Après une très belle première journée couronnée par deux bijoux de Charpentier superbes et trop rarement donnés sur le miroir d’eau, le festival « Dans les jardins de William Christie » à Thiré, ravissant petit village vendéen, se poursuit sous un soleil ardent. Difficile de choisir, en ce début d’après-midi, entre l’atelier chant (déjà suivi la veille), la promenade dansée ou une énième visite des lieux avec l’un des jardiniers attitrés ou des férus de l’histoire des jardins (et de celui de William Christie en particulier). Nous optons pour l’un des jardiniers, incollable et passionnant. Excellente idée, puisque cette mise en jambes, en harmonie sonore (on ne se lasse pas des pigeons paons) et en odeurs délicates et raffinées (roses anciennes et fleurs aux senteurs caramélisées, entre autres) est particulièrement propice à se préparer pour les promenades musicales qui suivent.

On commence dans la pinède avec un programme articulé autour de la compositrice Anna Bon qui aimait se faire appeler « di Venezia », cycle présenté en français et en anglais par la claveciniste Marie Van Rhijn. La chanteuse et compositrice vénitienne avait été acceptée dans la célèbre institution de la Carità de Venise, où avait notamment officié Vivaldi. Elle était entrée dans l’institution destinée aux orphelines à l’âge de quatre ans, bien qu’elle ait des parents, eux-mêmes liés au monde de la musique. L’œuvre de la compositrice, devenue « virtuose en musique de chambre » à Bayreuth, est tout à fait digne d’être redécouvert. Une fois mariée, on perd sa trace… Autre promenade charmante, celle du petit bois d’Henry-Claude consacré à Héro et Léandre, où la mezzo Alice Gregorio nous propose un extrait d’une cantate de Clérambault sur les amours du couple racontés par Ovide. La jeune chanteuse, très élégante dans sa robe verte à la fois bucolique et recherchée témoigne d’une très grande autorité à la fois scénique et musicale. La diction est précise, le timbre pur. On apprécie l’impression de grande facilité et de naturel qui se dégage de la prestation conjointe de la mezzo et du trio instrumentiste qui l’accompagne. Toujours au même endroit, quelques minutes plus tard, c’est a cappella que la soprano Leïla Zlassi et ses compères les ténors Michel Loughlin Smith et Jean-Yves Ravoux, et la basse Sergio Ladu nous interprètent quelques chansons d’amour tout à fait délicieuses. En vêtements décontractés, le quatuor porte une déclinaison de couleurs en phase avec la petite clairière baignée de soleil jouant à travers les arbres. La beauté agreste de leurs atours se marie de façon idyllique avec les airs aux sous-entendus charmants qu’ils savent nous faire goûter merveilleusement. Le public est sous le charme, d’autant que la soprano n’hésite pas à compter fleurette ou à minauder au milieu des spectateurs.

Après le dîner, c’est le transfert, quelques kilomètres plus loin, vers la charmante église de Saint-Juire-Champgillon, puisque l’église de Thiré est encore en travaux. Paul Agnew, co-directeur du festival, montre une fois de plus ses talents de conteur et de pédagogue. Il parvient en quelques minutes à passionner son auditoire avec clarté et l’humour so british qui le caractérisent. Ce soir, il va diriger les artistes des Arts florissants, musiciens et chanteurs, dans une série de motets d’un contemporain et ami de Schütz, Johann Hermann Schein. Le compositeur allemand a d’ailleurs occupé des fonctions identiques à celle de Bach (Thomaskantor à l’église Saint-Thomas de Leipzig), mais un siècle plus tôt. Il semblerait qu’il ait passé toute sa vie en Allemagne, contrairement à Schütz qui avait complété sa formation à Venise. Sans doute l’expérience de ce dernier a-t-elle influencé le travail de Schein, qui compose en 1623 le recueil de motets Israelis Brünnlein « à la manière d’un madrigal italien », comme il l’écrit lui-même dans sa préface, sur un texte allemand. Comme le précise Paul Agnew, il s’agit là de motets luthériens illuminés du soleil de Venise dont il espère qu’un peu de ce soleil illuminera le concert. De fait, les onze chanteurs accompagnés à l’orgue et au violoncelle, sous la direction de Paul Agnew, donc, nous offrent une prestation remarquable. L’émotion qui s’en dégage colle au texte, tour à tour éclatant de joie ou désespérément sombre et douloureux, puis confiant dans l’amour de Dieu. On se laisse captiver par la virtuosité, la technique, la beauté de l’ensemble en totale fusion. Au terme du concert, le public exulte et c’est un tonnerre d’applaudissements qui salue ces pièces rares données dans un style pur, lisse, voisin de la perfection.
La soirée se termine avec la traditionnelle « Méditation à l’aube de la nuit », conçue comme un moment privilégié qui permet de se préparer au sommeil, avec pour consigne de ne pas applaudir au terme du concert, afin de mieux apprécier les derniers accords et les laisser infuser en nous. En nous présentant les jeunes instrumentalistes de la Juilliard School fraîchement arrivés à Thiré, il nous rappelle que pour ces New-yorkais interprètes de musique baroque qui doit leur sembler, dans le bunker urbain qui abrite la prestigieuse école, bien ancienne, le contraste de jouer cette musique dans des bâtiments médiévaux doit être un choc salutaire : la musique baroque, en contraste, n’en devient que plus moderne. C’est une expérience qui transforme les jeunes artistes et les marque à jamais. Las, le concert de ce soir est loin d’être parfait et l’on regrette de ne pas pouvoir rester à Thiré pour l’ensemble de la durée du festival (jusqu’au dimanche suivant) pour assister à d’autres concerts et constater les progrès que ces jeunes talents n’auront pas manqués de faire, sans doute en harmonie quasi aussi parfaite que celle que l’on a entendue au cours de l’ensemble de motets qui précédait. Il est déjà temps de quitter ces lieux et ce festival décidément enchanteur avec, comme chaque année, une envie : y revenir…