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5 questions à Annick Massis

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Interview
30 septembre 2008

Infos sur l’œuvre

Détails

Quelque part entre Florence, Paris et Berlin, à quelques jours du début de sa nouvelle saison, Annick Massis nous a accordé un peu de temps. L’occasion d’un bref coup d’œil sur l’année écoulée et les projets d’envergure qui l’attendent dans les mois à venir.

Pouvez-vous nous confier vos meilleurs et pires souvenirs de la saison écoulée ?

Sans conteste, le pire a été mon accident à Moscou. J’étais tellement heureuse à l’idée de donner un premier récital dans cette ville. Après une générale qui s’était bien déroulée, dans la nuit précédant le concert, j’ai fait une lourde chute à mon hôtel et une jolie entaille à la tête. J’ai refusé l’annulation que me recommandait mon entourage visiblement paniqué par mon état. J’ai tenté le tout pour le tout en réclamant simplement une annonce au cas où le concert ne se déroulerait pas normalement. Tout s’est bien passé, même si je me demande encore parfois comment j’ai réalisé cela, tellement j’étais dans un état second. Malgré un grand mal être qui a perduré pendant plusieurs mois, je conserve un souvenir ému du soutien du public moscovite. A plus d’un titre, ce récital restera un souvenir impérissable. Autrement, ma nature est telle que je conserve davantage les bons souvenirs. Il y en a eu beaucoup cette saison. Je suis très heureuse de ma première Sonnambula en Italie. L’Italie m’offre également des lieux réellement magiques, comme lors de mes débuts aux Arènes de Vérone ou plus récemment les Thermes de Caracalla à Rome. Ma rencontre musicale avec James Levine pour mon retour au Metropolitan fut un moment vraiment particulier. Levine dirigeait les premières Lucia di Lammermoor de sa carrière ! La saison dernière me confirma également le lien privilégié que je nourris avec les publics exceptionnels néerlandais (avec ma première Lucie de Lammermoor) et belge pour une série de Sonnambula qui fut aussi l’occasion de belles rencontres musicales.
Au delà pourtant, ce qui m’a particulièrement touché cette saison, fut la présence de « fans », qui me suivent parfois depuis plusieurs années, toujours avec la même passion, toujours présents d’une façon ou d’une autre, toujours plus nombreux et curieux de mon travail.

Le Feu, Le Rossignol, La Princesse, Olympia, Antonia, Giuletta, La Comtessa di Folleville, La Comtessa Almaviva et une Gilda abordée une fois seulement. Alors La Massis, boulimique ou simplement gourmande patentée ?

J’avais promis que je ne referai plus autant de prises de rôles en une seule saison. Mais, la Massis gourmande (dans tous les sens du terme) et surtout curieuse, ne résiste pas. Il s’agit de passion. Une aventure vers de nouveaux rôles est toujours passionnante. Eviter l’habitude, se remettre en question et élargir l’horizon. L’Enfant et les Sortilèges, je suis étonnée qu’on me le demande si tardivement dans mon parcours. Il est vrai que cela me fait revenir à un répertoire très léger en écriture. Mais quelle musique ! De la belle musique française !! Et je suis française !!!… Je débuterai ma saison avec cette triple prise de rôle pour Simon Rattle fin septembre. Cela se place juste avant un retour au Concertgebouw pour un concert de musique baroque française et italienne avec le Concerto Köln, une formation avec laquelle j’avais envie de collaborer. Le calendrier s’agence donc bien. Pour Ravel, le projet comprend une affiche assez fabuleuse, emmenée par la Philharmonie de Berlin. Croyez-moi, c’est toujours un bonheur de chanter avec de tels musiciens. Un enregistrement fera suite aux trois représentations prévues. Le challenge personnel le plus important cette saison, sera sans nul doute, les quatre rôles des Contes d’Hoffmann. Cela me titillait depuis longtemps. Olympia seule, ne m’intéressait pas. Par contre, l’évolution vocale, théâtrale et dramatique des quatre rôles au sein d’une même soirée est passionnante. Surtout dans l’optique de la version ici retenue, conservant l’Olympia suraiguë. Mais pour un tel projet, il faut du temps et également qu’un certain nombre de conditions soient réunies comme l’endroit adéquat, le chef mais aussi, le bon metteur en scène. Je suis heureuse d’avoir été sollicitée par Paul Emile Fourny pour l’Opéra de Nice avec lequel j’ai déjà travaillé dans de très bonnes conditions auparavant. J’attends énormément de la direction d’acteur. Je serai soutenue et dirigée par Emmanuel Joël avec qui j’avais chanté Ophélie (Hamlet à Turin) il y a quelques années et je m’en réjouis. Enfin, Les Contes d’Hoffmann sont également de la musique française… La Comtessa di Folleville pour la parisienne que je suis, s’imposait naturellement. C’est un rôle très amusant, complètement déjanté mais également, exigeant vocalement… Il Viaggio a Reims vient logiquement après Le Comte Ory (La Comtesse Adèle est, avec Lucia, le rôle que Massis a, à ce jour, le plus chanté NDLR). Folleville est un rôle incroyable d’abattage comme Matilde di Shabran et toujours Rossini avec ses exigences si particulières au niveau du chant. C’est aussi l’occasion d’un retour à la Scala de Milan dans une belle production de Ronconi. Le projet sera musicalement emmené par Ottavio Dantone qui avait dirigé ma première Almirena (Rinaldo) déjà à la Scala. Il Viaggio réclame au moins douze solistes à la personnalité bien tranchée, donc, cela risque d’être haut en couleurs, je pense, à tout niveau ! Cette saison verra également le développement de mon répertoire italien en Italie. En connaissant l’oreille avertie mais parfois impitoyable du public italien, pour une cantatrice, ce n’est pas rien. Pour un lirico colorature comme moi, chanter en Italie Lucia di Lammermoor ou La Sonnambula, c’est toujours un moment particulier. Cette saison verra ma première Traviata italienne avec Daniel Oren avec qui j’entretiens une forte amitié artistique, et toujours avec lui, ma première Gilda pour Genova. A ce jour, je n’avais chanté Gilda (Rigoletto) qu’à une seule occasion à Saint Etienne, il y a une bonne douzaine d’années.

Bon, Maria Stuarda, c’est pour quand ?

Cela a été et demeure un casse-tête…Jusqu’ici, je l’ai refusée car j’avais la conviction que je ne pouvais pas pleinement lui rendre justice. Un tel projet nécessite également beaucoup de temps et la réunion d’un certain nombre de facteurs artistiques. Maria Stuarda m’a déjà été proposée un nombre incroyable de fois, encore dernièrement, (Lyon, Paris, Liège, … NDLR) comme d’autres véhicules encore plus dramatiques comme Roberto Devereux, Anna Bolena, Luisa Miller ou encore Armida et Semiramide… N’importe qui d’autre aurait sauté sur l’occasion. La plupart de ces rôles, je n’y songe pas, mais Maria Stuarda, j’aimerai vraiment l’incarner un jour. Vocalement, pour un rôle superbe bien sûr, mais aussi, pour la figure féminine qu’elle représente. De jour en jour, je me sens de plus en plus prête à franchir le pas. Cela sera une étape importante, peut-être avec des conséquences sur mon répertoire actuel, il faut réfléchir à tout cela. Tant dans le romantisme français qu’italien, j’ai envie de ce développement, mais pas à n’importe quel prix, ni pour moi, ni pour les compositeurs. Tout en conservant mon ancrage actuel avec Lucia, Amina, Violetta, j’aimerai un développement vers des figures commes Stuarda ou pourquoi pas certaines héroïnes rossiniennes. Dans le pendant français, je pense pouvoir aborder certains chaînons manquants à mon répertoire comme Manon, Marguerite de Faust, Thaïs ou d’autres Massenet passionnants. J’aimerai reprendre Marguerite de Valois (Les Huguenots) également ou incarner une Isabelle de Robert le Diable. Mais vous n’imaginez pas tout ce que j’ai du décliner pour rester fidèle à ma ligne vocale. Le nombre de Mimi, de Desdemona. Dramatiquement, Desdemona me plairait énormément, je l’avoue, mais là, c’est encore autre chose…

On a remarqué une évolution notoire de votre relation à l’image. Création d’un site internet (http://www.annickmassis.com/), collaboration photographique avec un professionnel de la mode à Milan, etc.… Dans quelle mesure, cette évolution est-elle un choix ou une nécessité ? Comment la vivez-vous ? Plus généralement, votre relation avec les médias ?

J’ai longuement hésité pour la mise sur pied d’un site internet… Il me semblait que cela mettrait en jeu mon intégrité d’artiste et de cantatrice… Mais avec la médiatisation, notre société consommatrice d’images, la vitesse de propagation de l’information, certains outils désormais ne sont même plus indispensables mais essentiels. Alors, après tellement de demandes, j’ai fini par céder ou plutôt accepter de déléguer à quelqu’un. Au delà des aspects techniques, je me vois mal parler de moi-même pour tout dire, exercice que je n’apprécie pas trop… Ce site est un travail énorme, les mises à jour en permanence, il était donc indispensable que la personne qui s’en occupe, soit proche de moi. Pour les photos, j’ai également décidé d’écouter d’autres propositions. Cela était beaucoup plus amusant, notamment, pour changer un peu de look. Changer de photographe permet également de réaliser comment l’autre vous perçoit. C’est très intéressant, on change tellement au fil des aléas de la vie. On évolue, on est perçu autrement et même si l’on ne peut contrôler cette perception de l’autre, elle permet quelque part de mieux se percevoir. C’est un filtre assez captivant. J’ai donc accepté que l’on joue avec mon image, toute proportion gardée car aujourd’hui, je déplore que l’on privilégie ce côté médiatico-marketing ou people au détriment des qualités vocales, musicales ou aux talents de complétude d’un artiste… Cette évolution de mon image correspond également à une certaine libération du stress de mon parcours professionnel. Il y a des moments où je n’aurais pas pu l’entreprendre. Le travail d’une cantatrice demande déjà sur des tas de plans, tellement de temps, de travail, de préparation. Il faut disposer d’un minimum de temps pour ce genre d’exercice, éviter le stress et rester soi-même. Donc, en résumé, une nécessité … choisie, un jeu également…
La relation aux médias… C’est une autre paire de manches. C’est une chose que j’ai rapidement apprise notamment en ce qui concerne les critiques. Savoir prendre ses distances est indispensable. Aucun artiste n’est totalement égal à lui-même à chaque spectacle. Cela ne serait pas un artiste d’ailleurs. Nous restons des hommes, des femmes et nous sommes du travail ! Mais aussi, la somme de beaucoup d’autres éléments en dehors de l’amour de la musique et du chant. Malheureusement, cela ne fonctionne pas toujours. Soit on est moins bon, soit simplement, on ne peut pas plaire à tout le monde. Même s’il est certain que l’on se donne tout entier, il manque toujours quelque chose pour quelqu’un ou pour soi d’ailleurs. Il faut tâcher de rester humble par rapport à cela sans se lasser de rechercher, de travailler, même si certains critiques ou personnes, semblent oublier cette réalité et écrivent des choses terribles… Il faut nous libérer de cela, chanter au delà de cela. C’est un des nombreux paradoxes des chanteurs, nous avons besoin d’un ego surdimensionné pour ne serait-ce oser deux pas sur une scène, mais en même temps, il faut remettre en question cet ego et apprendre à réaliser l’aller retour entre SOI et soi, la cantatrice et la personne humaine. Autrement, j’apprécie quand les critiques sont constructives et amènent des éléments de réflexion. Lors de ce récital à Moscou, j’ai été filmée quasi non stop ! Avant, pendant et après les répétitions, pendant le spectacle, la pause, … C’est un exercice amusant, une habitude à prendre mais cet exercice ajoute encore de la pression, il faut donc apprendre à relativiser et à garder les pieds sur terre. Aujourd’hui, personne ne peut nier l’importance des médias, car tout fonctionne sur le plan marketing parfois avec des dérives. Mais il est vrai que cela permet également de revitaliser l’intérêt du public et espérons-le, de mettre l’opéra à portée d’un plus grand nombre.

Vous êtes excessivement discrète sur votre vie privée, on ne parle jamais de vous pour vos scandales, vos déclarations fracassantes, vos annulations ou n’importe quel aspect « people » de votre vie. Comment vivez-vous l’espace médiatique offert à ceux qui en font un quasi fond de commerce pour leur carrière ?

Il s’agit simplement pour moi d’une question de publicité. Quel est le but que l’on recherche ? Servir la musique ou se servir d’elle ? Non ? Vous me direz, il ne s’agit là que de beaux principes. On vit avec des principes mais on ne vend ou n’achète rien avec des principes… Alors, à chacun d’accepter ou de refuser. Nous sommes de passage sur cette terre et chacun emploie son temps et son énergie comme il l’entend. Si l’étalage de la vie de quelqu’un de plus ou moins célèbre peut en aider d’autres à vivre ou à mieux s’identifier, pourquoi pas. Cela peut dans des cas extrêmes, sauver des vies. Mais, où se trouve la limite afin de ne pas basculer de l’autre côté du miroir ou simplement pouvoir demain encore s’y regarder ?

Propos recueillis par Philippe PONTHIR

© Corrado Maria Falsini

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