Année faste pour Ildebrando Pizzetti puisque, au moment ou Decca publie en DVD l’un de ses derniers ouvrages, Assassinio nella Catedrale (1958), le Festival de Montpellier propose en version de concert, son premier opéra, Fedra, fruit d’une collaboration avec Gabriele d’Annunzio, initiée dix ans plus tôt avec la musique de scène de La Nave, tragédie qui remporta un vif succès lors de sa création.
Le livret, un rien grandiloquent, est extrêmement efficace. Si la trame est identique à celles des pièces d’Euripide et de Racine, d’Annunzio y introduit quelques variantes personnelles qui en font son originalité. L’action se situe à Trézène. Au premier acte, on apprend la mort de Teseo que pleurent sa mère Etra et les sept suppliantes. Fedra qui aime en secret son beau-fils Ippolito se réjouit mais un messager vient annoncer la victoire de Teseo et son retour imminent. Il amène avec lui une esclave thébaine, butin destiné à Ippolito. Fedra, ivre de jalousie, la fait chercher par sa nourrice Gorgo et l’immole. Au deux, paraît un marchand phénicien qui donne un poison à Fedra. Plus tard, celle-ci s’approche d’Ippolito endormi et dépose un baiser sur ses lèvres. Horrifié, le jeune homme s’enfuit. Teseo survient. Fedra accuse Ippolito de l’avoir violée pour venger l’esclave thébaine. Alors, Teseo implore Poséidon de provoquer la mort de son fils. Au dernier acte Eurito vient raconter la fin tragique d’Ipolito. Fedra, qui a bu le poison, avoue, avant de mourir, son crime à Teseo et Etra épouvantés.
Le thème, on le voit, renoue avec la grande tradition de l’opéra classique. En effet, Pizzetti appartenait à cette génération de compositeurs italiens nés dans les années 1880 qui ont tenté de redonner à leur musique nationale son lustre d’antan en tournant résolument le dos au vérisme, au post-romantisme et même au wagnérisme, sans pour autant échapper totalement à son influence. Ainsi, la partition de Fedra, lorgne du côté de Monteverdi et de l’opera seria du dix-huitième siècle, comme en témoignent les longues interventions des personnages, dont le style déclamatoire fait songer aussi à Gluck, cependant que la luxuriance de l’orchestration fait écho à celle du Strauss d’Elektra, d’autant qu’il s’agit ici aussi d’une héroïne issue de la mythologie grecque en proie aux affres d’une passion qui la dépasse.
Enrique Mazzola dirige avec conviction cette œuvre complexe dont il souligne le lyrisme exacerbé et met en valeur les passages dramatiques les plus forts, tels l’immolation de l’esclave thébaine au un, le duo entre Fedra et Ippolito au deux, qui est précédé d’un interlude orchestral aux accents debussystes et le poignant monologue final de Fedra.
La distribution, d’un très haut niveau, est dominée par l’impressionnante Fedra de Hasmik Papian. Annoncée souffrante, la cantatrice arménienne s’est montrée prudente en début de soirée où le timbre a paru sourd mais la voix s’est rapidement chauffée pour atteindre sa plénitude dans le duo avec Ippolito, point culminant de l’œuvre. Le talent de la tragédienne, qui s’est surpassée dans sa dernière scène, a fait le reste. A ses côtés, le ténor Gustavo Porta campait avec conviction un Ippolito de grande stature. Le timbre est séduisant, la voix, fort bien projetée et la diction exemplaire.
Le rôle de la nourrice met en valeur le beau mezzo de Mihaela Binder-Ungureanu aux superbes accents dramatiques. En revanche, la voix de Christine Knorren a paru engorgée au premier acte mais elle s’est libérée par la suite, en offrant un chant funèbre bouleversant au début du trois. Enfin, l’esclave thébaine bénéficiait du timbre lumineux de la soprano Uran Urtnasan-Cozzoli (1), qui a campé ce personnage émouvant avec toute la fragilité et la pudeur requise. Les autres rôles masculins ont été dans l’ensemble bien tenus, même si l’on aurait souhaité un Teseo moins en retrait que ChangHan Lim et davantage de conviction de la part de Martin Tzonev dans le récit de la mort d’Ippolito.
Le Chœur de le Radio Lettone s’est montré excellent comme à l’accoutumée notamment dans sa scène de déploration a capella au début du trois, un des sommets de la partition.
Le Festival de Montpellier peut s’enorgueillir une nouvelle fois d’avoir fait redécouvrir un ouvrage dont l’intérêt est loin d’être négligeable. Une parution en CD est annoncée qui comblera la discographie on ne peut plus indigente de cet opéra (2).
Christian Peter
(1) On a pu l’entendre, en janvier 2008, chanter la Reine de la nuit dans l’émission d’Ėve Ruggeri, Musiques au cœur.
(2) Il existe un enregistrement live de Fedra dans la collection Opera d’Oro avec une distribution honnête sans plus, sous la baguette de Nino Sanzogno. En revanche, l’interprétation de Régine Crespin à la Scala en 1959 semble actuellement introuvable.