Après La Nonne Sanglante et Mârouf, la saison dernière à l’Opéra Comique, Vannina Santoni franchit un nouveau cap à compter du 28 novembre avec La traviata dirigée par Jérémie Rohrer au Théâtre des Champs-Elysées.
Comment abordez-vous cette prise de rôle ?
La première fois que j’ai concrètement commencé à préparer La Traviata, c’était pour son audition au Théâtre des Champs-Elysées, il y a déjà 3 ans. Je dois dire que c’est un rôle qui était dans mon imaginaire depuis quelques années. On dit souvent que Violetta est une page très importante dans la carrière d’une soprano lyrique et je sentais progressivement que j’allais devoir la toucher prochainement. Pendant mes études et mes toutes premières années de carrière, je pensais ne pas avoir la légitimité pour ingurgiter et défendre ce rôle. Mais le personnage de Violetta est dans mon esprit depuis une quinzaine d’années, depuis que j’ai lu La Dame aux Camélias. Et pour l’aborder précisément, j’ai, justement, commencé par m’imprégner de ce personnage historique.
Vous n’aviez jamais chanté des airs de Violetta, dans le cadre d’un concours ou d’un prix ?
Jamais ! J’ai vraiment commencé à l’aborder très tardivement car je ne souhaitais pas faire n’importe quoi avec cette Violetta. Je pense, par ailleurs, que c’est typiquement le genre de rôle qu’on a vraiment besoin de mûrir.
Mûrir vocalement ?
Pas seulement. Je pense que la voix et l’esprit vont de pair et je voulais être prête mentalement.
Comment êtes-vous venue à faire partie de cette distribution ?
Michel Franck a pensé à moi en m’écoutant sur une autre production. Il m’a demandé de passer l’audition et je suis venue toute vierge que j’étais de Traviata. Visiblement cela lui a plu, et par ailleurs, Deborah Warner souhaitait quelqu’un qui n’ait jamais chanté le rôle.
Pour quelles raisons ?
Parce qu’elle avait vraiment envie de réaliser un travail précis, méticuleux, qui lui permette de modeler une toute nouvelle Violetta. Elle ne souhaitait pas que la chanteuse ait d’a priori sur le rôle et n’envisageait pas de faire face à une personne déjà bien marquée et imprégnée de l’œuvre ou d’une interprétation spécifique, ce qui est souvent le cas dans le grand répertoire. Au-delà de ça, je pense qu’elle souhaitait aussi qu’on se découvre à travers les rôles complexes qui caractérisent Traviata. Je n’irai pas jusqu’à vous dire qu’elle nous a proposé une approche thérapeutique mais il y a quand même un axe psychologique très important dans son travail.
Aviez-vous des Violetta de référence pour appréhender ce rôle ?
Oui, surtout qu’on n’échappe pas à l’écoute d’une Traviata dans son parcours de chanteuse. J’ai un faible pour Anna Netrebko. Elle apporte une fraicheur particulière dans le sens où elle arrive à trouver une couleur différente dans chaque attention. En revanche, elle prend beaucoup de liberté, donc les puristes peuvent ne pas apprécier. Mais personnellement, j’aime vraiment la dramaturgie qu’elle apporte à ce personnage.
Vous ne faites pas références aux grandes du bel canto…
Si bien sûr, il y a Renata Scotto ! D’une façon générale, il y a une rigueur de l’exécution de la partition qui est incroyable chez les chanteurs de cette génération. Aujourd’hui, on se donne beaucoup plus de liberté dans l’exécution des ouvrages. Or Verdi, ou tout autre compositeur italien, demande de respecter particulièrement le rythme, le phrasé, la syntaxe, la respiration, etc.
Jérémie Rhorer se laisse-t-il cette liberté qu’ont, d’après-vous, certains chefs ?
Non absolument pas ! Jérémie souhaite vraiment respecter la partition dans son origine. Il ne veut pas faire de coupure, ce qui est peu commun. Habituellement, les chefs prennent le parti pris dans le premier air de ne pas faire les deux couplets ou encore, la double cabalette de l’air d’Alfredo « Lunge da lei… Oh mio rimorso ».
Et d’ailleurs, cette Traviata se fait au diapason verdien.
Oui typiquement, il a choisi de faire Traviata en 432Hz ! Personnellement je le sens beaucoup, et surtout on remarque que Verdi n’a pas écrit pour un diapason en 440Hz. C’est un diapason qui engendre aujourd’hui davantage de difficultés d’autant que Violetta est un rôle exigeant techniquement. Comme pour Juliette, Manon, etc., dans les faits, il faudrait deux sopranos pour l’interpréter : une soprano plus légère pour la première partie et une soprano plus lyrique sur la fin. Violetta demande à la fois une ligne vocale pure et une lyrique sur toute la longueur. Il faut aller chercher dans toutes les palettes de la voix, que cela soit la couleur, l’agilité, le lyrisme.
Pensez-vous que faire La Traviata ouvre des portes techniquement et scéniquement ?
Oui mais ce n’est pas spécialement spécifique à La Traviata. Le fait de travailler ce rôle vériste et belcantiste implique d’aborder nécessairement, par la suite, des rôles plus lyriques comme certains Puccini.
Parlez nous de votre travail avec Deborah Warner !
J’adore ! Elle propose un véritable travail de fond, comme on le ferait au théâtre. Cela ne nous arrive souvent de parler pendant une demi-heure avant de commencer à chanter, et d’analyser tous les états d’esprit des personnages. Ce n’est pas du tout classique comme approche de travail dans l’opéra. Au théâtre, on retrouve vraiment ces méthodes d’apprentissage. A l’opéra, souvent, on se contente uniquement de la musique. Ici on peut passer trois heures sur trois mesures parce que Deborah aime nous montrer que trois mots doivent éveiller quelque chose en nous. Sur mon premier air, on a passé énormément de temps sur les deux « E strano ! ». Pourquoi ? Qu’est-ce qui est étrange ? Pourquoi je le fais deux fois ? Quelles sont réellement les différences ? Par qui et/ou par quoi sont-elles impliquées ? C’est la première fois que je suis aussi dirigée par un metteur en scène. Avec elle, il y a une vraie direction d’acteur qui est super précieuse dans l’apprentissage du rôle et du métier de façon générale.
Sa lecture artistique de Traviata vous plait–elle ?
Elle me plait et elle est surtout totalement vraie ! Son travail se place au plus près de la réalité humaine. Deborah se fie constamment au texte, au livret, etc. L’action se déroule à partir de 1947, au moment où les recherches en matière de système d’imagerie médicale ont évolué et permettent de détecter plus facilement la tuberculose. C’est un élément très important car Deborah joue énormément sur l’impact de la maladie et celle-ci est constamment présente sur scène : il y a des lits d’hôpitaux tout le long de l’opéra ! Après, comme tous ces types de mise en scène, cela pourra déranger. Mais l’approche psychique de l’ouvrage est vraiment très intéressante. Cette grande tristesse intérieure qu’a Violetta suite à sa tuberculose, à la solitude qu’elle a dû vaincre pendant son année de convalescence, est une thématique que Deborah essaie de mettre en lumière car elle fait écho à de nombreuses problématiques que présente notre société actuelle.
Quelle période de votre apprentissage du chant a-t-elle été déterminante ?
J’ai adoré mes années à la maîtrise de Radio France parce qu’elles m’ont appris à aimer la musique, à aimer son apprentissage, son travail et à appréhender la rigueur qu’elle demande. J’ai aimé écouter, travailler, apprendre et surtout découvrir, parce qu’on était amené à faire beaucoup de créations. Et puis on a travaillé avec des artistes d’exception. J’ai un très grand souvenir avec Georges Prêtre dans les Litanies à la Vierge Noire de Poulenc par exemple !
Vous étiez donc destinée à vous lancer dans le lyrique.
Non ! Et d’ailleurs je n’ai pas toujours voulu être chanteuse. A l’origine, je voulais être vétérinaire, plus spécifiquement pour les chevaux. J’ai beaucoup hésité avant de me lancer dans le chant. J’étais partie sur la voie professionnelle du médico-social mais au moment du choix, je montais encore quelques projets lyriques qui me tenaient à cœur. J’ai passé des auditions qui étaient, pour moi, les dernières. Finalement, j’ai eu trois rôles au Capitole. Ces expériences m’en ont, de fait, offertes d’autres.
Avez-vous des projets en matière d’opéra ?
Sur le moyen terme, j’aimerais aborder des rôles comme Mimi, Desdémone, etc.
Beaucoup de français, d’italien … pas d’allemand ?
Si j’adorerais ! Je rêverais pouvoir faire un Strauss !
Et un Wagner ?
Aussi ! Lohengrin par exemple, mais cela sera dans une dizaine d’années. Les Wagner tardifs ne seront jamais pour moi et je ne serai jamais une dramatique. Je ne tiens pas à faire des choses trop lourdes, vieillir ma voix ou la truquer pour le plaisir. J’ai finalement une grande affinité avec le répertoire italien et le répertoire allemand n’est pas celui qui me vient à l’esprit ou qui se propose en premier.
Pourtant vous allez interpréter une Pamina à l’Opéra National de Paris …
En toute honnêteté, je n’aurais jamais pensé qu’on puisse avoir envie de m’entendre dans Pamina, d’autant qu’après Violetta, Manon, etc. ce n’est probablement pas la suite logique. Cela étant, on peut se tromper et surprendre !
Le répertoire baroque ou le lied et la mélodie n’occupent aucune place dans votre parcours. Est-ce un choix ?
Je n’ai jamais eu de véritable proposition, mais j’aimerais bien faire une Passion. Je trouve que chanter du Bach permet de revenir aux sources du chant et d’appréhender le lyrique avec plus de simplicité. Le lied et la mélodie, c’est encore un tout autre exercice.
Et on ne fait peut-être pas carrière avec ce répertoire en France …
Si c’est possible ! D’ailleurs, j’ai fait un Instant Lyrique à l’Eléphant Paname que j’ai beaucoup apprécié. Ce répertoire demande un échange particulier avec le public, et d’une manière générale, il nécessite un temps de préparation important avec le pianiste pour arriver à un résultat méticuleux. Il y a un million de choses à faire par mot, ce que nous devrions toujours faire dans l’opéra. Finalement, l’exigence, que demande le travail du lied ou de la mélodie, est super enrichissante dans le cadre d’une prise de rôle par la suite.
Avez-vous passé des concours ?
Je ne suis absolument pas faite pour ça… Au moment où j’aurais pu être prête pour des « Operalia », des « Reine Elisabeth », ma carrière était déjà lancée et je ne souhaitais pas m’embarquer dans ce système parce que je n’avais pas du tout l’esprit de compétition que cela demande. C’est peut-être dommage parce que je pense qu’aujourd’hui, un chanteur est choisi par les médias, les réseaux de concours, etc. car la société, d’une manière générale a, à tout prix, besoin d’une star, quelqu’un qui sorte du lot. Ce n’est pas mon cas et d’ailleurs, pendant très longtemps, je ne me suis pas sentie soutenue. Je ne dis pas que ce n’est pas justifié mais quoiqu’il en soit, on n’a jamais voulu faire de moi une « star ».
Vous faites pourtant Violetta au Théâtre des Champs-Elysées.
Justement, je pense que ne pas avoir été portée aux nues et mise sur un piédestal m’a beaucoup servi. J’ai dû faire mes armes toute seule, j’ai dû croire en moi alors que les critiques au début n’étaient pas forcément bienveillantes et c’est ce qui justifie, en partie, mon parcours et ma situation actuelle. Chacun a son chemin et on doit se construire à son rythme. Je pense qu’il faut véritablement accepter là où on est et au moment où on l’est. Il faut aussi accepter que les personnes ne nous apprécient pas forcément. Donc je me suis forgée sur la base de cette observation, j’ai pris ce dont j’avais besoin et j’ai jeté à la poubelle tout le reste. Tout ce qui pouvait me détruire, que cela soit la critique, la non-reconnaissance, je l’ai mis de côté, et je me suis rappelée que je faisais ce métier pour les gens, pour le public, et pour moi. Il faut aimer ce que l’on fait, même si ce n’est pas facile. On en connaît des chanteurs qui ont été brisés par des non-dit… et c’est vraiment dommage ! Ce qui fait que je suis là aujourd’hui, c’est que justement, je n’ai jamais voulu être autre chose que ce que je suis et j’ai toujours voulu rester moi-même ! Quand on me demande si j’ai écouté telle ou telle version, cela m’agace. Oui je les ai écoutées, mais pour moi l’important c’est d’apporter ma lecture et de proposer ma vision personnelle du rôle. C’est beaucoup plus apaisant d’envisager le métier de chanteur de cette façon : j’ai envie de vous apporter ceci, maintenant, vous le prenez ou vous ne le prenez pas…
Quels sont vos projets en cours ?
J’en ai plusieurs ! Entre autre le Soulier de Satin à l’Opéra National de Paris où je ferai Dona Musica, une Antonia à l’Opéra de Lausanne, et une Tatiana au Théâtre des Champs-Élysées.
Cette maison vous est chère !
Oui je l’adore ! L’équipe est formidable. On sent une véritable famille, c’est la maison d’opéra par excellence. Toutes les personnes qui sont incluses dans le spectacle que cela soit à la production, à la technique, à la communication, etc. sont hyper investies.