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10 personnalités pour faire connaissance avec Stravinsky

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Actualité
5 avril 2021
10 personnalités pour faire connaissance avec Stravinsky

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Détails

On a beaucoup reproché à Stravinsky d’avoir mangé à tous les râteliers. Est-ce pour cela que la plupart de ses œuvres vocales sont délaissées du grand public ? Artiste-caméléon, il ne s’égare dans le style des autres que pour mieux s’y retrouver. Tâchons de nous réconcilier avec cet énigmatique inventeur de musique, en le définissant par les personnes qui influencèrent sa musique, et par dix œuvres vocales qui portent leur marque.


1. Piotr Illitch Tchaikovsky (1840-1893)

Les relations d’un compositeur à son ainé peuvent aller de la pudique reconnaissance d’une influence à l’idolâtrie la plus aveugle. Schubert détruit ses partitions qu’il juge inférieures à celles de Beethoven, Chopin s’éclipse volontiers devant Liszt (ce n’est pas à son avantage), et même le grand Bruckner se ratatine à la seule évocation des noms de Wagner et Schubert. Sans pour autant écorner son ego sans égal, l’admiration qu’éprouve Stravinsky pour Tchaikovsky est réelle. Le compositeur va jusqu’à relater dans Chroniques de ma vie une visite dans les coulisses du Mariinsky où, du haut de ses onze ans, il aperçoit de loin la silhouette du grand maître. Tchaikovsky meurt deux semaines plus tard, et Stravinsky ne cessera de rendre hommage à celui qu’il considère comme « le plus grand compositeur russe ».
Est-ce la conjugaison d’un sentiment patriotique à une européanité latente qui fascine Stravinsky ? Nul ne saurait l’affirmer, mais l’influence de l’auteur d’Eugène Onéguine est palpable dans les premiers opus de Stravinsky. La bucolique cantate Le faune et la bergère pourrait sortir tout droit de la plume d’un Tchaikovsky rêveur, puisque tant l’harmonie, que l’orchestration et le choix du texte (Pouchkine, nécessairement) y font songer.
[Alexandre Jamar]

2. Hans Christian Andersen (1805-1875)

Nos sociétés sont cruelles. La mesquinerie et l’esprit de clocher le disputent à la courtisanerie et l’égoïsme. Mais il n’est pas exclu que des individus touchent au sublime. Voilà ce que nous dit Hans Christian Andersen. Son œuvre, dominée par quelques 150 contes qui écrasent cinq romans, trois pièces de théâtre, une poignée de récits de voyage et quelques recueils de poésie, célèbre ainsi ceux qui savent préserver leur intégrité, soit que la pureté de leur âme les élève (La petite sirène, La petite fille aux allumettes, Elle n’était bonne à rien), soit que la force de leur génie les éclaire (Rien qu’un violoneux, Le vilain petit canard). Le Rossignol appartient à cette deuxième catégorie. Un oiseau a le don d’apporter une profonde félicité à quiconque entend son chant. Il resterait volontiers dans sa forêt, mais il est invité à se produire au palais de l’empereur. Ce dernier est si enchanté qu’on lui offre un rossignol mécanique imitant le chant du véritable oiseau, lequel repart dans sa forêt. Alors que l’empereur est proche de la mort, le Rossignol réapparaît et fait entendre son chant inimitable, qui le ramène à la vie.
De ce conte, qui nous dit que rien ne peut remplacer un art véritable et authentique, Stravinsky tire en 1914 pour l’Opéra de Paris une œuvre qui le laisse insatisfait : « Peut-être que Le Rossignol prouve simplement combien j’avais raison de composer des ballets, puisque je n’étais encore prêt pour l’opéra », écrira-t-il rétrospectivement. Pourtant, la veine orientalisante de l’histoire d’Andersen stimule un Stravinsky qui regarde encore beaucoup du côté de Rimsky-Korsakov, tout comme l’ironie avec laquelle le danois traite l’intrigue, qui prend congé du lecteur ainsi : « Les serviteurs entèrent voir leur empereur mort… Et ils se tenaient là, et l’empereur dit : Bonjour ! »
[Clément Tailla]

3. Maurice Ravel (1875-1937)

Il est difficile de se faire une idée de la nature réelle des relations entre Ravel et Stravinsky. Le contact est aisément noué par Diaghilev, lors de l’arrivée d’Igor à Paris. D’abord soutien mutuel (Ravel s’enthousiasme beaucoup pour l’Oiseau de feu), ils deviennent rapidement collègues, avant que l’épisode de la Valse, où Stravinsky ne défendit pas la partition face à un Diaghilev suspect, ne refroidisse sensiblement leurs rapports. De même, on ne sait pas si la célèbre pique stravinskienne qualifiant son ainé d’ « horloger suisse » est véritablement affectueuse ou suffisamment ironique pour dissimuler un brin de dédain.
Alors que leur amitié est sans ambages, Stravinsky invite Ravel à Clarens, en Suisse, où il possède une maison de vacances. Le but est d’achever ensemble un projet de réorchestration de la Khovanchtchina de Moussorgsky commandé par Diaghilev. Lors des deux mois que Ravel passe chez les Stravinsky, Igor ne manque pas de lui faire découvrir de la musique. La sienne, avant tout, puisqu’il vient de terminer l’orchestration du Sacre du Printemps, mais aussi celle de Schoenberg, dont il défend ardemment le Pierrot lunaire entendu à Berlin. C’est aussi durant ce séjour que Stravinsky termine un bref cycle pour soprano et petit ensemble orchestral baptisé Trois poésies de la lyrique japonaise. La délicatesse de l’instrumentation, ainsi que le choix de textes d’une intime sensibilité font pencher la partition du côté de Maurice, auquel il dédiera le troisième mouvement. Qu’à cela ne tienne, Ravel reprend le même effectif, et compose le premier des Trois poèmes de Stéphane Mallarmé à Clarens, qu’il dédie naturellement à Igor Stravinsky.
[Alexandre Jamar]

4. Bronislava Nijinksa (1891-1972)

Dans la famille Nijinski, je demande la sœur ! Après avoir épaulé son frère sur des créations aussi complexes (et controversées) que Prélude à l’après-midi d’un faune (1912) et Le Sacre du printemps (1913), Bronislava Nijinska se voit personnellement confier de nouvelles chorégraphies par Diaghilev pour ses Ballets Russes. C’est ainsi qu’elle aura la charge du nouveau chef-d’œuvre sur lequel Stravinsky travaille depuis 1914 : Les Noces. Elle y sera dans son élément : avant d’entrer dans la prestigieuse école impériale de danse de Saint-Pétersbourg, Bronislava avait été formée par ses parents aux danses folkloriques ! Stravinsky sait que pour recréer l’ambiance d’un mariage traditionnel russe, il aura besoin d’un chœur mixte et de quatre solistes, mais il hésite pour l’instrumentarium. S’il sait que les percussions joueront un rôle essentiel, il songe un temps à leur adjoindre un cymbalum, un harmonium puis un pianola – avant de finalement se décider pour quatre pianos ! Si la musique de ces Noces demeure l’une des plus éclatantes réussites de Stravinsky, la chorégraphie de Bronislava Nijinska marqua également les esprits : elle y insufflait une forte charge féministe, dénonçant la vision réductrice du mariage comme outil de l’asservissement de la femme par l’homme.
[Jean-Jacques Groleau]

5. Giovanni Battista Pergolesi (1710-1736)

Formé à Naples auprès de Francesco Durante et Gustavo Greco, maîtrisant prodigieusement vite les codes et les contraintes de l’opéra de la première école napolitaine, célèbre à 20 ans, retiré au Monastère des Capucins de Pouzolles pour soigner sa santé fragile à 25 ans (c’est là qu’il compose son immanquable Stabat Mater), mort à 26 ans, Giovanni Battista Pergolesi aura eu une postérité sans commune mesure avec sa longévité. Il faut dire que son nom reste associé à la « Querelle des bouffons », qui s’enflamme quand sa Serva padrona est reprise à Paris en 1752, et que sa musique religieuse pourra s’enorgueillir d’avoir influencé le Mozart du Requiem et de la Grande-Messe en ut mineur. Dès lors, Pergolesi devient un idéal-type du classicisme en musique. Il n’en fallait pas tant pour que Stravinsky se penche sur son cas quand il entama sa propre période néoclassique, emboîtant le pas à un mouvement de réinterprétation des grands maîtres qui venait de voir éclore le Tombeau de Couperin de Ravel et le Symphonie « Classique » (la bien-nommée !) de Prokofiev. Stravinsky reprend donc massivement Pergolesi dans sa Pulcinella… ou du moins c’est ce qu’il croit : des recherches ultérieures attribueront les sonates en trio citées dans le ballet à Domenico Gallo. Qu’importe ! On sait depuis Shakespeare que « le diable peut citer les écritures pour ses besoins »… 
[Clément Tailla]

6. Jean Cocteau (1889-1963)

Stravinsky et Cocteau, c’est une longue histoire qui commence en 1917 en Italie et c’est Picasso qui fait alors les présentations. Le compositeur trouve dans la péninsule le cadre nouveau dans lequel il veut s’exprimer, en référence aux grands musiciens de la période baroque, qu’inaugurera Pulcinella deux ans plus tard et qu’on appellera néo-classicisme. Chante de la simplicité, Cocteau approuve forcément. Puisqu’on parle de classicisme, Stravinsky cherche bientôt à écrire une œuvre à partir des grandes tragédies grecques. En 1926, comme il a admiré l’Antigone de Cocteau, confiée musicalement à Honegger, il le sollicite pour adapter Œdipe, puis fait traduire le texte en latin par Jean Daniélou, qui deviendra prêtre puis cardinal. Stravinsky demande à Cocteau de traiter le sujet en « nature morte », comme il le racontera lui-même précisément l’année de la mort de Cocteau, en 1963, et il en profite pour savonner le travail de feu son ami, avec l’ironie grinçante qui lui était coutumière : « Je lui dis (…) que je voulais un livret conventionnel avec arias et récitatifs, bien que je susse que le conventionnel n’était pas son fort. Il sembla vivement apprécier le projet, mais non le fait que son texte soit traduit en latin. Mais la première version de son texte correspondait précisément à ce que je ne voulais pas : un drame en musique dans une prose à l’éclat factice. Cocteau fut plus que patient avec moi et mes critiques. Il récrivit deux fois intégralement son texte, et même dut le soumettre à une dernière coupe… Dans ce texte, que revient-il au juste à Cocteau ? Je suis bien incapable en fait de le dire ; peut-être la plastique du verbe plus que sa forme… Mais la musique va au-delà des mots  et s’inspire directement de la tragédie de Sophocle ».  Et vlan.
[Cédric Manuel]

7. André Gide (1869-1951)

Bien des périodes eussent sans doute offert à André Gide et à Igor Stravinsky l’opportunité d’une rencontre fructueuse : l’auteur de L’immoraliste et des Caves du Vatican a en lui quelque chose de provocateur que l’on pourrait retrouver chez le compositeur du Sacre du printemps. Seulement, Gide comme Stravinsky ont en commun des parcours tortueux, des esthétiques contrastées dont les évolutions confinent parfois au revirement. Quand l’un et l’autre travaillent à Perséphone, pièce de théâtre avec ballet commandée par Ida Rubinstein et destinée à l’Opéra de Paris, nous sommes au début des années 30. Gide, qui vient de dénoncer les crimes de la colonisation dans le journal relatant son Voyage au Congo, s’apprête à témoigner des errances du systèmes soviétiques dans Retour de l’URSS. Quant à Stravinsky, ses inspirations « néoclassiques » le poussent vers des thèmes empreints d’une sévère religiosité (Œdipus Rex, Apollon Musagète, La Symphonie de Psaumes). Bref, ces deux hommes parlent deux langues, et ce dialogue donne surtout naissance à de l’incompréhension réciproque. Pour Perséphone, paroles et musiques s’écrivent chacune dans son couloir. « Je ne pense pas qu’on puisse parler de collaboration », note Stravinsky. « Stravinsky a parfois l’air tout à fait stupide et d’autres fois il sort des choses assez curieuses », témoigne Gide de son côté. « Gide n’a pas aimé ma musique pour Perséphone » croit savoir le compositeur alors même que l’écrivain affirmera plus tard le contraire. En vérité, la relation entre les deux hommes est moins ouvertement conflictuelle que vaguement indifférente. Sentant que Stravinsky oriente Perséphone vers une symbolique chrétienne qui ne l’inspire guère, André Gide se désintéresse du projet, si bien qu’il n’assistera pas à sa création. Le 30 avril 1934, soir de la première, il se trouve dans le Tyrol, avant de se rendre à Londres au moment de la deuxième représentation. Il ne rentre à Paris que pour la troisième représentation, mais décide finalement de bouder l’Opéra, préférant se rendre à une réunion du Parti communiste. Les deux hommes ne se rencontreront plus. « Quand je cesserai de m’indigner, j’aurai commencé ma vieillesse », prophétisait Gide en 1911 dans ses Nouveaux prétextes. En 1934, il avait déjà 65 ans…
[Clément Tailla]

8. David Hockney (né en 1937)

Stravinsky voit son œuvre lyrique la plus populaire attachée au travail d’un autre artiste majeur de la seconde moitié du XXe siècle : David Hockney. Le plus français des peintres britanniques est recruté par le très british festival de Glyndebourne pour une nouvelle production du Rake’s Progress en 1975. De cette œuvre baroque où le modernisme un rien suranné de Stravinsky se confronte à ses inspirations mozartiennes, le peintre fera une mise en scène aux esthétiques mélangées dont le succès est immédiat, international et ne s’est pas démenti puisqu’en 2010 le festival britannique effectuait sa septième reprise de la production. Juste retour des choses ! L’idée même du Rake’s Progress a germé dans l’esprit de Stravinsky après qu’il a vu à Chicago une exposition consacrée à l’artiste anglais du XVIIIe siècle William Hogarth et notamment à ses huits gravures « La Carrière du Libertin. » Les hachures typiques de ces gravures, leur esthétique en général trouveront leur juste place dans les décors et l’univers que Hockney met en scène. Un DVD a immortalisé ce travail passé par de nombreuses scènes (Bruxelles, Paris, plusieurs villes aux Etats-Unis etc). 
[Yannick Boussaert]

9. Anton Webern (1883-1945) 

On imagine mal le coup de tonnerre que fut le ralliement de Stravinsky à la cause sérielle. Longtemps ennemi juré de tout produit schoenbergien, voilà que le compositeur le plus fameux de son époque finit par épouser le langage dodécaphonique. Mais le compositeur ne cachait pas sa curiosité, ou du moins son respect pour les compositeurs sériels : « [ils] sont les seuls compositeurs ayant une discipline que je respecte. Peu importe ce que peut être la musique sérielle, c’est certainement de la musique pure ».
Ce chemin vers le sérialisme, il s’est avant tout fait par Anton Webern. Il faut dire que l’extrême concision de ce dernier convenait particulièrement bien à un compositeur cherchant à « instituer un ordre dans les choses, y compris et surtout un ordre entre l’homme et le temps », sans pour autant sacrifier en beauté du son instrumental. C’est avant tout du Webern des Cantates que se souvient Stravinsky lorsqu’il écrit ses Requiem canticles. Chaque note est tracée au pinceau très fin, mais malgré l’austérité du langage, l’attention de l’auditeur est constamment renouvelée par tel agencement instrumental ou tel timbre surprenant.
Au lendemain de la mort de Webern, Stravinsky se fend d’un vibrant hommage dont le ton tranche avec sa causticité coutumière : « Nous devons rendre hommage non seulement à ce grand compositeur, mais aussi à un réel héro. Voué à l’échec total dans un monde sourd d’ignorance et d’indifférence, il continuait inexorablement à tailler ses diamants, ses diamants éblouissants, dont il connaissait si parfaitement les mines ».
[Alexandre Jamar]

10. Dieu (né en -∞)

On a du mal à savoir ce que Dieu a bien pu penser de Stravinsky, alors que l’on en sait bien plus sur ce que Stravinsky pensait de Dieu. Si les premières œuvres ne le laissaient entrevoir que par intermittences, la Symphonie de Psaumes de 1930 est le premier maillon d’un long chapelet d’œuvres d’inspiration religieuse, qui ne s’interrompt qu’en 1966 avec son pénultième opus, les Requiem Canticles.
Contrairement à sa Messe, qu’il voulait « froide, absolument froide », Stravinsky compose pour les psaumes 38, 39 et 150 une musique presque immédiatement attractive, poussant parfois le vice jusqu’à l’illustration – ainsi de la débauche d’instruments qui ponctue le psaume 150 (« Louez-le en sonnant du cor, louez-le sur la harpe et la cithare, louez-le par les cordes et les flûtes, louez-le par la danse et le tambour ! »). Écrit lors d’une période d’élan spirituel intense, la Symphonie de psaumes signe l’aspiration de Stravinsky à une religion dépassant les frontières dogmatiques traditionnelles, comme en témoigne la cohabitation entre vocalité orthodoxe et usage du latin de la Vulgate.
[Maximilien Hondermarck]

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