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5 questions à Christophe Fel

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Interview
9 juin 2006

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Vous venez de chanter Mephisto à Tirana , rôle que vous aviez interprété cet hiver à Nice et vous serez bientôt Crespel à Bilbao avant de terminer la saison sur un autre Faust, celui de Berlioz, pour lequel vous interprèterez Brander à l’Opéra Bastille. Aimez-vous tenter le diable ?

J’ai eu le bonheur d’aborder pour la première fois le Mephisto du grand Charles au Festival de Loches en 1992. De ce long compagnonnage d’avec le Maudit, il me reste un grand éclat de rire, énorme mais surtout protéiforme passant de l’ironie la plus courtoise, affable presque, à la dérision sacrilège, au mordant sardonique, à la provocation la plus éhontée, au goût de l’anarchie la plus débridée, aiguisant les appétits les plus sensuels ou « innocents » de ces pauvres et « ridicules humains » abandonnés par leur Créateur entre mes doigts caressants, insinuants, onctueux et souples mais prompts à saisir, déchirer et broyer, pour mieux détruire en faisant souffrir. Je récuse en bloc toute apparence effrayante et monolithique, annonçant par trop »la couleur », bien au contraire je souhaite d’abord séduire, enjôler, assoupir les méfiances pour mieux envoûter sans défiance; toujours surprendre dans un registre inattendu amical, gentleman, sans menace par trop appuyée, tout dans le sous entendu, la nuance, le « on verra plus tard »-« ayez confiance »…..

Comment ce traduit vocalement cette conception méphistophélique ?

Cela implique une souplesse vocale, une multitude de couleurs et d’intentions épousant les mots et les lignes sinueuses de la partie vocale essentiellement récitative. Les deux airs sont brefs, brillants, à dire et faire saisir autant qu’à chanter; Il ne se conduit en Maître que chez lui à Walpurgis, alternant « l’Imperator » et le plus que sensuel, Il ne violente vraiment et effroyablement qu’à l’Eglise, quand Il tue Valentin c’est avec dérision (« Vous n’aimez donc pas la musique! »). Comme la partition dont Goethe n’est qu’un « pré-texte », ce Diable ci se pare de toute la virtuosité de ce que l’on nommait à l’époque l’Esprit français. Voilà comment en quelque mots je conçois ce délicieux personnage, et tord le cou à tous les diables plus effarants qu’effrayants qui peuplent les « enfers » de nos souvenirs lyriques!!! Préférant charmer par l’éventail du discours plus que par la seule noirceur du timbre … que ,de toute façon, je ne possède pas!

Comment inscrivez-vous cette vision dans la grande tradition des basses françaises, bien oubliée il est vrai ?

En toute modestie, j’ose me situer dans l’exact sillage de cette école, gardant aux mots, et à leurs sens le premier plan, la voix et la musique n’étant que leur somptueux (si possible !) vecteur. Et n’oublions pas que ces glorieux ancêtres étaient tous de formidables acteurs-chanteurs et que là aussi je n’entends pas rester une potiche-lyrique-sémaphoresque ! Enfin, s’il est une caractéristique de cet Age d’Or dont je me réclame de toutes mes forces, c’est la noblesse du ton dans la recherche de l’émotion juste, en dehors de tout pathos ou gesticulation vocale découplée du sens de la situation et/ou du style de l’ouvrage.Tel est mon Credo et c’est ce que j’essaie de faire de mon mieux.

Quels sont vos modèles artistiques ?

Parmi les modèles qui m’ont servi à me construire : Gabriel Bacquier, Nicolas Ghiaurov et Samuel Ramey ; Giorgio Strehler, Sergiu Celibidach et Arthur Schnabel ont une part non négligeable, mais je ne saurai oublier une vieille dame, qui fut très longtemps mon seul et unique maître, Claude Brach.

Vos projets et vos rêves ?

Pour l’heure, j’ai en projet Leporello, Nilakhanta, Bartolo du Barbiere, et quelques autres babioles qui nourriront la famille et me permettront d’acquitter mes impôts ! Je rêve de Don Quichotte et de Don Giovanni, et même, soyons fou, d’un Philippe II en français !
 
Propos recueillis par Placido Carrerotti

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