Ce n’est pas tous les jours que le directeur musical décennal d’une institution – reconduit pour 4 années supplémentaires – fête son anniversaire le soir même où il dirige la 400e représentation d’une production tout aussi institutionnelle. Donald Runnicles s’est offert cette Tosca d’anniversaire et y aura invité nombre de ses amis – Aribert Reimann était dans la salle. Seule l’absence de Nina Stemme, grippée le matin même, était à déplorer. La soprano suédoise, pourtant instigatrice de la petite surprise – une chanson fort à propos du groupe non moins suédois Abba : « Thank you for the music » – jouée et chantée par l’orchestre et des membres de la troupe après les saluts. Elle laisse sa place à Karine Babajanyan. Prévenue à midi le jour même, la soprano arménienne relève le défi alors qu’elle était sur scène la veille dans le même rôle à Leipzig et n’a découvert la production de Boleslaw Barlog que quelques heures avant d’entrer en scène. Une performance solide, musicale, un rien surjouée, où la puissance fait défaut par moment. L’interprète sauve la soirée d’anniversaire et s’offre un slow avec le chef d’orchestre, galant homme, qui vient de lui offrir son bouquet, pendant que Cavaradossi et Spoletta entament le même pas de deux après s’être menacés de mort une heure auparavant. La situation ne manque pas de sel, tout comme l’interprétation des deux chanteurs. Fabio Sartori fait preuve une fois encore d’une musicalité certaine avec de belles nuances, des fins de phrases ornées de diminuendi, un souffle inépuisable et un volume décoiffant dans les répliques qui s’y prêtent. Son jeu, exempt de tout cabotinage, concourt à un portrait à l’héroïsme sobre du cavalier voltairien. Andrew Dickinson (Spoletta) caractérise toute la veulerie du personnage avec son timbre mat, nasalisé quand il le faut. Padraic Rowan (sacristain) s’offre un premier acte aussi désopilant qu’il est exécuté avec naturel : le boitillement, le chiffon pour épousseter les marbres et les tics de l’homme de foi rejoignent une saine voix colorée par le don comique de l’interprète. On retrouve les mêmes qualités chez l’Angelotti sonore de Samuel Dale Johnson et l’autoritaire Sciarrone chez Patrick Guetti. Ambrogio Maestri vient parachever cette distribution de très bon niveau. Si le monde entier l’admire chez Verdi en bouffon shakespearien, c’est oublier trop vite que son métier lui autorise les plus beaux portraits de méchants : le souffle, le volume et une science des mots remarquable n’y sont pas pour rien. Devant un Scarpia aussi noir, dominant dans le « Te deum » on rêve de l’entendre en Iago. Enfin, et c’est toute l’intelligence de l’acteur formé à Falstaff, il ne transforme pas le Baron en caricature de sadique mais dépeint un homme torturé entre un amour peut-être sincère pour la diva, des désirs coupables et une foi vécue mais sans cesse bafouée.
© Bettina Stöß
La production de Boleslaw Barlog fête, elle, son cinquantenaire (1969). Naphtaline, penserez-vous ? Pour qu’une production survive ainsi dans une maison où l’on ne lésine pas sur les relectures, il faut bien qu’elle ait quelques avantages. Bien entendu, son classicisme sobre la transforme presque en musée vivant des goûts de l’après-guerre. Mais à bien regarder la reproduction naturaliste de la Chiesa Sant’Andrea, on se surprend à revoir au détail près celle proposée tout récemment par David McVicar au Met. Surtout, et malgré les années, elle conserve des indications simples pour les acteurs mais particulièrement pertinentes : Tosca qui commence le « Vissi d’arte » devant son reflet dans un mauvais miroir, marquant ce moment d’introspection et de prière, hors de la temporalité et du cours implacable de l’acte II ; les deux amants tournant le dos au public pour lancer leur chant de victoire a cappella aux toits de Rome au troisième acte. Un acte parmi les plus beaux qu’il nous ait été donné de voir : la masse crénelée et l’ange du Castel à cour, une vaste terrasse sur le reste du plateau qui laisse apparaître les silhouettes de Saint-Pierre, des pins et des clochers en arrière-plan, une pénombre qui s’éclaire jusqu’au plongeon de Tosca dans la pâleur rosée des aubes de la Ville Eternelle.
Homme du jour, Donald Runnicles l’est certainement. Lente et ciselée, sa lecture de la partition offre de très beaux moments et une tension qui peu de fois se relâche. On lui reprochera un peu, malgré ce jour anniversaire, de n’en faire qu’à sa tête et de refuser de presser le pas. Le trio de chanteurs s’en trouve déstabilisé plus d’une fois : départs anticipés, souffle court. Cela ne porte pas plus à conséquence mais surprend chez un chef habitué à cette gymnastique des reprises sans répétition et des changements de distribution de dernière minute. A tout seigneur tout honneur, on louera sa modestie d’orfèvre discret pendant la petite cérémonie d’anniversaire qui clôt dans un kitsch joyeux cette soirée de répertoire un peu spéciale.