et de l’esprit de l’œuvre, l’ensemble Céladon ne démérite pas même s’il propose une interprétation un peu sage d’une œuvre qui parle pourtant d’une révolution intérieure. C’est le court intermède qui sert de transition avant « Spirti beati » qui donne le mieux à entendre ce dont les musiciens sont capables quand ils osent. Ici, la proposition est intime, ramassée, il ne faudrait pas comparer mais le spectateur a encore dans l’oreille la munificence sensuelle proposée la veille au soir par le Poème Harmonique et son Monteverdi Testamento que nous avions déjà eu le bonheur d’applaudir à Cracovie en passé.
La Maddalena de Marie-Frédérique Girod partage avec la Jeunesse de Lise Viricel une même fraîcheur du timbre, un même sourire de la voix. D’ailleurs, leur bref duo « per far Bella, la mia pace » est une réussite. En contrepoint, Paulin Bündgen – qui dirige l’ensemble -, campe la Pénitence de sa voix claire de haute-contre à l’émission naturelle et aux beaux sons droits qui s’épanouissent dès son premier air « il piacere nel théâtro del mondo » ou encore avec « Sospenda le lacrime il ciglio ».
Si le chanteur n’est pas démonstratif, on a plaisir à le voir plus impliqué, soucieux de convaincre, comme dans « No, che questi non sono lumi » dans la seconde partie du concert.
©RMV-V.Arbelet
Les outils rhétoriques déployés par le cardinal Pamphili, librettiste de l’œuvre, se révèlent pourtant remarquablement percutants comme les « ma poi ?/Et après ? » qui rythment les interventions de la Pénitence face aux aspirations de Divertissement de la jeune Marie-Madeleine. Ceux-ci sont d’autant moins opérants que les protagonistes sortent fréquemment de scène plutôt que d’interagir directement. Voilà qui nuit forcément à la crédibilité scénique et donc émotionnelle de la représentation.
Marie-Frédérique Girod n’en n’est pas moins touchante et très bien accompagnée par le continuo qui épouse les errements de sa pensée – dans l’air « Agitata » ou encore le récitatif « Asprà è la via » dont le dépouillement exprime déjà l’aspiration à se débarrasser du superflu. Tout au long de la représentation, elle déploie de jolies couleurs bien timbrées, des sons filés expressifs en dépit d’une justesse parfois limite. La mélodie prenante de « sento all’alma nuova vita » lui va également à ravir.
Lise Viricel, pour sa part, s’enorgueillit d’une belle force de conviction avec un sens affuté des nuances dans « Oltraggia la bellezza ». Impeccable vocaliste, elle brille dans « Nell’etàdestinata ».
Un souffle de passion, de démesure, suffirait à faire triompher la grâce de cette proposition.